Des Français en verve, une rêverie portugaise ou un bel hommage au pape du bis Roger Corman : le Festival de Locarno en forme olympique.
Outre un avantage climatique, le Festival de Locarno possède comme principal atout une abolition des hiérarchies habituellement en vigueur dans ce type d’événements. Car la quinzaine suisse a le don d’asseoir tous ses invités à la même table, mettant à bas la pyramide fermement étagée (stars en haut, amateurs cinéphiles en bas et festivaliers professionnels plus ou moins importants entre les deux) qui régit trop de festivals connus de nos services.
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Outre le plaisir de voir donc des festivaliers de tous horizons fréquenter les mêmes lieux, libérés de toute ségrégation, c’est aussi aux films que semble profiter ce tempérament égalitaire, puisque la compétition internationale n’écrase pas pour autant les sélections parallèles (Cinéastes du présent et Signs of Life), et qu’au sein de chacune de ces sections on distingue moins facilement qu’ailleurs les “gros” et les “petits” films – en particulier cette année.
Une fiction déguisée en documentaire dans les abattoirs
Ainsi, le cru 2016 aura pris cette forme horizontale, tapissée de films séduisants et convaincants, sans qu’aucun vraiment ne prenne une position culminante. A commencer par la sélection française : Gorge cœur ventre de Maud Alpi était pressenti (voire annoncé) comme la sensation indé du festival, le film venu de nulle part et qui s’invite dans toutes les conversations. La réalisatrice, dont c’est le premier long, y a conçu un dispositif de fiction en partie déguisée en documentaire, structuré autour d’un jeune homme qui partage sa vie entre l’abattoir où il travaille et le taudis où il squatte, accompagné de son chien.
Si le sujet est à la mode (dans l’actu mais aussi au cinéma avec le beau docu Dans ma tête un rond-point sorti en février), il apparaît ici qu’il n’a plus tant besoin d’être documenté, qu’il s’est fait une place dans l’imaginaire et que c’est plutôt pour le cauchemarder que Maud Alpi s’en empare.
Etrangement désert, filmé dans des campagnes reculées, Gorge cœur ventre figure un décor posthumain où la machine de mort ne servirait plus une chaîne de consommation en aval, mais s’engloutirait seulement sous son propre nihilisme, tournant à vide dans un monde déjà anéanti. S’il cède à une certaine naïveté quant à son sujet, le film produit par son sens de l’abstraction une expérience assez suffocante.
L’électricité burlesque d’Axelle Ropert
Dans une tout autre atmosphère, Axelle Ropert, trois ans après Tirez la langue mademoiselle, a mis de côté sa sophistication feutrée pour s’essayer à un esprit plus vivace, traversé par une électricité burlesque, outrée, musicale. La Prunelle de mes yeux organise la rencontre de deux frères et de deux sœurs, voisins que tout oppose et qu’un récit élégamment chorégraphié rapprochera peu à peu.
Le film se montre très physique : tout s’y écrit en gestes, en situations, en espaces, avec une précision et une malice qui produisent moins une réussite comique (modeste) qu’une belle vigueur narrative, un dynamisme remarquable dans l’écriture des relations entre les personnages – tout s’articule autour de la cécité dont souffre le personnage principal féminin, et dont feint d’être atteint son homologue masculin. Le résultat est intelligent, mais aussi très charmeur et pop.
Dernier Français à s’être illustré, Julien Samani signe avec Jeunesse un premier long qui s’est longtemps fait attendre.Repéré dans la décennie 2000 pour quelques moyens métrages autour de la pêche, le cinéaste repart en mer avec cette adaptation de Conrad où un Kevin Azaïs assoiffé d’ailleurs, d’aventure et éventuellement d’argent s’engage sur un cargo crapoteux sans savoir qu’il y écrira peu à peu son propre naufrage.
Prenant le parti d’une représentation assez fragmentaire, suggérant l’immensité maritime et les entrailles des machineries par des procédés dépouillés, d’une belle théâtralité, le film ne semble pourtant pas toujours à l’aise dans son dénuement et laisse l’impression d’un travail pas tout à fait abouti et parfait – même s’il travaille ses trois acteurs avec une intensité, un goût de la mise à l’épreuve qui ne peuvent pas laisser indifférent.
Une sélection homogène et un hommage au king of B’s
Sans chauvinisme aucun, reconnaissons à ces Français une certaine prééminence sur ce festival, où l’on n’a pas pu s’empêcher de remarquer, parmi les beaux objets d’ailleurs, la réapparition de quelques formules typiques et autres couleurs locales. “Thaïlandisme” un peu essoufflé chez Anocha Suwichakompong (repérée pour le beau Mundane History il y a trois ans), qui mise beaucoup sur le ronron de la jungle au petit soir dans son By the Time It Gets Dark ; “newyorkisme” sommairement adopté par l’Argentin Matías Piñeiro, qui signe avec Hermia y Helena un premier film US inféodé aux codes du cinéma de thirtysomethings brooklyniens (le résultat ne manque pas de volupté et de sex-appeal mais ses tics branchés prêtent à sourire). “
Portuguisme” tous azimuts de João Pedro Rodrigues, de retour sur le devant de la scène après quelques années de prospection dans le court métrage. Son Ornithologue suit Paul Hamy dans un survival forestier qui prend vite une tournure mystique et fantaisiste : l’errance du personnage se fait rêverie, se mêle à la vie de saint Antoine et à une variation sur la condition homosexuelle. Rébus de symboles christiano-queer, le film déploie un geste accompli, ferme, sûr, mais fait l’effet d’une combinaison d’allégories à la limite de l’arbitraire et du cadavre exquis, qui a de quoi lasser.
Enfin, parce qu’il n’y a pas que devant les films que les festivals offrent de s’émouvoir, il y avait de quoi être touché par l’honneur fait cette année à Roger Corman, 90 ans. Un respect religieux émanait du public lors de la projection en sa présence du Masque de la mort rouge, sommet de son cycle Poe. On a trop vu, lors d’honneurs similaires rendus à des papes du bis, les salles glousser bêtement devant la moindre arabesque stylistique, la moindre outrance kitsch. Aussi appréciera-t-on le maintien, la gravité de ce film hautement vénérable, à la fois authentique B-movie et digne objet d’art aux faux airs de Septième Sceau. C’était sans doute une des dernières occasions de voir en chair et en os le “king of the B’s”.
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