Un duo Bardem/Cruz en surjeu permanent, un procédé narratif usé, une mise en scène alignant tous les clichés sur l’Espagne : le film d’ouverture du festival de Cannes est un ratage complet.
Le nouveau film d’Asghar Farhadi se passant dans le vignoble ibérique, filons la métaphore : son cinéma est comme le bon vin, il voyage mal. Sans être une piquette, Le Passé, tourné en France, n’arrivait pas tout à fait à la hauteur des cuvées naturelles iraniennes de Farhadi comme Une séparation, A propos d’Elly ou le superbe La Fête du feu, son chef-d’œuvre à nos yeux, digne d’un grand cru classé bergmanien. Tourné en Espagne avec un casting local en tête duquel trône l’un des couples les plus glamour et célèbres de cette planète (Penelope/Javier, ça vaut bien Beyoncé/Jay Z ou Brigitte/Emmanuel), Everybody Knows est un vin de table chargé et légèrement frelaté qui fait un peu mal au crâne.
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L’une des forces de Farhadi, ce sont les scénarios twistés, riches en surprises, retournements et virages en épingle à cheveux. Rien de tel ici : un interminable prologue en forme de dépliant touristique pour l’Espagne rurale (Penelope revient d’Argentine dans son village de la Rioja pour assister aux noces de sa sœur) laisse place à la disparition d’une jeune fille lors de la fête de mariage (allo, Nordhal Lelandais ?), événement qui va faire tomber les masques de la famille et de la population villageoise. Le coup du choc qui révèle les vrais caractères et arase le vernis social est un procédé narratif assez usé et génère ici peu de suspense si ce n’est un enchaînement peu séduisant de vieilles rancœurs, de frustrations recuites et de règlements de comptes.
Un casting en perdition
Si le pléthorique casting est bon, Cruz et Bardem en font des tonnes, particulièrement Penelope qui a recours aux pires clichés de jeu pour figurer la mère éplorée par la disparition de sa fille : crises de larmes, tête dans les mains, secousses et tremblements là où on attendrait un jeu plus distancié et moderne. Dans les situations dramatiques, l’émotion du spectateur naît plus facilement de la rétention de l’acteur que du surjeu (qui peut mieux convenir dans un contexte de comédie), éternelle loi que ni Cruz ni Farhadi ne semblent avoir saisie. Du côté de la mise en scène et de l’image, Farhadi semble être parti de tous les clichés associés à l’Espagne (le soleil, le vin, les vieilles pierres, les tempéraments muy calientes, la fiesta…) sans parvenir à les dépasser comme le fait si souvent un Almodovar.
Bien sûr, Penelope et Javier sont très beaux, le petit village espagnol aussi, la lumière et les couleurs pétaradent comme dans une télénovela, mais le théâtre Farhadien semble tourner cette fois à vide, faute de sophistication dramaturgique et peut-être aussi parce que le regard de l’auteur reste celui d’un étranger fasciné qui regarde l’Espagne avec moins de connaissance intuitive, de profondeur et d’acuité que son propre pays.
Montrer que les petites sociétés villageoises et les grandes familles sont emplies de non-dits et de cadavres dans les placards n’est certes pas faux mais un peu court et schématique. On ne dira pas si on retrouve la fille à la fin mais on peut révéler que Farhadi, lui, ne retrouvera jamais ici le meilleur de son cinéma perdu dans les effluves de rioja.
Everybody Knows, de Asghar Farhadi, avec Penelope Cruz, Javier Bardem, Ricardo Darin (Esp., Fr., It., 2018, 2h12)
Sélection : Compétition officielle
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