Le mythique documentariste s’immerge dans une fameuse bibliothèque publique à New York. Un plaidoyer pour l’accès à la culture et sa démocratisation.
Frederick Wiseman, aujourd’hui 87 ans, consacre son nouveau film, présenté au festival de Venise en septembre, à l’une des plus grandes institutions new-yorkaises, la New York Public Library, fondée il y a plus de cent cinquante ans et qui, grâce à des fonds à la fois privés et publics, joue un rôle fondamental dans la vie culturelle de la métropole.
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Et c’est passionnant. Comme à son habitude, Wiseman filme un peu tous les services, du standard téléphonique où des bibliothécaires renseignent les gens sans jamais se moquer d’eux (même quand ils leur demandent des informations sur la véracité de l’existence des licornes…), les orientent vers les livres et documents qui pourront les aider dans leurs recherches, donc d’abord dans leur curiosité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit d’abord : de répondre à la soif de connaissance, à la curiosité de chacun.
L’on assiste aussi, comme toujours chez Wiseman, qui est LE documentariste des institutions, aux réunions de chefs de services, des directeurs. Sur les projets à venir, le financement. Et même si le spectateur se retrouve soudain projeté dans des arcanes dont il ne connaît rien, Wiseman, grâce à son art consommé du montage, parvient à lui faire comprendre en quelques secondes quel est le sujet des conversations, leur enjeu.
On voit également des universitaires et des écrivains donner des conférences pour défendre des valeurs égalitaires, humanistes, de vérité, et inciter tous les usagers à résister comme ils le peuvent aux mensonges, aux contre-vérités, à la barbarie de ceux qui voudraient refaire l’histoire à leur sauce, souvent blanche… C’est bouleversant de simplicité, de santé intellectuelle et politique.
Wiseman vient nous rappeler, dans ce film pourtant tourné avant l’élection de Donald Trump, ce que peut parfois représenter la culture dans un pays (certes dans une ville américaine tout à fait spécifique) où certains ne cessent de vouloir la faire taire. Ici, la culture est offerte à tous, gratuitement : concerts, lectures, pièces de théâtre, animations pour les enfants, plus de 90 succursales dans plusieurs arrondissements de New York, cours de langue pour les immigrés ou d’informatique, aide à la création d’entreprise… La NYPL s’est répandue dans les quartiers pauvres de la Grosse Pomme, comme le Bronx, et possède aussi l’un des sites d’archives les plus importants au monde.
Dans le passage peut-être le plus émouvant du film, le président de cette bibliothèque (dont le nom est d’ailleurs signalé en sous-titre – chose extrêmement rare dans le cinéma de Wiseman, où en général tout le monde est anonyme) rappelle que dans l’Etat du Texas, dans les nouveaux livres scolaires, on parle des Noirs dans le chapitre consacré à l’immigration en Amérique, en les mettant sur le même plan que les Irlandais ou les Italiens par exemple, comme si l’esclavage n’avait jamais existé… Oui, la vérité est fragile, les livres peuvent mentir aussi. Ne l’oublions pas, semble nous susurrer Wiseman.
Ex Libris : The New York Public Library de Frederick Wiseman (E.-U., 2017, 3 h 17)
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