Le premier spinoff de la franchise “Fast and Furious” est aussi le plus désinvolte et le plus rafraîchissant de ses épisodes.
On n’a franchement jamais bien su ce qui caractérisait un Fast and Furious, la franchise lancée en 2001 s’étant dès ses débuts mise à chasser – pied au plancher et NOS [Nitrous Oxide Systems – ndr] plein les tuyaux – tout un tas de lièvres, pour s’imposer finalement comme la marque la plus versatile parmi les poids lourds hollywoodiens.
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Versatilité des thèmes (après la primeur street racing et le temps du grand banditisme mondialisé, la saga flirte carrément avec le cinéma de super-héros maintenant – voir le rôle du bad guy Idris Elba), versatilité du casting (un Vin Diesel refusant des ponts d’or et disparaissant de fait entre le premier et le quatrième volet ; un troisième épisode à distribution revue à neuf…). Si l’on avait cru que tout cela se fixait sur une forme moins foutraque à partir d’un certain état de grâce début 2010’s, représenté par les tomes 4 à 8, le décès accidentel de la tête d’affiche Paul Walker en décembre 2013 semble avoir bel et bien remis du chaud sous la marmite, obligeant les scénaristes à recomposer le partition, et renvoyant la réaction chimique F&F à la joyeuse instabilité de ses débuts.
Vacances
Preuve en est de ce Hobbs & Shaw, premier “spin-off” officiel, donc (mais spin-off de quoi, du coup ? – ça devient presque drôle), qui offre le lead à deux mastodontes des seconds rôles (les super-flics Jason Statham et Dwayne Johnson), et s’offre surtout à lui-même une vacance totale, désinvolte, peinarde, débarrassée des deux fondamentaux de la maison.
Le premier, c’est l’arc narratif de Dominic Torreto (Vin Diesel) et de son gang de mécanos/pilotes/braqueurs, complètement absent de l’intrigue ; le second, mais il va de paire avec le premier, c’est toute la quincaille tragico-beauf qui fut à la fois l’éternel charme plouc de la saga et aussi son enclume véritable, prenant généralement la forme d’interminables monologues de Vin Diesel sur ses grandes vertus familiales et son code moral virilo-automobile (ma bite et mon coupé), aussi finauds qu’un laïus de troisième ligne sur les valeurs de l’ovalie, et qui nous sont donc épargnés.
Car ici ce n’est pas du tout le ton : Hobbs & Shaw se démarque en soulignant, parfois avec un peu trop d’insistance d’ailleurs (la six ou septième scène de clash de cour de récré façon MTV’s Yo Momma n’est pas indispensable), sa légèreté de ton et son ancrage dans la vieille tradition du buddy movie.
Je préfère travailler en solo
Forcés de coopérer malgré leur détestation mutuelle pour empêcher un groupe criminalo-industriel mené par un super-soldat avengeroïde (Idris Elba) de mettre la main sur une arme chimique, l’Américain chaleureux et l’Anglais glacial laissent volontiers transparaître sous les coutures de l’actioner contemporain (où tout le monde est à peu près à égalité au compteur de badassitude, de punchlines, de mumuscles et autres signes extérieurs de maturité) une subsistance du plus vieux pas de deux de l’art burlesque : Johnson en auguste, Statham en clown blanc, s’aventurant gaiement dans la dérision et le jeu naïf sur soi entre la baston de midi et la poursuite de 14 heures, le tout sans jamais virer au saccage ironique post-pop.
On se régale donc. On regrette d’ailleurs d’apprendre, à l’occasion de la sortie du film, que les négociations de contrats des stars masculines de la saga ont viré ces dernières années à un peu brillant concours de la plus grosse – compte scrupuleux des coups reçus et des victoires/défaites à la bagarre, histoire que tout le monde ait bien l’air aussi fortiche – qui semble pourtant démenti par l’humeur complètement solaire de ce film, où les deux expendables se moquent gaiement d’eux-mêmes, jouant carrément à la grimace dans un climax en slow-motion particulièrement jouissif réservé à la savate finale.
Faut oser José
Alors qu’est-ce qui caractérise, donc, un “Fast & Furious”, qui plus est s’il s’agit d’un spin-off ? Ni des bagnoles, ni des personnages, ni même des thématiques, mais peut-être une outrance. Chaque épisode relance la mise de son prédécesseur sur l’échelle d’un “wow effect” qui consiste à ce que le spectateur se dise, bien distinctement : “Non mais ils ont quand même pas osé ?”, et constate que si, dans une hébétude bienheureuse. Un sous-marin pourchassant des bolides sur la glace (épisode 8), une empreinte digitale relevée sur un bas de bikini grâce à une main au cul (épisode 5), un haka introduisant une bataille finale entre Samoans et cybersoldats (Hobbs & Shaw) : ici tout est permis et cela en devient moins régressif qu’étrangement paradisiaque et licencieux, assumé proprement, majestueusement, sans le masque hypocrite et trop commode de la série B surproduite.
Ça, et aussi une outrance du spectacle pyrotechnique, une volonté franchement courageuse de continuer d’impressionner, à l’ère des CGI (computer generated imageries) certes omnipotente, mais donc morne et aplanie : trouver par l’invention des situations, l’organisation du point de vue, la beauté de l’exécution, le moyen de scotcher encore un public par le moyen le plus primitif. Préserver encore un peu de L’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat dans le génome du blockbuster XXIe siècle, quitte à ce que ça implique d’accrocher cul à cul 4 Jeeps bourrées de NOS à un hélicoptère en chasse sur une route minée en bordure de falaise.
C’est en ça, peut-être, que Fast & Furious se rapproche de la meilleure autre saga d’action de son temps, les Mission impossible de l’ère Christopher McQuarrie (réalisateur attitré depuis 2015). On en retrouve d’ailleurs un dénominateur commun : la magnétique Vanessa Kirby, découverte en femme fatale opposée à Tom Cruise dans Fallout, confirmant ici en espionne highly skilled (donc un peu dans le rôle de la Rebecca Ferguson de MI). L’anglaise s’est trouvée deux sacrés bolides pour lancer sa carrière, mais attention : avec un pied sur l’un et un pied sur l’autre, et vu le tempérament des deux moteurs, le voyage risque d’être mouvementé.
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