Compte-rendu de la troisième journée de la Berlinale.
L’Autre côté de l’espoir d’Aki Kaurismaki
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S’il y a bien un cinéaste tendre, c’est bien Kaurismaki, sous ses airs d’ogre finlandais Après Le Havre, où il racontait l’histoire d’un vieil homme qui recueillait un petit garçon africain sans papiers, Aki est de retour dans son pays et va narrer la rencontre entre un quinquagénaire qui en a marre d’être représentant en chemises et un immigré syrien. Wikhström rachète un restaurant glauque avec ses employés croquignolets, Khaled arrive caché dans un bateau et un tas de charbon (très beau plan).
Kaurismaki raconte des hommes qui n’ont rien en commun sinon un don inné pour la solidarité. Ils ne se parlent pas beaucoup mais ils agissent. On rit beaucoup (Kaurismaki n’a absolument rien perdu de son humour pince-sans-rire), surtout quand Wikhström tente par tous les moyens de renflouer son rade pourri, par exemple en le transformant en restaurant japonais (Tati’s not dead). Et une petite larme coule parfois au coin de l’œil. Oui, l’espoir n’est pas mort tant que Kaurismaki reste en forme. Un des ses meilleurs films (avec cette habitude de rater sa fin, mais on s’en fiche).
Belinda de Marie Dumora
On passe dans le documentaire. La tendresse, on la voit à l’écran. Entre les membres d’une famille du lumpenprolétariat français (ici, en Alsace), entre la cinéaste et cette famille, entre le film et nous. Belinda, Marie Dumora a commencé à la filmer quand elle avait 8 ans. Elle en a dix de plus. Son père était en prison, il en est sorti. C’est son amoureux qui y est. Elle y entrera bientôt. Ils sont touchants parce qu’ils ont des sentiments très forts. Quand le père apprend qu’elle s’est fait arrêter, il dit d’abord qu’il est déçu. Mais dans la lettre que la sœur de Belinda lui envoie, il va demander qu’on lui écrive qu’il l’aime.Voilà. Tout est dit.
Et comme chez Kaurismaki, on ne peut s’empêcher de rire quand on apprend que Belinda et son copain ont tenté de racketter des gens en se faisant passer pour des flics. Qu’ils ont été démasqués, que le copain a sauté dans le canal pour s’échapper mais qu’on l’a coincé parce qu’il ne savait pas nager. On est en pleine comédie à l’italienne, sauf que tout est vrai. Et puis il y a ce moment où l’on comprend que ces gens sont des Yéniches, une communauté de nomades, des sortes de bohémiens sédentarisés du nord de l’Europe, très catholiques, quand le père de Belinda, devant une photo de lui enfant avec toute sa famille, se met à pleurer. On n’a pas du tout envie de les juger. C’est beau, c’est tendre, ça console, le cinéma.
Drôles d’oiseaux d’Elise Girard
C’est le deuxième film de fiction d’Elise Girard, après Belleville Tokyo (avec Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm), et c’est déjà son plus beau. C’est un film sur le Quartier latin, c’est un film sur l’amour, sur la littérature, sur la liberté. Il raconte avec une pudeur extrême la rencontre improbable entre une jeune femme (Lolita Chammah) et un vieux libraire parisien misanthrope et mystérieux (Jean Sorel, de retour au cinéma après des années d’absence, toujours aussi beau à plus de 80 ans, plus de cinquante ans après Belle de jour de Bunuel).
Leur histoire d’amour est étrangement belle parce qu’on ne la voit quasiment pas. Elle passe par leurs mots, par leurs échanges de regards. On ne verra rien.Tant de pudeur, de retenue, d’ellipse amoureuse est rare au cinéma – avec ces fondus à l’iris qui semblent avoir été inventés pour le film, pour cacher doucement les images et les sentiments trop crus.
Un récit qui prend son temps, c’est beau et rare aussi, ça donne le temps de penser, de rêver ce qu’on ne voit pas. C’est dont aussi un film plein de tendresse, avec ses personnages et ses spectateurs (en plus, il y a Pascal Cervo au générique !).
Un critique de Variety voit dans Elise Girard une Jim Jarmusch française. Il nous a semblé qu’elle se plaçait plutôt dans la descendance de la Nouvelle Vague. Une descendance jamais écrasante, qui se permet même des incartades surréalistes (comme ces oiseaux qui tombent parfois du ciel parisien). Nous en reparlerons bientôt : Drôles d’oiseaux sort en avril.
https://www.youtube.com/watch?v=dtdpEZKDqxo
(De notre envoyé spécial à Berlin)
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