Un film de chevalerie mutant entre mythologie malade et ressassements de motifs chers au cinéaste.
Le Dernier Duel s’est dévoilé ces derniers mois comme un objet potentiellement singulier, bizarre et difforme, avec ses stars volontairement enlaidies, affublées de vilaines peaux et de coiffures ridicules. De quoi espérer un rapport quelque peu remué au genre chevaleresque, au charisme traditionnel de ses héros et héroïnes, et peut-être même à toute sa mythologie faite de luttes d’honneur, de manichéisme monolithique et de princesses éplorées.
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Scott ne dilapide finalement pas cet héritage, mais il en livre tout de même une version alternative, complexée, privée d’épopée et de magie, comme si l’enchantement pur n’était plus possible et que l’imaginaire ne pouvait renaître que sous une forme malade, plus matérialiste (une chevalerie subalterne et désargentée), hantée par la parodie (on n’échappe pas à quelques pensées parasites pour Kaamelott ou les Monty Python).
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Construit comme un dossier judiciaire
Le réalisateur de Gladiator (2000) se console en s’autorisant, quand le récit le permet, de joyeux retours à la charcuterie, mais assume bel et bien cette forme taciturne, élégamment empesée, quasiment behavioriste dans sa description scrupuleuse des rites et notamment de la place du sacré dans la France du XIVe siècle. Un genre qui donc vacille sur son socle, pour servir d’écrin à une étude de cas consistant elle-même à faire vaciller la clé de voûte dudit genre, s’agissant bien évidemment du masculin – à l’instar de ce qui se passe en ce moment dans le western, avec les nouveaux films de Jane Campion et Kelly Reichardt.
Construit comme un dossier judiciaire contradictoire alternant les points de vue sur des faits ressassés, le film gravite autour d’un viol (notion qui n’existait alors ni dans la langue ni dans les lois – il est quelque peu regrettable et anachronique que le mot y soit prononcé) : celui de Marguerite de Thibouville par le chevalier Jacques Le Gris, rival de son mari Jean de Carrouges, occasionnant l’un des derniers duels judiciaires de l’histoire (un combat singulier, dont l’issue vaudra pour verdict divin).
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Mais il s’intéresse finalement moins au vécu de sa victime qu’à l’interprétation double qu’en fera la société patriarcale de son époque : d’un côté, celle d’un honnête mari, brave guerrier écarté du jeu courtisan par ses soucis pécuniaires et son tempérament ombrageux, injustement bafoué ; de l’autre, un chevalier sulfureux, séduisant, plus jeune et plein de passion, convaincu de n’avoir qu’exprimé par sa fougue un amour réciproque.
L’intérêt principal du résultat réside dans la façon dont chacune de ces versions va peu à peu se couvrir de ridicule, d’une manière qui reste convenue dans son diagnostic de base (les grands héros virils sont secrètement des petits garçons soupe au lait, incroyable) mais très stimulante et nuancée dans ses ramifications (on ne se rassasie jamais de ce que les rapports entre les personnages et leurs perceptions d’eux-mêmes donnent à penser). Ce qui n’est d’ailleurs pas sans éclabousser d’autres films de Scott, la première partie jouant la vieille rengaine du digne mari bafoué n’étant au fond pas si éloignée d’un remake de Gladiator.
Le Dernier Duel de Ridley Scott, avec Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer (E.-U., 2021, 2h33). En salle le 13 octobre.
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