Dans un festival de Toronto en pleine forme, deux films très marquants : le « Faust » d’Alexandre Sokourov et le « Twixt » de Francis Ford Coppola.
A Toronto, nul trou ne vient entraver la bonne marche du festival qui, à 35 ans, affiche une santé éclatante, aussi bien du point de vue artistique qu’économique. A l’inverse de la lagune de Venise, qui s’enfonce chaque année de quelques centimètres supplémentaires, Toronto ne cesse donc de s’élever vers les cieux, voyant pousser par dizaines les tours de verre. Le Bell Lightbox est de celles-ci, bunker flambant neuf qui accueille le centre du festival pendant la dizaine de jours, et la Cinémathèque le reste de l’année.
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Parmi les 300 films qu’on peut y voir, comment s’y retrouver ? Suivons une piste : celle du diable, du ciel vers l’abîme, de l’abîme vers le ciel. Deux films, les plus beaux vus jusqu’à présent, y cheminent ainsi fièrement, avec pour moteur l’intenable curiosité de leurs personnages principaux : Twixt de Francis Ford Coppola et le Faust d’Alexandre Sokourov.
Ce dernier, qui vient ici auréolé de son Lion d’or vénitien, débute par une vertigineuse descente en deçà des nuages, en direction d’un village moyenâgeux et cloacal. C’est là qu’habite Faust, le célèbre docteur imaginé par Goethe, là où tout n’est que saleté et putréfaction, puanteur et corruption. L’histoire est connue : elle verra le naïf médecin vendre son âme à Méphistophélès, en échange de quoi celui-ci lui montrera la voie des plaisirs terrestres.
Ce qui frappe en premier lieu dans ce film, dernier opus de la tétralogie du pouvoir de Sokourov (après Moloch, Taurus et Le Soleil), c’est la qualité de l’image numérique – signée par Bruno Delbonnel, chef op’ d’Amélie Poulain et d’Harry Potter 4, comme quoi tout peut arriver –, son hyper-crudité en même temps que son immédiat pouvoir d’évocation onirique. On est à la fois sur la terre, avec son fourmillement de pixels brunâtres en ordre de bataille, et ailleurs, dans un espace d’une étrangeté radicale.
A mesure que le piège se referme sur Faust, l’image s’ameublit, laissant place à toute sorte d’anamorphoses et de faux-semblants, que seule la pureté de Marguerite, à laquelle le docteur s’accroche, semble pouvoir contenir. La HD, que Sokourov expérimente depuis bientôt quinze ans, se fait ici matière molle, marais dans lequel l’oeil s’embourbe (Faust est un film d’une exigence rare) mais ressort miraculeusement lavé.
Un Coppola juvénile
De son côté, Coppola propose avec Twixt (montré à Toronto pour la première fois) une autre forme de pacte faustien, qui le concerne lui tout autant que son héros. C’est désormais une certitude : depuis son retour au cinéma en 2007, le cinéaste-vigneron est un homme sans âge, rajeunissant à chaque nouveau film. Il faut revenir aux années 60 et à ses premières bobines sous la conduite sévère mais bienveillante de Roger Corman (Dementia 13), sans oublier de faire un détour par les glorieuses années 82-84 (Coup de coeur, Rusty James), pour trouver un Coppola aussi juvénile, ludique, apprenti-sorcier.
Twixt suit les aventures d’un écrivain minable, joué par un Val Kilmer revenu de tout, qui décide, à la suite d’un rêve, de passer quelques jours dans un village où il était venu dédicacer son dernier roman de pacotille. Ce rêve, et ceux qui suivront, lui fait croiser la route d’une petite fille vampire (Elle Fanning, décidément grande) et du fantôme d’Edgar Poe, qui se propose de le guider dans cet univers de faux-semblants, dessiné à la pointe d’un numérique envoutant et tranchant.
On rejoint ici Faust, dans la mesure où ce pacte avec Poe va entrainer l’écrivain dans une zone à vif de son inconscient : la mort accidentelle de sa propre fille – dans les mêmes conditions que le fils ainé de Coppola, Giancarlo, en 1986.
La culpabilité paternelle est depuis longtemps une obsession du réalisateur de Jardins de Pierre et de Tetro (qui, souvenons-nous, montrait une représentation théâtrale de Faust…). Mais cette obsession touche ici un point d’incandescence inédit, proprement terrassant lorsque Coppola reconstitue la scène fatidique, sans autre fard que la légèreté d’une fiction de farce et attrape. Libéré de tout, il se permet même de faire chausser au spectateur des lunettes 3D pour deux séquences seulement, lorsque la platitude de l’image HD lui semble insuffisante.
Le plus beau, dans ce film, est ainsi le contraste entre la profondeur du sujet et la fantaisie du traitement, comme si Coppola nous offrait son (coup de) coeur battant, enveloppé dans un épisode de Buffy contre les vampires. On touche là une forme de sublime que seul un cinéaste n’ayant strictement plus rien à prouver peut atteindre. A suivre…
Jacky Goldberg
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