Révélé dans « LOL », le comédien français de 27 ans est à l’affiche de « Cherchez la femme », l’occasion de parler de burqa, de drague, d’angoisses et de son premier long-métrage en préparation, « Deux fils », où il dirigera Benoît Poelvoorde et Vincent Lacoste.
Aussi à l’aise dans les comédies commerciales comme LOL de Lisa Azuelos (2009) et Télé Gaucho de Michel Leclerc (2012) que dans le registre de la comédie plus indé avec A trois on y va de Jérôme Bonnell (2015), Félix Moati se fait doucement une place dans le cinéma français. Déjà nommé deux fois au César du meilleur espoir masculin, l’acteur de 27 ans est également épris d’un désir de réalisation. Son premier court-métrage, Après Suzanne (2016), a été sélectionné en compétition à Cannes l’année dernière, avant de récolter une nomination aux César.
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Alors qu’il est en pleine préparation de son premier long, Deux fils, qu’il tournera avec Benoît Poelvoorde et Vincent Lacoste, nous le rencontrons dans les minutes qui précèdent l’avant-première de son dernier film en tant qu’acteur, Cherchez la femme de la réalisatrice franco-iranienne Sou Abadi (2017). Il y incarne un jeune homme qui est obligé de se cacher sous un burqa pour voir la femme qu’il aime. Macabre coïncidence, le cinéma où le film est projeté se situe à quelques dizaines de mètres du lieu de l’attentat raté des Champs-Elysées qui vient de se produire quelques heures auparavant.
« Je t’assure que ce n’est pas une animation de mauvais goût pour la promotion du film », tente-t-il de plaisanter pour détendre l’atmosphère.
Mais précisément, est-ce que le caractère au premier abord assez polémique du film t’a-t-il fait peur ?
Félix Moati – Au début, je me suis dit, wahou, c’est un sujet compliqué donc il faut que le traitement soit à la hauteur. Les aspects polémiques du projet n’ont pas du tout constitué une motivation. Par contre, ce qui me motive quel que soit le sujet, c’est de me saisir du tragique du monde, de son chaos contemporain et de son actualité pour en faire une comédie. Le scénario de Sou était très bien fait de ce point de vue-là. Il partait d’une situation très crispée pour générer de la comédie et du lien, là où tout le monde essaie de nous fragmenter. Et puis il y avait aussi le plaisir du déguisement. Maquiller ses yeux, déguiser sa voix… En fait, je disparais sous cette burqa. Il y avait une vraie jouissance pour moi dans le fait de tout vivre de l’intérieur sans que cela soit vu. Tout passait par les yeux et par le corps, comme dans un film burlesque.
Qu’as-tu ressenti la première fois que tu as mis cette burqa ?
Je me suis tout de suite baladé tout seul sous la burqa dans la rue, là où nous faisions les essais filmés, à Ivry. J’ai ressenti l’animosité et l’hostilité des gens. Cela m’a fait de la peine car je me suis rendu compte de la bêtise dans laquelle moi-même je pouvais être. J’ai aussi ressenti beaucoup de chaleur et un sentiment de claustrophobie.
Tu n’es pas inquiet que le film soit mal perçu par une partie de la communauté musulmane ?
J’ai une confiance totale en la communauté musulmane. C’est la société civile française, je ne les mets pas à côté. Donc je n’ai aucune inquiétude. Après les gens peuvent toujours s’arrêter sur l’affiche ou la bande-annonce, mais je trouve ça consternant. Si on a affaire à des abrutis, on ne les sauvera pas. Mais les gens qui iront voir le film verront que c’est un film réconciliateur et un espace de vivre ensemble. Tout le monde en prend pour son grade que ce soit les intégristes, les bourgeois, les féministes et les étudiants de Science Po.
https://www.youtube.com/watch?v=FaJDMUZM8Fc
Et puis le film est aussi le trajet d’une déradicalisation par la culture de l’Islam. Que connaissais-tu de cette culture avant de faire le film ?
Je parle l’arabe littéraire parce que, dans l’adolescence, j’étais fasciné par les textes sacrés dans ce qu’il racontait des origines de l’homme. Donc j’avais des connaissances sur l’islam qui est une religion infiniment poétique et douce, contrairement aux fantasmes relayés par BFM TV. Et puis la préparation du tournage m’a poussé à me replonger dedans, ce que j’ai fait avec beaucoup de plaisir.
Tu cumules désormais les casquettes de réalisateur et d’acteur, avec laquelle des deux es-tu le plus à l’aise ?
J’aime le fait de pouvoir tout contrôler dans le travail du réalisateur. Quand tu réalises, tu peux vraiment affirmer ton désir tandis qu’en tant qu’acteur, tu dois d’adapter au désir du réalisateur, ce qui est parfois violent pour mon type de personnalité. Mais quand j’adhère à un film, j’adore faire l’acteur et me mettre au service de la vision d’un autre. De manière générale, j’essaie d’avoir une certaine cohérence dans mes choix de projets, que cela soit mes propres films ou ceux dans lesquels je joue.
Il se dégage de ton court-métrage une vision de l’existence très tourmentée, faite d’un fort sentiment de solitude, d’angoisses et d’un rapport compliqué aux femmes. Est-ce quelque chose que nous allons retrouver dans ton long-métrage ?
Oui, tout à fait. C’est le sujet du long-métrage justement, mais à travers trois portraits d’homme ; un jeune garçon, un jeune homme et un homme. Benoît Poelvoorde est pris des mêmes angoisses, de cette peur totale du vide et de ce rapport tourmenté aux femmes. De son côté, Vincent Lacoste, qui est un peu mon alter-ego dans le film, a du mal à se remettre de l’absence de la femme qu’il aime. Il rencontre une autre femme mais ne parvient pas à l’aimer car son cœur est faible. Enfin, il y a un petit garçon de 13 ans, qui vit ses premiers émois érotiques et se retrouve tiraillé entre son amour du sacré, puisqu’il est très religieux, et la chair qu’il découvre. D’une manière générale, ce sont trois figures masculines qui doivent faire face à leurs faiblesses.
S’agit-il de trois portraits de toi, deux passés et le dernier, futur ?
Non, l’homme incarné par Benoît Poelvoorde est plus calqué sur la figure de mon père. Les deux autres ont une dimension très autobiographique oui. Je pense également parler du rapport au frère dans le film.
Un monde sans femme donc, mais habité par l’angoisse du rapport aux femmes ?
Oui, le rapport aux femmes et plus généralement à l’objet de son désir, qui est forcément un rapport tourmenté. Il dit tellement de choses sur nous, sur ce que l’on cherche dans l’autre. Alors que la beauté du désir est de s’abandonner. C’est ce mélange d’abandon et de retour sur soi qui me fascine. Après, ce n’est pas un rapport malheureux mais positivement angoissé, vif en fait. Ceci dit, il n’y a rien de pire que l’absence de la femme aimée, même quand tu as 13 ans, que tu tombes amoureux en colonie de vacances et que tu sais que tu vas devoir attendre un an pour revoir ta petite copine. Ce qui m’est arrivé. Adolescent, j’avais rencontré une Américaine pendant l’été. Je lui avais écris des lettres mais elle ne m’a jamais répondu. Cette expérience de l’absence a été constitutive chez moi parce qu’elle m’a totalement obsédé. On néglige souvent les amours d’enfance mais ils sont fondamentaux.
Et y a-t-il une figure de mère dans tout ça ?
Non, et je n’élucide pas cette absence dans le scénario. Mais je me dis qu’en ne parlant jamais de la mère, sa présence sera d’autant plus envahissante. Je laisse cela à la libre interprétation du spectateur. Je ne sais pas vraiment pourquoi je ne parle pas de ma mère dans ce film pourtant très autobiographique. D’ailleurs, je sors de chez ma psy là. Ma mère… C’est un vrai sujet d’émotion. Je pense que j’avais d’abord envie de m’affirmer face à une figure paternelle et surtout à moi-même. Mais je dois beaucoup à la proximité avec ma mère et ma sœur dans le sens où elles m’ont ouvert à une autre sensibilité.
Si tu as trouvé la femme qui est en toi, qu’en est-il de l’homme ? Est-ce que la question de la virilité est par exemple importante pour toi ?
Plus que la virilité, c’est la masculinité qui m’intéresse. Qu’est-ce que ça veut dire d’être un homme? Cela, j’y pense tous les jours. J’aime la masculinité nonchalante, celle de Mastroianni, de Depardieu, de Lacoste aussi. Mais je pense que notre douleur vient de fantasmer ce que les femmes attendent des hommes. J’en reviens à cette expression extrêmement stupide car elle ne veut rien dire mais je pense qu’il faut “être soi-même”, surtout ne pas essayer de draguer. Quand tu es une femme, tu es constamment sollicitée… Heureusement, il y a de plus en plus de filles dragueuses. Le problème est qu’il y a encore une injustice faite au désir des femmes. C’est toujours plus difficile pour une fille d’exprimer son désir. Elles ont peur d’être jugées alors qu’il faudrait juste qu’elles se sentent libres. Car il n’y a rien de plus beau qu’une femme qui se libère.
Dans Deux fils, tu restes dans le registre de la comédie ?
En fait, j’avais écris Après Suzanne comme une comédie mais le film est triste comme la pierre. Alors j’espère que là, les gens vont rire. Parce que oui, c’est une comédie, une comédie sur le langage. J’aime quand le langage déborde. Pour moi, les films de Martin Scorsese, de Woody Allen ou d’Arnaud Desplechin, ce sont des comédies parce que ça parle trop, c’est de mauvaise foi et ça dissimule ce qui nous intéresse vraiment, les angoisses. J’aime bien les gens qui brassent du vide, qui ne sont pas dans un langage informatif.
C’est finalement ce rapport fort qu’entretiennent la psychanalyse et ce type de comédie qui semble t’intéresser ?
Oui, dans la psychanalyse comme dans la comédie, il s’agit de faire surgir le signifiant à partir du chaos. Et puis savoir que l’on peut nommer les choses me rend le monde un peu plus habitable. On vit dans un monde de plus en plus opaque et indéchiffrable. Les mots, même et finalement surtout quand ils nous trahissent, sont une manière de se le réapproprier.
Propos recueillis par Bruno Deruisseau
Dans les poches de Félix :
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