Un documentaire aussi juste qu’émouvant donne la parole aux rescapé·es de la plus quotidienne et cruelle des homophobies.
Les télévisions du service public semblent mettre à profit ce mois de décembre pour exercer toutes leurs missions d’information, jusqu’aux questions des minorités. Après Arte qui a diffusé, avec un exceptionnel succès d’audience (1 375 000 téléspectateur·trices), Petite Fille de Sébastien Lifshitz, portrait sensible d’une enfant transgenre, France 3 programme, le samedi 19 décembre, Famille tu me hais, un documentaire de Gaël Morel consacré à quelques adolescent·es victimes de la plus cruelle des homophobies, celle, primaire (à tous les sens du terme), de leurs proches. Reprenant une fameuse citation d’André Gide (“Familles, je vous hais !”), en la tutoyant comme dans le vocabulaire de l’équitation où l’on tutoie un obstacle périlleux, Gaël Morel instruit un dossier à charge.
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Le documentaire s’ouvre par un florilège de citations de “personnalités”, du relativement “doux” (“l’homosexualité relève de la psychiatrie”, dixit le pape) au parfaitement ignoble (comme chez Jair Bolsonaro ou Christine Boutin). Après avoir relaté cette homophobie célèbre et, hélas, parfois célébrée, Gaël Morel s’approche de la banalité du mal homophobe.
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D’abord, engagement primordial, en se mettant lui-même au diapason par la réactivation d’une archive où il expliquait le sens de son parrainage pour l’association Le Refuge qui recueille des jeunes gays, lesbiennes ou transgenres en détresse. Ensuite et surtout, dix ans plus tard, évaluant (chiffres à l’appui) que l’homophobie n’a pas régressé en France, en allant dialoguer avec sept miraculé·es dudit Refuge. Sans afféteries de mise en scène, Gaël Morel leur laisse, un·e à un·e, toute l’image et toute la parole. Il fallait ce classicisme pour une douleur qui ne devrait plus être un classique.
Tous·tes ont été au minimum “tarté·es” par leurs proches, jusqu’au pire
Ce qui frappe le plus, c’est leur parole qui n’est pas complètement déliée et qui se débat dans la jungle des mots. Parfois, certains ne parlent pas un bon français, celui officiel des classes dominantes, ce qui n’empêche guère qu’on les comprenne parfaitement. La musique singulière de leurs paroles pour fredonner une chanson triste, voire tragique, que l’on n’a pas l’habitude d’entendre. Tous·tes ont été au minimum “tarté·es” par leurs proches, jusqu’au pire, comme Pstiwan qui a été poignardé par son père et garde, sur la gorge, la cicatrice de cette tentative de meurtre.
On imagine que Gaël Morel a rencontré beaucoup d’intervenant·es possibles. Son choix de ces sept-là dit beaucoup de son intelligence pédagogique (“ils pourraient être vos enfants, vos sœurs et frères”) et de sa tendresse humaine, son tact pour ne pas entrer dans des zones d’horreur où il·elles n’ont pas envie de revenir.
La part d’enfance qui résiste
Tous·tes viennent de milieux provinciaux que l’on devine modestes à l’exception de l’un d’entre eux·elles. Mais leur mal commun ne connaît pas la lutte des classes ou la disparité des régions. Ce sont toujours les mêmes coups et les mêmes insultes, “les mots qui rabaissent”, comme dit Julien, qui font autant de dégâts que les coups. Melvin : “Se faire traiter de sale pédé dans sa propre famille, ça fait mal…” Jenny : “Ma tante me disait : ‘sale gouine, tu salis le nom de la famille.” Le témoignage d’Amal est l’un des plus chamboule tout. Lesbienne et musulmane, elle se dit surtout “homo et humaine” et ne voit pas sa sexualité comme un péché puisqu’elle ne l’a pas choisie.
L’espoir pointe au dénouement de Famille tu me hais avec quelques relatives bonnes nouvelles. Au fil du récit court un feu follet tout aussi encourageant : une part d’enfance qui résiste malgré tout. Un sourire malicieux, un mot de traviole, une pose de gamin·e, un tendre chagrin, des larmes qui jaillissent. Gloire à Gaël Morel d’avoir accueilli ces enfants bousillé·es dans son ciné-refuge.
Famille tu me hais de Gaël Morel (FR., 2020, 55 min). Le 18 décembre vers 0h30 sur France 3
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