Le Grand Prix de Bull et le reste du palmarès rendent justice à un festival dont les meilleurs titres se sont parfois fait chahuter, et inversement.
Le 45e festival du cinéma américain de Deauville s’est achevé ce week-end et si l’on aurait pu prendre peur au vu des réactions du public normand à certains films de la semaine écoulée, les trois jurys ont eu l’élégance de nous rassurer.
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Bull, d’Annie Silverstein, emporte une triple récompense honorablement méritée pour cette belle chronique d’Amérique intérieure, centrée sur une adolescente turbulente et délaissée, que vient canaliser sa découverte de l’univers violent et masculin du rodéo. Le film gagne par sa façon de ne pas chercher à se faire aimer, par l’énergie renfrognée de son actrice, par un sentiment de dureté et d’injustice avec lequel la fiction ne feint pas de négocier. Mais le caractère total de sa victoire nous dit aussi autre chose : intéressant que ce pur produit de l’indé 2019 soit à la fois lauréat et “révélation”. Comme si ces récits d’apprivoisement de grosses bêtes de somme, sur arrière-fond de misère humaine, très en vogue ces dernières années (certains journalistes plus francs du collier parlent sans se gêner “d’âge d’or du horse movie d’auteur”) étaient à la fois tout en haut, et éternellement “prometteurs”.
Le prix du jury récompense ex aequo deux films qu’il aurait difficilement pu ignorer, également repêchés de la sélection cannoise : The Climb de Michael Angelo Covino, et The Lighthouse de Robert Eggers.
Le premier suit sur le mode burlesque et au fil d’une longue période une amitié chamboulée par les triangles amoureux. Il n’est pas sans rappeler les effets de signature du lauréat 2018, Thunder Road de Jim Cummings, figurant là aussi une autre école possible de l’indé de notre temps : plans-séquences malins et sophistiqués, show total d’homme-orchestre (l’acteur-réalisateur), performance multiregistres en apnée.
Le second est hors-norme, variation en noir et blanc et au format carré sur le vieux motif de la folie insulaire, à travers la cohabitation de deux gardiens de phare joués par Robert Pattinson et Willem Dafoe. On ne peut que déplorer les huées dont fit l’objet vendredi ce film certes déstabilisant, sans doute pas exempt de défauts mais incontestablement la plus puissante, sinon une des plus puissantes singularités du programme.
Ovation discutable
D’autant plus lorsque ce même public peut réserver les ovations les plus tonitruantes à de sacrés artisans du pire, comme Nate Parker, passé il y a trois ans du statut de nouveau poulain (pour son biopic d’esclave, Birth of a Nation) à paria absolu (une ancienne accusation de viol ayant resurgi en pleine course aux oscars), et de retour avec l’abject American Skin.
À mi-chemin entre la fiction classique et le documenteur found footage, le film reconstitue un cas de violence policière raciale (un contrôle dégénère, un ado noir est tué, la hiérarchie policière ferme les yeux, la communauté manifeste et l’escalade de la violence menace), mais vire au catalogue d’à peu près tout ce qu’il ne faut pas faire tant en termes d’intelligence politique (le principe du film est une caricature de justice punitive, revenge movie assoiffé de sang déguisé en 12 hommes en colère), de chantage à l’émotion ou de morale du filmage (Parker prendrait probablement le snuff movie pour du néoréalisme). Le résultat sert finalement moins une quelconque cause que le narcissisme de son auteur, interprète du rôle principal (le père de la victime) qui jouit de s’afficher en grand héros dispenseur de tirades.
Des découvertes
En marge, deux titres encore inédits en France retiennent cependant notre attention. American Woman, présenté en 2018 à Toronto et curieusement toujours pas distribué chez nous, offre à Sienna Miller (honorée d’un hommage cette année) une partition qui donne à l’actrice l’occasion de déployer un jeu vibrant que ses seconds rôles (The Lost City of Z, American Sniper) n’avaient permis que d’entrevoir. Réalisé par Jake Scott (fils de Ridley) enclenché par la disparition inexpliquée d’une adolescente (Sky Ferreira) et suivant sur le temps long la vie de sa mère éternellement blessée, le film déroule surtout avec l’alibi de ce drame un très beau ruban d’americana, grand paysage working-class finement et généreusement sublimé à travers un destin de fille perdue, comme le ferait une chanson de Springsteen.
5B, enfin, nous a bouleversé malgré une forme documentaire plutôt convenue (archives photo et vidéo, interviews contemporaines des protagonistes délivrant leurs souvenirs), mais grâce à un sujet fort et un traitement des plus perçants. Le titre est celui d’une aile de l’hôpital de San Francisco ouverte en 1983 pour traiter spécifiquement les malades du SIDA. Première du genre, elle est dès sa naissance une entité aussi médicale que politique, ce que les réalisateurs Paul Haggis et Daniel Krauss ont compris tout de suite : une entreprise de solidarité bravant les appels à la quarantaine et l’ostracisation opportuniste des homosexuels, déterminée à reconsidérer certaines lois d’airain du processus hospitalier (les visites familiales, vu les relations que les patients entretiennent avec leurs parents), offrant moins la guérison qu’un “care” poignant (risquer une contagion dont on ignore alors le fonctionnement, prendre la main de malades que personne n’a osé toucher depuis des mois).
https://www.youtube.com/watch?v=y4WG59Pnab0
Une édition qui a pu donc nous faire un peu peur (inutile de revenir en détail sur d’autres titres ayant fait s’écarquiller violemment nos yeux, comme le Swallow de Carlo Mirabella-Davis récompensé d’un prix spécial), mais fait in fine son travail de révélation (pour les deux derniers) et/ou de confirmation de révélation (pour le trio de tête couronné par le jury après préchauffage cannois), défendant donc une position qui bien qu’affaiblie par le voisinage des mastodontes (Venise et Toronto), demeure chaque année signifiante dans le lancement des crus indés U.S. appelés à rythmer la saison à venir dans nos contrées.
Grand Prix : Bull d’Annie Silverstein
Prix du Jury ex aequo : The Climb de Michael Angelo Covino et The Lighthouse de Robert Eggers (en salle le 18 décembre)
Prix spécial du 45ème festival : Swallow de Carlo Mirabella-Davis
Prix de la critique : Bull d’Annie Silverstein
Prix du public : The Peanut Butter Falcon de Tyler Nilson et Michael Schwartz
Prix de la révélation : Bull d’Annie Silverstein
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