Dans son premier moyen métrage, le maître iranien pose déjà sa griffe, entre émotion pure et burlesque.
Un préado travaille comme larbin dans une boutique de photographe de Téhéran, méprisé et maltraité par son patron et ses collègues adultes. Il tombe amoureux d’une jeune fille de la bonne société et se met à espérer qu’il pourrait un jour travailler comme domestique dans sa famille. Tourné un an avant Le Passager, le premier long métrage de Kiarostami, Expérience, comme tous les premiers films du cinéaste iranien, qui dirigeait alors l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et jeunes adultes (Kanoon), a pour personnage principal un enfant, ici relativement grand. Sorte de 400 Coups à la mode persane, le film est un peu le chaînon manquant entre les courts La Récréation et le très beau Le Pain et la Rue – que l’on pourra ici voir ou revoir puisqu’ils accompagnent Expérience –, qui souffrent encore parfois d’effets visuels inutilement spectaculaires (quelques contre-plongées ou un plan tourné à travers une vitre brisée) et les premiers longs, extrêmement maîtrisés.
Ce qui passe ici dans les plans très composés de ce moyen métrage en noir et blanc, ce sont les bruits et l’énergie débordante de la ville, sa vitalité, son anarchie. Le cinéaste, par essence réaliste, use de tous les moyens que lui propose le cinéma : un travail énorme sur le son et la musique, et des tailles de plan qui varient énormément (en musique, on parlerait d’une tessiture étendue) – des gros plans à ces plans très éloignés, qui deviendront par la suite, souvent imités par d’autres, l’un des effets de signature de son cinéma. C’est dans cette distance parfois énorme prise avec les rebondissements du récit que réside l’un des principaux plaisirs qu’offre le film : son burlesque, un humour très pince-sans-rire qui anime sûrement encore les œuvres les plusrécentes de Kiarostami pour le cinéma (ou plutôt la DV, comme Five), mais de façon plus discrète. Le gros plan, par exemple, où l’enfant balaie le sol tout autour des pieds de son affreux et méchant patron, est digne de Tati, rien moins. Quant à l’émotion, elle naît des allers-retours multiples entre le comique et le tragique, entre la révolte et l’humiliation que vit le héros, et surtout de son obstination sereine à aller jusqu’au bout de ses rêves, de son espoir infini dans l’avenir. “They abide and they endure”, répétait Lillian Gish, dans La Nuit du chasseur, en parlant des enfants, citant la Bible : ils s’adaptent et ils survivent.
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