Il perd le contrôle de sa personnalité schizoïde dans un musical où l’on danse et chante volontairement mal. Là où le génie, aristocrate par nature, se présente modestement bombardé d’images accueillies comme un don du ciel (voir les interviews de Lynch), Allen, lui, en appelle à un cinéma de l’emprunt et de la référence/révérence, désigne […]
Il perd le contrôle de sa personnalité schizoïde dans un musical où l’on danse et chante volontairement mal.
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Là où le génie, aristocrate par nature, se présente modestement bombardé d’images accueillies comme un don du ciel (voir les interviews de Lynch), Allen, lui, en appelle à un cinéma de l’emprunt et de la référence/révérence, désigne clairement ce qui l’inspire des époques révolues du cinéma, le travail des génies et construit laborieusement un art démocratique de la discussion qui a aussi donné ses grands films. Woody Allen sait qu’il n’est pas un génie mais ne s’y résout pas et c’est ce ressentiment par lui-même bien interprété comme générateur de pulsions tyranniques et de rêves d’omnipotence qu’il a mis en scène pendant des années, inventant des situations vertigineuses. Pourtant, dans ce dialogue permanent avec les génies, quelque chose de la lucidité héroïque de Woody a cédé, il a perdu le contrôle de sa belle personnalité schizoïde, s’est laissé submerger par les flots de sa névrose, tentant d’endiguer le cataclysme identitaire par de pauvres réflexes salutaires : humour, dérision, second degré, roublardise. Hélas ! rien n’y fait, Woody ne sait plus qui il est. De cette panique, il est question un temps dans Everybody says I love you. Amoureux de Julia Roberts, il fait sa conquête en se modelant sur ses goûts et désirs secrets, qu’il connaît par complicité de voyeurisme. Alors que lui efface sa propre personnalité pour séduire, elle nie le corps de Woody pour le faire correspondre à ses fantasmes et pouvoir l’aimer. Cette histoire accablante, qui n’est que pour une faible part celle du film, le symbolise pourtant assez bien. Voulant faire une comédie musicale, Allen commence par supprimer la danse et le chant. C’est-à-dire que l’on danse et que l’on chante, mais volontairement mal. C’est mal filmé ? Qu’importe, c’est sans complexe ! Alors ce que l’on perd, c’est tout le plaisir de la comédie musicale, un travail des corps, une certaine éthique de l’effort. Si le dernier film de Woody Allen n’a pas de corps, c’est qu’il commence par les effacer tous. Le rêve maniaco-dépressif d’omnipotence allenienne s’inscrit désormais dans un devenir Walt Disney de son cinéma, évolution qui enchante par ses bouffées délirantes (tout est possible), puis qui déprime (rien n’est vrai). Jubilation, donc, lorsqu’on apprend que le fils républicain tendance autodéfense, seule tare de la famille idéale ici dépeinte, avait un caillot de sang dans la tête, unique responsable de ses défaillances. Ou encore quand des régimes d’enfants déguisés en banane débarquent comme s’ils tombaient du plafond pour nous chanter une chanson à la gloire des bananes. Désolation lorsqu’on réalise que l’on suit ces personnages avec la curiosité un peu malsaine et lasse que l’on éprouve pour le destin de Roger Rabbit se demandant quelle diablerie les auteurs vont inventer pour massacrer ces sacrés toons ou pour la tête de Jim Carrey que l’on regarde en attendant secrètement qu’elle explose.
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