“Félicité” d’Alain Gomis, histoire d’amour à Kinshasa, et “One Thousand Ropes”, histoire de masseur chez les Maoris de Nouvelle-Zélande. Deux belles propositions qui sauvent une programmation médiocre.
Dans une compétition berlinoise souvent très médiocre (nous en reparlerons), les films qui proposent quelque chose (quoi ? Une vision singulière) font office d’événements.
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Félicité d’Alain Gomis
C’est le cas de Félicité, le nouveau film d’Alain Gomis (L’Afrance, Aujourd’hui), cinéaste franco-sénégalais. Le film ne raconte pas grand-chose et c’est pourtant tout : la vie d’une chanteuse de café de Kinshasa, en République démocratique du Congo, Félicité (admirable Véronique Beya Mputu), dont le fils est blessé dans un accident de moto. Son frigidaire tombe en panne (joli running gag), alors elle fait venir un réparateur, Tabu, qui se trouve aussi être le type qui se bourre la gueule tous les soirs dans la boîte où elle chante. Ils vont tomber amoureux.
Le film est une plongée hypnotique dans un pays dur et violent où la musique (répétitive, excitante, hallucinatoire) berce les âmes, les secoue, les agite les unes contre les autres. Au milieu du désastre (sanitaire et politique), Félicité et Tabu vont vivre une histoire d’amour immense, puisqu’elle consistera surtout à accepter l’autre comme il est et même à exiger de lui qu’il ne change jamais. Difficile de décrire cet objet filmique unique, assez dément, qui parvient à décire concomitamment le paradis et l’enfer. Le film sort en France le 27 mars.
One Thousand Ropes, film maori
Vu un peu par hasard (j’avais raté une séance), signalons un film néo-zélandais qui se déroule entièrement dans la communauté maori. Un film de fantômes aux accents lynchiens, mais surtout décrivant les us et coutumes sévères et rudes (tout le monde s’envoie des trucs à la figure, y compris des coups de poing) des premiers occupants de la Nouvelle-Zélande.
Le film, intitulé One Thousand Ropes, est réalisé par Tusi Ramarese. Il raconte l’histoire d’un homme plus tout jeune, qui travaille dans une pâtisserie. Mais il est connu aussi comme masseur de femmes enceintes et elles défilent toute la journée dans sa petite maison délabrée. Dans un coin de la pièce, le fantôme défiguré de sa femme, à qui il demande tous les jours de laisser la place à ses « filles ». On comprend très vite que cet homme aux pouvoirs manuels étonnants (il masse le ventre des femmes avec douceur et poigne, avec le jus des citrons de son jardin, puis s’en va pétrir du pain sans ménagement), n’a pas été toujours un « père » tendre.
Il est évidemment question des violences faites aux femmes dans une société hypermachiste. Et des frustrations d’un peuple qui a été colonisé. Mais tout est dit de biais, par les images, par les mots aussi, qui servent à créer des liens de parenté factices, trompeurs et au final dangereux (tout le monde s’appelle « père », « fille », « mère »). C’est un film qui fait peur, qui impressionne, un peu tordu, mais finalement très clair dans ses intentions. La salle s’est un peu vidée quand le personnage principal a extirpé une dent de son gros orteil atteint de goutte…
Des nanars et des cabots
Côté compétition, les inévitables nanars de Berlin ont un peu défilé. Exemple : Final Portrait de Stanley Tucci (hors compétition), la soi-disant histoire du dernier tableau peint par Alberto Giacometti. Qu’est-ce que c’est que ce bidule ? Un nanar ridicule, informe et malhonnête (totalement mensonger sur les derniers mois de la vie du grand peintre et sculpteur suisse), interprété par des cabots en liberté – Geoffrey Rush en roue libre, avec de l’accordéon dès que les personnages sortent dans Paris : vous voyez le tableau, si j’ose dire ?
https://www.youtube.com/watch?v=KT3s62mysE0
Viceroy’s house de Gurinder Chadha (toujours hors compétition), l’histoire de la décolonisation de l’Inde par Lord Mounbatten ? Mal écrit (une suite de fiches Wikipedia enfilées comme un collier de nouilles), mal joué (cabotinage britannique), mal dirigé, mal filmé (pas un seul plan digne de ce nom), mal éclairé (couleurs atroces). Même une chaîne de télévision publique n’en voudrait pas en prime time.
The Party de Sally Potter ? Un sketch pathétique de 70 minutes, benoîtement réac et antibobo primaire, du sous-Yasmina Reza filmé caméra à l’épaule et en noir et blanc sans la rigueur d’un Polanski dans Carnage. Le tout noyé sous une distribution qui se croit impressionnante mais qui, là encore, laisse la part belle aux petits péchés mignons de chacun de ses interprètes : Kristin Scott Thomas grimace, Cillian Murphy transpire, Bruno Ganz gâtise et Timothy Spall (prix d’interprétation à Cannes 2014 dans Mr Turner de Mike Leigh) en fait trop même quand il ne fait rien. Cerise sur le gâteau, Sally Potter, la réalisatrice, en profite pour s’octroyer le rôle du seul personnage un peu « lucide » (tendance « je détruis tout le monde avec mes répliques »), ce qui met un peu mal à l’aise.
https://www.youtube.com/watch?v=W_3BCLgdHhQ
Demain, je vous parlerai si vous êtes sages du nouveau Akira Kaurismaki, et de deux jolis films français : Belinda de Marie Dumora (présenté au Panorama) de Drôles d’oiseaux d’Elise Girard (au Forum).
(De notre envoyé spécial à Berlin)
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