Dans le cadre de l’exposition « Enfers et fantômes d’Asie » au Quai Branly (du 10 avril au 15 juillet), Stéphane du Mesnildot (journaliste aux Cahiers du Cinéma) propose une trentaine de longs-métrages habités par la figure du fantôme. Son programme « Fantômes d’amour et de terreur, vision d’un cinéma hanté » se déroule du 7 au 22 avril. En voici cinq que l’on vous recommande vivement.
Le Carnaval des âmes (1962) de Herk Harvey
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À l’instar de bon nombre de films cultes, celui de Herk Harvey, réalisé pour trois francs six sous, est longtemps resté introuvable. Seule rescapée d’un accident de voiture, la jeune Mary Henry est vite rattrapée par le surnaturel. À peine a-t-elle franchie la porte d’une église pour y jouer de l’orgue qu’un spectre au regard de mort vient effrayer la grenouille de bénitier. Parc d’attractions désaffecté, fantômes omniprésents, jeune fille épouvantée, Le Carnaval des âmes pose les jalons d’un monde hanté où les morts reviennent à la vie. Solides bases sur lesquelles Romero, Polanski, Lynch ou encore Shyamalan vont, par la suite, construire de magnifiques édifices.
Ne vous retournez pas (1973) de Nicolas Roeg
Entre Performance et The Man Who Fell To Earth, Nicolas Roeg réalise The Walkabout (1971) et Ne vous retournez pas (1973) où l’on retrouve son étrange pâte visuelle à base de montage parallèle et de saturation de couleurs. Probablement son chef-d’œuvre, Ne vous retournez pas fait du deuil un voyage psychique traversé par d’affolantes hallucinations. Après la mort traumatique de leur petite fille, un couple d’Anglais est aspiré par une Venise qui n’a jamais été autant ville-fantôme. Partout rôdent des souvenirs mortifères et des esprits frappeurs. Le père (Donald Sutherland au sommet) ne cesse d’apercevoir un enfant au manteau rouge (le même que celui de sa fille au moment de sa noyade) caracolant dans les rues labyrinthiques d’une ville possédée par des visions prémonitoires.
Ring (1998) de Hideo Nakata
Film fondateur de la J-Horror (genre horrifique originaire du Japon), Ring marque par son traitement des morts radicalement différent de celui de l’Occident. Loin de l’apparence traditionnelle translucide d’Hollywood (Poltergeist, S.O.S Fantôme), les morts prennent chez Nakata une allure humaine au teint cadavérique. Ils n’inquiètent pas par ce qu’ils font mais par ce qu’ils sont, leur passivité devenant plus effrayantes que leurs actions elles-mêmes. Basé sur une peur moins démonstrative et plus diffuse, le bouleversement stylistique de Ring, s’oppose ainsi aux jump scares du cinéma mainstream américain et apporte un vent de fraicheur appréciable au genre.
Kaïro (2001) de Kiyoshi Kurosawa
3 ans après Ring, Kiyoshi Kurosawa choisit de s’entourer de toute l’équipe technique et artistique du film réalisé par Nakata pour faire Kaïro (littéralement « circuit électrique » en japonais), soit l’histoire d’un mystérieux site internet qui pousse les habitants de Tokyo à se suicider. Film de fantômes profondément mélancolique qui porte un regard acerbe sur une société japonaise en perdition, Kaïro est également remarquable pour la richesse esthétique apporté aux spectres qui mêle à la fois culture occidental et orientale. Les morts évoquent à la fois les visages distordus des peintures de Francis Bacon et les célèbres photographies qui avaient capturé des ombres portées sur les murs suite aux bombardements atomiques sur Hiroshima. D’ailleurs, la démarche déséquilibrée des fantômes rappelle le butō, une danse née au Japon dans les années 1960 qui évoque la souffrance provoquée par les événements tragiques d’Hiroshima et de Nagasaki de 1945.
Histoire de Marie et Julien (2003) de Jacques Rivette
Comme le Rétribution de Kurosawa (également au programme), Rivette pose ici une question fondamentale pour quiconque vivrait avec un fantôme : quelle colocation possible ? Cinéaste de l’étirement temporel dont l’univers est peuplé de présences insolites et de portes dérobées, il n’avait jamais mis en scène de manière aussi frontale des fantômes. Pourtant il porte cette intuition depuis bon nombre d’années. Après Duelle (1976) et Noroît (1976), Histoire de Marie et Julien devait être le troisième opus de ces Scènes de la vie parallèle (pied-de-nez à Bergman, Rivette a toujours été plus tendre). Ce n’est que bien plus tard, au début des années 2000 donc, que le réalisateur va concrétiser ce film fantôme. Son Julien (profession horloger, bien sûr) y est visité par une ancienne amante qu’il croise dans ses rêves ou au coin des rues. Avant tout film d’amour fou, Histoire de Marie et Julien provoque un déchirement similaire à un réveil brutal où s’évanouirait avec la nuit les rêves érotiques les plus doux (« Empêche-moi de dormir » murmure Emmanuelle Béart comme pour retarder l’échéance du jour qui se lève).
https://www.youtube.com/watch?v=s5FZ9aGfxZc
Toute la programmation ici.
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