La dernière édition du Festival de Rennes a permis de constater une fois encore la richesse du cinéma japonais. Et de découvrir quelques nouveaux venus. On n’en aura donc jamais fini avec le cinéma japonais. Et on s’en réjouit, pourvu que ça dure. Après les divers prix cannois (Palme d’or à Imamura, Caméra d’or à […]
La dernière édition du Festival de Rennes a permis de constater une fois encore la richesse du cinéma japonais. Et de découvrir quelques nouveaux venus.
On n’en aura donc jamais fini avec le cinéma japonais. Et on s’en réjouit, pourvu que ça dure. Après les divers prix cannois (Palme d’or à Imamura, Caméra d’or à Suzaku) et le triomphe vénitien de Kitano, après le travail de découverte accompli par la Biennale du cinéma japonais d’Orléans et le Festival d’Automne à Paris, c’était au tour de Rennes de se mettre à l’heure de Tokyo. La rétrospective « Tokyo au cinéma » permettait de réviser les classiques incontestés (Ozu, Mizoguchi, Kurosawa, Naruse) et celui qui ne tardera plus guère à le devenir (Seijun Suzuki).
C’était aussi l’occasion de revoir le magnifique Tampopo de Juzo Itami. Comme un hommage posthume à un cinéaste dont l’oeuvre reste encore à découvrir. Itami s’est suicidé à la fin de l’année dernière, en se jetant du haut d’un immeuble, après que sa vie a été empoisonnée par une sombre affaire de moeurs, montée en épingle par la redoutable presse à scandales japonaise. Regrets éternels tant Tampopo le seul film d’Itami à avoir été distribué en France reste une très réjouissante comédie culinaire, une bouleversante ode à la bonne nouille en même temps qu’un modèle de film-patchwork, mélangeant allégrement des éléments disparates avant de les fondre avec une maîtrise narrative proprement stupéfiante. A la fin de la projection, le festival offrait de la soupe de nouilles, évidemment à tous les spectateurs présents, bousculade garantie et homérique bataille de baguettes.
Car toutes les projections auxquelles on a assisté se déroulaient devant des salles pleines à craquer. C’est dire la curiosité du public rennais pour des cinéastes souvent totalement inconnus en France. Par exemple, Tsutomu Kashima. Son film, La Dernière promesse, se présente comme un classique récit d’apprentissage adolescent : deux garçons (un pianiste prometteur et un champion de base-ball) sont amoureux de la même jeune fille mourante, clouée sur son lit d’hôpital. Sur cette trame rebattue, d’autant plus que la plupart des premiers films japonais sont des récits d’enfance ou d’adolescence, Tsutomu Kashima ordonne une mise en scène d’une rigueur impressionnante. Et si La Dernière promesse fait fatalement penser à Kids return de Kitano, il s’en éloigne par une tout autre utilisation de la durée des plans, souvent très longs mais qui frappent par leur intégrité, comme si chacun possédait sa propre autonomie. Cinéma très posé, très cadré, mais qui ne cesse jamais de vibrer, qui ne se fige pas dans la beauté qu’il exhale.
Plus modeste dans sa forme, d’une plasticité moins évidente, Happy go for lucky de Tetsuya Nakashima est une autre réussite. D’un aspect plus humble, le film est encore une évocation nostalgique de l’enfance. Incapable de réussir correctement une roulade arrière en cours de gymnastique, le jeune héros est en passe de devenir un paria, la honte de sa classe. Mais il ignore que son père et sa mère sont les produits désespérés de leur propre échec de jeunesse. Sur ce sujet qui laissait craindre un peu de mièvrerie, Nakashima parvient à éviter tous les pièges par son utilisation très subtile du flash-back invisible. A travers des lieux inchangés (une zone indécise, entre campagne immuable et urbanisation progressive), la vie des enfants et celle des parents se frôlent sans qu’ils le sachent, dans la répétition amnésique des mêmes rêves et des mêmes humiliations. Deuxième film de Nakashima, Happy go for lucky a le charme ténu d’une confession longtemps malaxée avant d’être enfin livrée.
Mais encore fallait-il un cri de colère ultra-contemporain pour que ce panorama du cinéma nippon soit complet. Ce fut Focus de Satoshi Isaka. Une équipe de télévision suit un maniaque du piratage des fréquences radio et des téléphones portables, afin d’en tirer un reportage choc sur cette nouvelle forme de voyeurisme. Tourné en vidéo pour trois yens et demi, avec une poignée de comédiens et quelques techniciens, Focus cache sa misère économique en collant à son sujet. Malgré tout ce que le procédé peut avoir de gratuit et agaçant, le film est fascinant par la façon dont il dérape sans crier gare, quand finit par éclater une violence que la télévision croyait pouvoir contrôler et détourner à son profit. D’abord manipulateurs habiles, les membres de l’équipe deviennent peu à peu les victimes sacrificielles du fou furieux qu’ils suivaient dans ses indiscrétions. Haneke est en train de faire des petits jusqu’au Japon. Mais Focus a aussi quelque chose de l’énergie brute des premiers Oshima. La relève semble assurée.
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