Grand Orient. Pour sa vingtième édition, le Festival des Trois Continents avait bien fait les choses entre rétrospectives goûteuses et belle brassée de joyaux inédits. Rendez-vous défricheur s’il en est, le Festival des Trois Continents de Nantes figure en très bonne place dans l’agenda des riches heures de la cinéphilie. Vingtième anniversaire oblige, le millésime […]
Grand Orient. Pour sa vingtième édition, le Festival des Trois Continents avait bien fait les choses entre rétrospectives goûteuses et belle brassée de joyaux inédits.
Rendez-vous défricheur s’il en est, le Festival des Trois Continents de Nantes figure en très bonne place dans l’agenda des riches heures de la cinéphilie. Vingtième anniversaire oblige, le millésime 98 n’a pas mégoté sur les bienfaits puisque, en sus de l’habituel panel de longs métrages inédits, un vaste coup d’oeil dans le rétroviseur a été lancé, via un choix de films primés lors des éditions précédentes et un hommage rendu à plusieurs des cinéastes soutenus par le festival. Ainsi a-t-on pu (re)voir Le Passager, premier film d’Abbas Kiarostami, où peuvent déjà se repérer tous les attributs indémodable classicisme formel, luminosité du récit et des plans qui singularisent l’Iranien et lui valent de siéger au sein du gotha mondial.
Céder à un optimisme immodéré serait toutefois fort malvenu si l’on en croit les propos largement circonspects tenus par Alain et Philippe Jalladeau avant l’ouverture de la manifestation (cf. Le Monde du 24/11/98). Il est vrai que si l’Orient a conforté avec éclat sa position dominante sur le planisphère, la sous-représentation de l’Afrique et de l’Amérique latine sautait aux yeux du plus distrait des visiteurs nantais. C’est néanmoins avec l’enthousiasme qui leur convient que nous détaillerons les principaux joyaux amassés cette année.
La Petite ville du Turc Nuri Bilge Ceylan n’a pas volé son prix du Meilleur Espoir tant de cette fiction sous influence tchékhovienne exsudent un vrai et exigeant désir de cinéma et une inflexible volonté de résistance à la normalisation. Ces électives prédispositions confèrent densité et force à des personnages pour la plupart déchirés entre leur appartenance à une famille et à une société et leur profonde envie d’en briser les chaînes. La Petite ville donne de ce dilemme inhérent à l’espèce humaine une illustration toute de retenue et de patience, alliées indispensables pour laisser affleurer à l’écran la vérité nue des sentiments.
On retrouve des qualités équivalentes dans La Danse de la poussière orchestrée avec une minutieuse attention par l’Iranien Abolfazl Jalili. Là encore, c’est une sobriété extrême, suivie comme son ombre par une tension latente, qui élève cette description d’une laborieuse communauté villageoise hors du commun des produits mortels d’ennui. Muré dans un farouche mutisme, La Danse de la poussière laisse en nous beaucoup plus de traces que nombre de films soi-disant parlants.
On ne s’attardera pas outre mesure sur Hold you tight et Beyrouth fantôme, déjà repérés en ces pages au détour d’autres festivals. A propos du premier, dû au Hong-Kongais Stanley Kwan, nous pouvons raisonnablement penser qu’il va mettre fin à l’ostracisme incompréhensible, vus les liens de parenté entre lui et Tsui Hark ou Wong Kar-wai dont est victime son auteur de la part des distributeurs français. Quant au second, nous préciserons simplement que des premiers films d’une telle envergure, nous n’en voyons pas cinq par an.
Nous bouclerons la boucle des trésors nantais par les deux colauréats du Grand Prix qui prouvent, une fois n’est pas coutume, qu’un jury avisé peut aller de pair avec une programmation inspirée. Xiao Wu suit les tribulations d’un drôle de Chinois en Chine, sorte de Droopy revu Michel Poiccard et divaguant au fil des rues et des menus larcins. Pour capter les frasques de son anti-héros malgré lui, le débutant Jia Zhang-Ke retrouve la geste, insolente et libertaire, de la Nouvelle Vague en un subtil composé de désinvolture et de maîtrise. Deuxième film de Kore-Eda Hirokazu, After life raconte une semaine de la « vie » d’employés de l’au-delà chargés d’accueillir les nouveaux-morts et de les aider à choisir leur souvenir préféré afin que celui-ci soit transposé en film et leur serve d’unique bagage pour l’éternité. Nimbé de sérénité, construit et mené avec une souveraine limpidité, After life rappelle les dernières oeuvres de Kurosawa ou d’Imamura et emporte notre absolue adhésion par la façon dont il transmet une croyance enfantine en la magie du cinéma. C’est un plaisir très rare qu’engendre After life en ressuscitant à l’identique cette émotion unique qui saisit chaque spectateur lorsque, en ses vertes années, il découvre ce monde à part qu’est une salle de cinéma, s’assied et, l’obscurité faite, voit pour la première fois les fantômes venir à sa rencontre.
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