En cette fin de festival, le rythme de la compétition s’est un peu relâché. Nous avons évité depuis une semaine de vous ennuyer avec des gros navets (il y en eut), mais il est temps de vous parler du plus beau film que nous ayons vu : Mektoub, My Love : canto uno d’Abdellatif Kechiche. […]
Le plus beau film vu cette année à Venise : « Mektoub, My Love: canto uno” d’Abdellatif Kechiche, très en forme. Le Lion d’or sera décerné samedi. Nous concernant, on ne voit pas d’autre candidat légitime.
En cette fin de festival, le rythme de la compétition s’est un peu relâché. Nous avons évité depuis une semaine de vous ennuyer avec des gros navets (il y en eut), mais il est temps de vous parler du plus beau film que nous ayons vu : Mektoub, My Love : canto uno d’Abdellatif Kechiche.
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Commençons pour une fois par oublier le « dossier » Kechiche : ses problèmes avec ses producteurs, ses techniciens et certaines de ses actrices, ses déclarations parfois abruptes, ses attitudes politiques, etc. Et si on regardait le film ?
Alors Mektoub, My Love : canto uno, sans doute (qui sait ?) premier volet de ce qui deviendra une trilogie, quatre ans après La Vie d’Adèle, est un film somptueux, peut-être son plus beau à ce jour.
Apparemment librement adapté d’un roman de François Bégaudeau, le récit semble surtout comporter des éléments très autobiographiques : en 1994, un jeune Franco-Tunisien prénommé Amin (Shaïn Boumedine, incroyable), aspirant scénariste monté à Paris, se retrouve à Sète passer des vacances en famille.
Dès la première minute du film, Amin le timide, le réservé, surprend son amie Ophélie (Ophélie Bau, belle découverte) en train de faire l’amour avec le cousin d’Amin, Toni. La scène, chaude, passionnée, dure assez longtemps – mais rien d’aussi cru que dans La vie d’Adèle : pas de sexes apparents.
Sur ce, très vite, nous comprenons qu’Amin est fou dingue d’Ophélie depuis toujours, mais que cet amour-désir (Ophélie est une bombe) est resté transi. Ophélie, officiellement, est la copine de Clément, soldat parti au loin sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. Toni et Ophélie tentent de cacher leur liaison, mais en réalité tout le monde la connaît.
Voilà pour l’histoire. Tout est posé dans les premières minutes, et rien ne va plus réellement venir complexifier le récit. Sur cette intrigue très rohmérienne qui rappelle aussi un peu L’Esquive, pendant près de trois heures absolument passionnantes, pleines de vie, de désir, d’amour de la fête et de la vie, Kechiche va faire de la mise en scène, de la direction d’acteur pure : du sens qui naît du cinéma.
Le talent d’écriture et de peintre de Kechiche est demeuré intact, porté à son sommet : en quelque secondes, quelques plans, en quelques sourires, de l’oncle dragueur à la mère libérée, de la copine blonde pas farouche à la tante qui va se marier (Hafsia Herzi, sublime), quinze personnages envahissent l’écran et on les distingue tous, on les reconnaît tous comme si on les connaissait dans la vie.
Mektoub, My Love, est un hymne aux corps, au sexe, à la fusion, à la sensualité, sur le plaisir. Le film enchaîne les scènes de boîte de nuit, de soirées de folie, de plage où l’on discute beaucoup. On est chez Marivaux, Musset avec des gens qui se mentent, se manipulent gentiment et/ou cruellement, sont dans leurs petits dénis, dans leurs amours cachées.
Très vite aussi, pendant tout le film, la caméra de Kechiche est insolemment attirée par les femmes, par celles qui ont des fesses généreuses, de poitrines abondantes. C’est indiscutable : Mektoub est un film sur le désir du corps des femmes. Comme l’étaient ceux de Fellini, d’Hitchcock, de Bunuel, etc.
D’où la réaction assez violente d’une part pudibonde de la critique, surtout américaine, qui accuse Kechiche d’avoir réalisé un film « masturbatoire », recouvert de ce « male gaze » (regard masculin) que certains lui avaient déjà reproché au moment de La Vie d’Adèle.
Soyons sérieux : qu’est-ce que le cinéma sinon des obsessions, l’expression de fantasmes ? Comment reprocher à un cinéaste qui tourne un film sur le désir de le faire passer par sa mise en scène ? Faut-il brûler tous les films où le désir des femmes s’exprime ? On a envie de sourire.
Et on attend avec impatience la suite de Mektoub, My Love.
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