Pour ses débuts de réalisatrice, la comédienne Eva Ionesco, égérie du Palace, dirige Isabelle Huppert. Le film évoque sa relation compliquée avec sa mère photographe, qui la portraiturait nue à 10 ans. Reportage.
« Je ne suis pas une princesse.” C’est Eva Ionesco qui le dit et on pourrait ne pas la croire. Car cette belle blonde fut bel et bien une petite princesse, celle, fixée par la légende, du Palace au début des années 1980, dont elle était la plus jeune habituée (à 13 ans, elle y passait ses nuits). Celle aussi de la branchitude parisienne de ces années-là, fixée par les photos de Pierre et Gilles dont elle fut l’adolescente égérie. Mais aussi, en amont, de sa mère, Irina Ionesco, photographe, qui, à la fin des années 1970, fit de sa fillette le modèle d’images sulfureuses où l’enfant était travestie en sex-symbol rétro, nue avec un boa ou en porte-jarretelles.
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C’est donc pour affirmer qu’elle ne voulait pas de cette place-là – celle de la petite princesse fétichisée par sa mère, puis par le Tout-Paris – qu’Eva Ionesco prend aujourd’hui la parole comme cinéaste en tournant son premier long métrage.
Entre-temps, au sortir de ses années Palace, Eva Ionesco est devenue comédienne, élève à la fin des années 1980 à Nanterre dans l’école de Chéreau, puis second rôle régulier du cinéma d’auteur des années 1990 (Doillon, Rochant, Bonitzer…). Elle s’essaie à la réalisation, tourne plusieurs courts métrages, qu’elle qualifie “d’expérimentaux”. Et décide pour son premier film de propulser dans la fiction ses souvenirs d’adolescente modèle.
Isabelle Huppert y interprète le personnage de la mère insaisissable qui disparaît sans explication, néglige totalement son enfant, l’abandonne aux soins de sa propre mère, puis resurgit dans sa vie pour en faire son égérie.
“Isabelle a beaucoup porté le projet”, dit Eva Ionesco. Les deux femmes se sont rencontrées en Afrique sur le tournage de White Material de Claire Denis. Eva Ionesco jouait un petit rôle, coupé au montage, mais au moins elle a pu approcher la comédienne et lui a remis son scénario.
“J’ai beaucoup aimé le scénario, dit Isabelle Huppert, ce personnage de mère aussi, j’ai senti qu’Eva Ionesco pouvait en faire quelque chose de personnel et fort. Je connaissais un peu le travail photographique de sa mère à l’époque. Mais je ne l’ai pas rencontrée. Pas même pour le film et Eva ne m’y a pas encouragée d’ailleurs.”
Fin juin, l’équipe de Je ne suis pas une princesse amorce sa huitième semaine de tournage dans une maison délabrée de la banlieue parisienne. Isabelle Huppert et Anamaria Vartolomei, la petite fille de 10 ans qui joue sa fille, arborent toutes les deux une perruque blonde crantée de star hollywoodienne.
L’action est censée se dérouler en Angleterre, dans une demeure gothique squattée par un musicien toxico, interprété par le jeune et dégingandé Jethro Cave (le fils de Nick Cave, qui a hérité du charisme dark de son papa). Sur le plateau, Jeanne Lapoirie (chef op de Téchiné, Ozon…) règle les lumières ; Bertrand Burgalat, qui supervise la musique, discute autour d’un vieil harmonium avec ses protégés du groupe The Shades, qui jouent dans la scène à tourner, tandis que l’équipe technique se relaie autour d’un poste de radio pour écouter fébrilement le compte rendu du match de la Coupe du monde en cours (France-Afrique du Sud).
Sur l’écran de contrôle, on suit la scène en cours. Isabelle Huppert rôde comme une prédatrice, un appareil photo vintage en main, autour de l’enfant. On devrait découvrir ce portrait venimeux d’une relation hors norme au premier semestre 2011.
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