A Buenos Aires se sont croisés Francis Ford Coppola et Benjamin Biolay, les dernières éclosions du cinéma d’auteur argentin et la recherche du temps perdu de Vincent Dieutre.
Circuler dans Buenos Aires à la mi-avril 2008, c’est d’abord camper dans le hors-champ d’un film de Coppola. Le grand Francis Ford est devenu porteño et tourne en ce moment dans les rues de la ville Tetro avec Vincent Gallo et Carmen Maura, et tout ce que la ville compte de cinéphiles s’organise en commandos pour pister le tournage et croiser le maître exilé. Mais circuler dans Buenos Aires à la mi-avril 2008, c’est aussi traverser des décors surgis d’un film-catastrophe à la Cloverfield, un gigantesque nuage de fumée noire ayant recouvert la ville suite à un incendie de pâtures mal maîtrisé.
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C’est donc un public les yeux rougis et pris de toussotements convulsifs qui se réfugiait à la 10e édition du Bafici, le festival du cinéma indépendant de Buenos Aires – devenu au fil des ans une plate-forme majeure du cinéma d’auteur mondial et le meilleur poste d’observation de toutes les forces émergentes des cinématographies sud-américaines. Parmi les nombreux films argentins présentés au festival, la plus belle découverte fut celle de Una semana solos de Celina Murga. La jeune femme s’était déjà fait remarquer il y a quelques années par son précédent Ana y los otros (distribué en France en 2004), sur le retour d’une jeune femme dans sa ville natale, après s’être installée dans un Buenos Aires dévasté par la crise économique. Dans sa façon de faire exister les personnages par groupes, de suivre leurs déambulations dans des espaces domestiques, le cinéma sensible et fin de Celina Murga n’est pas sans rappeler La Ciénaga (Lucrecia Martel, 2001). Le film raconte quelques journées dans la vie d’enfants issus des classes privilégiées, vivant dans un lotissement surveillé par une milice et dont les parents sont en déplacement. Livrés à eux-mêmes, ils déambulent dans cette bulle protégée, filmée à la fois comme un paradis artificiel et une prison. La violence de classe, soigneusement gommée par le dispositif policier qui les coupe de la réalité du monde, fait retour avec l’arrivée d’un nouvel adolescent, frère cadet de la domestique, venu rendre visite quelques jours à sa sœur. Des liens de désir, de jalousie et d’envies d’insurrection vont alors s’échanger, et le film fait preuve d’une égale finesse dans l’étude de caractère de ces adolescents et dans le maniement des ressorts de la fable sociale.
Si le cinéphile européen peut découvrir à Buenos Aires les jeunes pousses du cinéma national, le public argentin peut aussi découvrir les films d’art et essai occidentaux, qu’un faible réseau de salles spécialisés ne leur permet pas de voir durant le reste de l’année (une dizaine de films français arrivent par an jusqu’à Buenos Aires). Cette année, Serge Bozon, Nicolas Klotz et Jacques Nolot présentaient leurs derniers films dans des salles pleines, face à un public avide de rencontres et de débats.
Vincent Dieutre montrait quant à lui sa dernière œuvre, Después de la revolución, tournée ici-même lors d’une précédente édition du Bafici. Después de la revolución est une sorte de remontée aux origines. Vincent Dieutre, en effet, a été formé culturellement par la fréquentation au début des années 80 d’artistes argentins en exil à Paris (la bande d’Arrieta, Copi…). Découvrant pour la première fois Buenos Aires vingt-cinq ans plus tard, le cinéaste traque les vestiges de cette ville où il a la sensation d’être né sans pour autant la connaître. L’exploration de cette géographie imaginaire, faite de collages d’images et d’envoûtants fondus enchaînés, compte parmi les films les plus émouvants de son auteur.
Cette édition se terminait par un triomphe de la chanson : projection en soirée de clôture des Chansons d’amour de Christophe Honoré, et la veille un concert très réussi de Benjamin Biolay, devant un public fourni, conquis par celui que la presse locale annonçait comme “el nuevo Serge Gainsbourg”. Non sans être allé au prélable se recueillir dévotement devant le bar de tango où fut tourné dix ans plus tôt le Happy Together de Wong Kar-wai, on quittait donc la ville en fredonnant l’entêtant refrain de Biolay : “Laisse aboyer les chiens, la caravane est loin, on ne marche plus on avance.”
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