Un rapport du CNC revient sur la place des femmes dans l’industrie du cinéma, et pointe les inégalités flagrantes qui gangrènent le milieu de la production mais également la structure d’aide principale, le CNC lui-même.
Le CNC a dévoilé jeudi 23 février les résultats d’une étude qui s’intéresse à « l’évolution de la place des femmes dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel » français, entre 2006 et 2015. Elle montre une évolution générale en faveur de la parité, bien que les inégalités soient toujours de mise, notamment concernant la représentation des femmes dans les métiers de cinéma ou du niveau des salaires. Cette étude a été menée en parallèle par le CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée) et par Asiens, groupe de protection sociale spécialisé dans la culture et les médias.
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Alors que le sexisme qui baigne le milieu cinématographique a fait sa réapparition ces derniers jours suite à la présentation jugée tendancieuse d’une rétrospective de la réalisatrice Dorothy Arzner à la Cinémathèque française, le rapport du CNC démontre qu’en plus de l’esprit phallocrate qui semble habiter la sphère du cinéma français, la parité est loin d’être gagnée en ce qui concerne la production de films.
C’est ainsi que sur les 300 films agréés par le CNC en 2015, 63 sont réalisés par des femmes (232 par des hommes, 5 productions mixtes) contre 35 en 2006 – soit une augmentation de 71% quand le nombre total de productions augmente lui de 48%. Mais cela ne correspond qu’à 21% du total de films réalisés en 2015. On constate également que la somme moyenne accordée à un film réalisé par une femme, toujours en 2015, s’élève à 3,5 millions d’euros quand un projet réalisé par un homologue masculin voit cette moyenne monter à 4,7 millions d’euros. Si l’écart tend à se réduire sur 10 ans (+ 10% pour les premières, -19% pour les seconds), l’écart est encore important.
Des chiffres symboliques positifs
Pour mettre en avant les résultats plutôt positifs de la France comparés aux autres pays européens, le rapport du CNC indique que 22,3% des films nationaux sortis entre 2011 et 2015 sont menés par des réalisatrices, devant l’Allemagne (19.7%) ou l’Italie (10.2%). Au cours de ces cinq ans, 282 films français sortis ont des femmes derrière la caméra, ce qui correspond à 45% de la production « féminine » européenne.
Autre signe de réjouissance pour l’étude, la confirmation que les réalisatrices vont être de plus en plus présentes dans les années à venir. Sur les 415 qui ont travaillé sur un film entre 2006 et 2015, 114 en ont réalisé plusieurs. De plus, parmi celles qui ont sortis leur premier film dans cette période, elles sont 12 à en avoir sortis au moins 3, comme Mia Hansen-Love, Rebecca Zlotowski ou Camille Mauduech. Ce qui semble apparemment assez pour parler de « nouvelle génération de réalisatrices ». Des chiffres fournis par la Fémis, une des écoles de cinéma françaises les plus reconnues, montrent que durant la dernière décennie, l’école a accueilli 51% d’élèves de sexe féminin.
Réalisatrice: salaire plus bas de 42%
Concernant le salaire toutefois, sur les 23 métiers intervenant dans la production d’un film et pris en compte par l’étude, les réalisatrices se retrouvent avec un salaire horaire en moyenne 42% inférieur à celui des cinéastes masculins. Et la tendance s’étend à presque toutes les fonctions, exceptés cas exceptionnels (pour les scriptes, poste majoritairement occupé par des femmes, et cascadeuses, du fait de leur faible représentations). Ainsi, une décoratrice est payée en moyenne 16% de moins qu’un homologue du sexe masculin, une opératrice 29% de moins, une actrice 9%. Et sur des postes majoritairement occupés par des femmes, comme costumier-ière (88% de femmes) ou coiffeur-se (74%), l’inclinaison est la même, avec un écart respectif de 10% et 13%. Il semble cependant que le nombre de métiers affichant une différence d’au moins 25% d’un sexe à l’autre à baisser. C’est déjà ça, mais encore tout à fait insuffisant.
Concernant la représentation des métiers de la production autre que la réalisation, le nombre de femmes travaillant à la production d’un film de fiction d’initiative française a augmenté de 20% entre 2006 et 2014 (contre 5% pour les hommes). Elle représentait 44% des effectifs en 2014.
Enfin, au-niveau du nombre d’entrées des films réalisés par des femmes entre 2006 et 2015, sur LOL (2008) de Lisa Azuelos trouve une place parmi les 25 meilleurs résultats avec 3.7 millions d’entrées. Cela s’explique, selon l’étude, par le plus faible budget accordé au film mené par des réalisatrices et leur propension à réaliser des films moins grand public. Le dernier film d’une réalisatrice à avoir dépassé le million d’entrées sur cette période se trouve être Connasse, princesse des coeurs (2015) de Noémie Saglio et Eloïse Lang.
Une situation préoccupante, donc, qui s’explique difficilement, à part par un sexisme ambiant et pas encore assez remis en cause. Mais cette situation d’inégalités de représentation ne se retrouve pas que dans les métiers de la production. Ainsi, bien que ce ne soit pas mis en avant dans les différentes présentations et résumés de l’étude, le CNC est également travaillé par des inégalités dans la répartition de ses postes.
Des inégalités au sein même du CNC
Si, en 2015, les femmes représentes 60.8% des employés du Centre, cette part diminue avec la montée en grade et la responsabilité du poste. Le comité de direction est ainsi constitué de 20 membres dont 9 de sexe féminin. Ces bons chiffres sont toutefois contrebalancés par ceux des commissions, qui statuent sur les dossiers de demandes d’aides.
La loi sur la parité, promulguée en 2014, ne concerne pas la grande majorité des commissions, un certain nombre d’entre elles ne respectent donc pas la parité : l’étude indique que trois des commissions « au sein de la Direction du cinéma » sont paritaires, mais ne précisent pas sur un total de combien. Le site du CNC ne renseigne pas leur nombre exact mais on peut en compter une vingtaine sur cette page. Les présidences des commissions souffrent du même mal, étant composées à 82% d’hommes, 60% pour les vices-présidences. L’étude montre toutefois que le CNC a conscience du problème et s’engage à plus de parité à l’avenir.
Un rapport américain a précédé de quelques jours la sortie de cette étude. Il s’intéressait à la diversité à Hollywood, et montrait également des signes d’amélioration malgré une sous-représentation encore flagrante : si les minorités ethniques représentent 40% de la population américaine, seuls 13% des acteurs principaux et 10% des réalisateurs en sont issus. Les femmes (moitié de la population US, s’il faut le rappeler) tiennent 29% des rôles principaux et ne représentent que 10% des réalisatrices. L’étude relève que cette situation est d’ailleurs contre-productive, 45% des places ayant été achetées par des membres de minorités.
L’étude du CNC et sa présentation sommaire sont consultables via cette page.
Signalons enfin la tenue du 39e Festival international du Film de Femmes de Créteil, qui aura lieu du 10 au 19 Mars 2017. Au programme, un hommage à Dorothy Arzner, Nathalie Magnan et un autoportrait de l’actrice Nathalie Richard. Rendez-vous est pris.
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