Un film bouleversant sur la maladie, la mort, l’amitié. Avec toute l’humanité d’Alain Cavalier.
Etre vivant et le savoir est l’un des films les plus durs, émotionnellement, d’Alain Cavalier. Au départ du projet, il y a le désir du cinéaste d’adapter avec la romancière Emmanuèle Bernheim son livre intitulé Tout s’est bien passé. Bernheim y raconte comment elle a aidé son père à choisir sa mort. Comme il l’avait fait avec Vincent Lindon dans Pater – où Cavalier jouait le président de la république et LIndon son premier ministre – Cavalier propose à l’écrivaine de jouer son propre rôle et d’accepter qu’il joue celui de son père. Mais voilà, patatra : après avoir commencé à travailler ensemble, Emmanuèle Bernheim tombe gravement malade, elle doit être opérée. Etre vivant et le savoir raconte, toujours à la première personne, comme il le fait maintenant depuis des décennies, le quotidien d’un cinéaste qui attend le moment où sa scénariste et actrice pourra faire le film. Son attente, ses angoisses, ses espoirs qu’elle guérisse (ils sont amis depuis longtemps).
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La mort, la maladie, ont toujours été au coeur du cinéma d’Alain Cavalier. Il a souvent filmé des cadavres d’animaux, et même ses parents sur leur lit de mort. Il a aussi filmé ses diverses maladies, dont ses problèmes de peau récurrents. Il a filmé la mémoire, les vieilles maisons où rien n’a bougé depuis des années, où les photos et les objets du passé sont restés à la même place, comme si les êtres humains tentaient ainsi de clouer le temps, l’empêcher de filer, retarder l’échéance finale. Cavalier a aujourd’hui 87 ans, et il est impossible de ne pas songer que ces questions le taraudent, comme elles nous taraudent tous : nous sommes sur le même bateau. Plus nous avançons en âge et plus les gens ne notre âge disparaissent.
Des moments réconfortants dans nos existences chaotiques
Le film commence d’ailleurs par une conversation avec l’une de ses amies, qui elle aussi a choisi de mourir à l’heure qui lui plait. On entend sa voix, on ne la voit pas. Il est venu lui rendre une dernière fois visite, et l’on se dit que c’est peut-être le thème principal de ce film douloureux comme de beaucoup de films de Cavalier continue : l’amitié. Et l’amitié, dans ce film bouleversant, prend la forme quotidienne de visites. De visites à l’hôpital, chez les gens. S’aimer, c’est se rendre visite, jusqu’à la dernière, l’ultime, celle où l’on se dit au revoir pour la dernière fois, où l’on se remercie sans souvent le dire avec des mots, de tous les bienfaits que l’on s’est donné l’un à l’autre, de tous ces moments réconfortant dans nos existences cahotiques. Un sourire suffit, où une main posée sur celle de l’autre. Voilà.
Cavalier filme aussi la vie qui va, le quotidien, des petites choses qui font sens. De sa voix douce qui dissimule avec malice son émotion, il décrit les petites installations qui lui permettent d’exprimer des sentiments trop forts : des natures mortes de sa composition, assemblement bricolo de courges qu’il sculpte lui-même, avec leur protubérances souvent étranges, semblables à des tumeurs, et des crucifix anciens qu’il démembre, pour montrer sans le montrer le délabrement du corps de ceux qu’il aime. A la fin du film, comme un enfant qui voudrait se faire pardonner ses outrances, il demande à un artisan de réparer ses crucifix, et l’émotion nous submerge encore une fois, sans que nous sachions bien pourquoi.
« Etre vivant et le savoir » d’Alain Cavalier (Fra., 2019, 1h20) – Sélection officielle Hors Compétition.
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