Le Festival Cinéma du réel vient de conclure sa semaine au Centre Georges Pompidou. Compte rendu sélectif avec, en prime, une découverte : le vrai visage du vacancier et ami de Pasqua, le fameux Didier Schuller, devenu vedette malgré lui. Dans le catalogue du dix-septième Festival Cinéma du réel, les préposés de la sélection, le […]
Le Festival Cinéma du réel vient de conclure sa semaine au Centre Georges Pompidou. Compte rendu sélectif avec, en prime, une découverte : le vrai visage du vacancier et ami de Pasqua, le fameux Didier Schuller, devenu vedette malgré lui.
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Dans le catalogue du dix-septième Festival Cinéma du réel, les préposés de la sélection, le nerf optique surtendu par le visionnement de quelque sept cents films, dressent un mini-bilan de la production internationale, dénonçant en particulier l’influence croissante des mauvaises manières de la télévision sur le documentaire : les sujets « repli frileux sur le cocon familial », « micro-événement d’une totale banalité » mais aussi les procédures « surcharge emphatique du son ». Soit. Mais si on peut regretter en effet que le « reality-show » et ses dérivés (films de vacances, vidéo-gags, porno amateur) pénètrent de force comme la médiocrité d’un « mauvais » réel dans le royaume ultradigne des « bonnes » images documentaires, on ne peut nier en revanche que le caméscope, nouvelle technique légère d’enregistrement, a ouvert une brèche où se sont engouffrés nombre de jeunes cinéastes. Et plutôt avec bonheur à en juger par le Raja Sarajevo d’Erik Gandini ou La Nuit partagée de Philippe Larue : deux premiers films, l’un sur des rockers en survie sous le fardeau de la guerre, l’autre sur des rappers et danseurs de la banlieue parisienne saisis de plein fouet dans la préparation d’un spectacle, sous la férule du chorégraphe Jean-François Duroure.
Par ailleurs, toujours sur le credo « résistant » qui énerve la coterie assiégée des tenants du « réel », on peut citer Deleuze quand il écrivait que la valeur esthétique suprême est désormais « l’intéressant » avec son corollaire direct, la visite de l’usine ou des coulisses. On tient peut-être alors une notion plus claire pour comprendre que le documentaire, ce n’est pas seulement ce grand genre ennuyeux, mais aussi la matrice d’un certain rapport au monde perçu comme une fantastique mécano. Qu’il faut entretenir ou célébrer, mais qui ne se démonte pas. La télévision ne fait somme toute que recycler, éventuellement au rabais, cette capacité inusable du documentariste à se pencher sur le pittoresque des choses avec le regard affamé du touriste ivre de cogner tous les cent mètres sur des gens admirables, des situations pas possibles et de l’émotion brute.
Dans La Conquête de Clichy, Christophe Otzenberger instruit un lourd dossier, qui suit de bout en bout la campagne de Didier Schuller en vue des élections cantonales dans les Hauts-de-Seine, fief de Charles Pasqua. Pour le coup, Otzenberger n’a sans doute pas eu à se forcer pour trouver prodigieusement « intéressant » ce qui tombait sous le regard ahuri de sa caméra vidéo. Pour arracher la ville aux mains du socialiste Gilles Catoire, Schuller emploie, avec sa délicatesse d’énarque, l’artillerie lourde. Sur le versant du journalisme hard, avec pour modèle implicite le film interdit de Depardon sur Giscard en campagne pour la présidentielle de 1974, La Conquête de Clichy ouvre le couvercle sur un nauséeux frichti politicard. On apprend de la bouche intarissable du Moloch-Schuller que, en vrac, « les socialistes sont spécialistes des affaires sous-marines », que « depuis Tchernobyl, il ne neige plus en Alsace », qu’il faut pas pousser mais l’insécurité, « ça vient de Dakar et de Tizi-Ouzou » et que Clichy est une « ville populaire qu’il faut refranciser, en construisant des logements en pleine propriété qui puissent attirer des gens qui ont de l’argent ». Flanqué d’une redoutable cheftaine de campagne, archétype de la furia Hermès aveuglée, et d’un troupeau de militantes chenues (moyenne d’âge : 70 ans) mais la rage aux lèvres à la seule évocation de l’ennemi « rouge » Catoire (« C’est un véritable cochon, sa cravate lui sert de bavoir »), Schuller trimbale sa carcasse d’ogre souriant et se fend d’un grand écart démagogique entre les deux pôles de son électorat (modéré et extrémiste) jusqu’à dislocation du scrotum. Otzenberger ne se contente pas de survoler l’hallucinant chantier à ciel ouvert de la bêtise française cet état de gauloiserie sauvage qui veut que, dans un banquet, Didier Schuller chante « Omar du pinard » en tapant sur la table et imite le brame d’amour du cerf en râlant dans une bouteille de Badoit sciée , mais témoigne aussi d’une confusion mentale avancée des citoyens aux abois en matière de politique. En effet, cet homme qui s’exaspère sur la sécurité et l’immigration compte quand même dans ses troupes des Beurs qu’il est douloureux de voir disputer les mêmes petits fours que, au hasard, cette bourgeoise excédée du bruyant « bicot » de son palier. Confusion plus noire encore quand le micro chope le socialiste aux prises avec une mémère qu’un projet de logements sociaux traumatise : « Non, rassurez-vous, c’est pas pour les SDF, on les a mis dans un endroit discret… » Quel beau pays. Pour qui l’ignorait encore, Didier Schuller gagne les élections à la fin du film. La suite, pas triste, est connue et le feuilleton n’a pas encore livré tout son jus.
Raulien’s revier de la jeune Allemande Alice Agneskirchner, pour aride qu’il ait pu paraître, ne hurle pas de surprise à chaque plan : tant mieux. Là, dans un quartier pourri en pleine Ruhr sinistrée, le Réel a la mine débonnaire d’un flic à deux doigts de la retraite, réglant à l’amiable des petits problèmes quotidiens, des affaires de voisinage, d’acrimonie sans importance mais qui minent la vie. Dont, en fil rouge, un imbroglio familial opposant Saïd et Karem, deux frères ennemis convoitant la même madame Illhardt. Preuve à l’appui, Raulien’s revier démontre que, télé ou pas, même les micro-événements peuvent ouvrir des perspectives inouïes pour peu que le hors champ se mette brutalement à fictionner comme une vache folle. Le spectateur peut avoir le sentiment de rater l’essentiel, présent en somme aux seuls moments faibles ou paisibles de l’action. Mais c’est aussi que la cinéaste se contente de percevoir ce qui filtre de la vie privée dans le bain public et ce qui de la communauté tient encore, en dépit du chômage (50 % de la population) et du racisme ordinaire (75 % d’immigrés et quelques vieilles Allemandes nostalgiques).
Dans Coûte que coûte, Claire Simon accompagne l’évolution d’une entreprise de plats préparés à Nice. Faute de pouvoir en assainir les comptes, le patron s’ingénie jour après jour à maintenir un cap victorieux, mais le rafiot coule gaiement. Ficelé comme une comédie haletante, filmé caméra à l’épaule, musiqué par Arthur H, Coûte que coûte pulvérise les conventions du reportage et considère son sujet comme une intrigue de fiction. Les dogmatiques bouderont, les autres y verront une incursion franche dans l’univers hystérisé de la gagne, du stress et du dérapage burlesque qui en découle. Et il reviendra à Claire Simon seule d’avoir su capter la gêne singulière des employés quand le patron, fauché et hagard, n’assure plus une bille. Quitte à ouvrir des abîmes, une question de fond : dans quelle mesure la présence de la caméra, favorisant un certain histrionisme des ouvriers et une vraisemblable passion de l’échec chez leur patron, n’a pas précipité la décadence de la boîte ? Réponse : ?!
A la mode de Didier Schuller, on voudrait pousser un cri d’amour pour un portrait court (26 minutes) : Paroles peintes, signé Gil Moizon. On y découvre une espèce de sainte terrienne, Yvonne, ex-agricultrice dans le bocage vendéen, devenue peintre aux heures désoeuvrées de sa retraite. Du jour au lendemain, Yvonne a jeté sur la toile son monde secret. Ces tableaux représentent des scènes de sa vie très quotidienne et s’appellent : « Le bois mort » ou « Vieilles choses, vieilles gens ». Avec un minimum de moyens, Gil Moizon parvient à donner une image juste de la passion exclusive de cette dame qui aime la nuit où « passent des chevreuils, des sangliers ». L’air de rien, le charme dénudé de l’art brut de l’amie Yvonne et la moisson poétique de Paroles peintes pourraient bien s’avérer des plus persistants, bercés entre Murat (« Qui dira les joncs, les genêts ») et Ashbery (« Simples, les arbres posés sur le paysage »). Un autre air. Du temps, recueilli.
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