Les adaptations de bande dessinée sont devenues omniprésentes dans le cinéma français. Explications d’un phénomène.
Valérian, Spirou et Fantasio, Boule et Bill 2, Le Petit Spirou, Seuls, Tamara, Cédric, Les Schtroumpf, Gaston Lagaffe, Zombiellenium, Raoul Taburin, le Chat du Rabin… Il suffit de voir l’agenda des sorties de films: si les comics US règnent depuis plusieurs années déjà sur le cinéma américain, la BD franco-belge s’impose de plus en plus dans le paysage. Mais beaucoup plus discrétement: « les films US sont tous estampillés ‘super héros”. Alors que les adaptations de Bd viennent de récits très différents les uns des autres, c’est moins étiquetable facilement« , explique Lewis Trondheim, auteur, entre autres, des séries Donjon et Lapinot.
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« Une cinquantaine de projets en cours«
« C’est l’année où tout explose« , confirme Laurent Duvault. Après avoir été directeur éditorial chez Dupuis et aux éditions Soleil, il est aujourd’hui directeur du développement international et audiovisuel de Media Participation, qui regroupe Dupuis, Dargaud, Le Lombard, Lucky Productions, Fleurus, soit une bonne partie du patrimoine de la bande dessinée franco-belge. Il gère donc les demandes d’adaptation pour toutes ces maison d’édition, en plein boom actuellement: « J’ai actuellement une cinquantaine de projets en cours« .
« Pour moi, le déclic, raconte-t-il, ça a été le Michel Vaillant de Luc Besson en 2003. Un réalisateur qui décidé d’adapter, avec des moyens, une bande dessinée, non pas en dessin animé, comme dans les années 70 pour Tintin et Astérix, mais en ‘live-action’, avec de vrais acteurs ».
Au début des années 2000, après le succès de l’Astérix d’Alain Chabat, la première vague d’adaptation touche des héros assez mainstream, et plutôt masculin s: les Dalton, Blueberry, Largo Winch, les Chevaliers du ciel…
« Les décideurs actuels ont lu des bande dessinées quand ils étaient jeunes, que ce soit Thomas Langman, Luc Besson ou les dirigeants d’UGC, et aujourd’hui, ils ont l’âge, et les moyens, de réaliser leur rêves, de faire revivre les héros de leur jeunesse ».
Mais le succès des Beaux Gosses de Riad Sattouf, de Persepolis de Marjane Satrapi, du Gainsbourg de Joann Sfar, et peut-être les échecs de Benoît Brisefer et du Lucky Luke avec Jean Dujardin, ont convaincu les producteurs que la bande dessinée plus underground avait quelque chose à amener au cinéma:
« Aujourd’hui il y a Boule et Bill et Spirou, mais n’importe quel type de bande dessinée peut faire l’objet d’une adaptation: des récits intimistes comme Les Petits Ruisseaux ou Lulu femme nue, politiques (Quai d’Orsay), et même de l’investigation comme l’Enquête de Denis Robert”, explique Laurent Duvault.
Au cas par cas
Pourtant passer des cases au grand écran n’est pas toujours aisé. Gérard Jugnot a travaillé plusieurs mois sur un Astérix avant de voir son projet retoqué par Uderzo, Jean-Pierre Jeunet avait voulu faire un Tintin, mais « le verrouillage des héritiers d’Hergé rend tout trop compliqué, je les ai rencontrés et j’ai compris qu’ils allaient me casser les pieds« , a-t-il raconté en 2002. Comme le rappelle Lewis Trondheim: « les droits aux USA sont gérés par DC et Marvel. Alors qu’en France ça doit être négocié avec les auteurs et les éditeurs au cas par cas« . Et par définition, toute adaptation est une trahison,
Pour les fans de Spirou & Fantasio et du Comte de Champignac… pic.twitter.com/CH9qAdUlT1
— Phalippou Alex (@phalippoualex) January 24, 2017
« Certains auteurs refusent que leur œuvre devienne un film ou mettent des conditions impossibles« , relate Laurent Duvault, « Coyote a par exemple toujours refusé d’adapter son Litteul Kévin, alors que je suis sûr que ça aurait pu faire un bon film, j’imaginais déjà François Damiens dans le rôle du père« . Peur de ne pas reconnaître son enfant, ou d’être écarté ensuite : : “Regardez simplement comment l’auteur de Le bleu est une couleur chaude a été non consultée et oubliée à la projection à Cannes« , résume Lewis Trondheim, évoquant Julie Maroh, la dessinatrice de la BD qui a inspiré Abdellatif Kechiche pour La Vie d’Adèle .
Car une fois l’option des producteurs acceptée, (environ 10% du budget du film), si l’auteur a un droit de regard sur le film, le final cut appartient toujours aux producteurs. Après avoir vu Blueberry, l’expérience interdite, les héritiers de Jean-Michel Charlier avaient ainsi demandé que le nom du dessinateur n’apparaisse plus dans les crédits de film de Jan Kounen, très éloigné de l’œuvre originale.
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Si les droits de vente des adaptations restent relativement marginales pour les maisons d’édition, elles ont tout intérêt à voir leurs œuvres arriver sur grand écran: les ventes d’albums sont boostées par les films. « Alors qu’ils avaient disparu, les blockbusters de DC et Marvel ont réinstallé les comics dans les librairies« , raconte Laurent Duvault.
Alors pour entrer en contact avec les producteurs, elles ne restent pas les bras croisées: elles envoient des newsletters ciblées aux professionnels du cinéma sur leurs nouveautés, se rendent au Salon du Livre pour une « gigantesque session de speed-dating, avec 180 éditeurs et 300 producteurs« , et partent à la rencontre des producteurs lors de festivals à Shanghaï, Toronto, Los Angeles: La mort de Staline de Fabien Nury et Thierry Robin sera ainsi adapté aux Etats-Unis par Armando Iannucci, le réalisateur de In The Loop et Veep, avec Steeve Buscemi, Timothy Dalton et Olga Kurylenko…
Et il faut parfois faire face à l’afflux de demandes: « Les Vieux fourneaux qui raconte l’histoire de trois petits vieux, n’avait a priori rien pour séduire le cinéma, mais nous avons eu plus de vingt demandes d’adaptation. Nous avons donc organisé un « casting » de producteurs, et les auteurs ont choisi avec qui ils voulaient travailler. Cela a été également le cas pour La Légéreté de Catherine Meurisse: elle a eu plusieurs demandes, et a choisi son équipe« .
‘Un vivier de talents » pour le cinéma
Car les producteurs s’intéressent à toute la production BD actuelle, pas seulement les best-sellers, comme le montrent les exemples de Lulu femme nue, la Grande Odalisque, ou Victor la lose,… « Le milieu du cinéma regarde attentivement toute la production BD, c’est un vivier de talents pour eux« , confirme Lewis Trondheim. « Le problème c’est quand un producteur a aimé l’album d’un jeune auteur, et le contacte directement pour qu’il développe un scénario, ça existe, oui« , raconte même Laurent Duvault.
Prochain horizon pour la bande dessinée: les séries, « mais en France, le nombre potentiel de séries est limité à cause des financements, moins accessibles qu’au cinéma, ou alors elles doivent être internationales« , estime Laurent Duvault. Le mouvement a pourtant déjà commencé: Thorgal va être adapté en série (par Florian Henckel von Donnersmarck, le réalisateur de La Vie des autres), et un projet sur l’excellent Blast de Larcenet est en cours…
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