Dans son premier long métrage, la cinéaste espagnole s’intéresse à une orpheline dont les parents sont morts du sida.
Dans Noces qu’il rédige à l’âge de 23 ans, Camus écrit que sa jeunesse le rapproche de la mort. L’auteur de L’Homme révolté l’explique ainsi : plus il vieillit, plus l’être humain éprouve le besoin d’aborder sa propre fin par le filtre de la religion ou de la fable, et s’éloigne de la vérité de sa mort, alors que l’enfant et l’adolescent n’ont pas peur de la fixer dans les yeux.
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Eté 93 pourrait être une illustration comme il y en a déjà eue (citons Cría Cuervos de Carlos Saura) de ce pacte secret entre la mort et l’enfance ; la preuve que toute jeunesse possède sa manière bien à elle de tutoyer le monde des ténèbres.
Frida est solitaire, boudeuse et capable d’accès de violence
Frida est une orpheline de 6 ans qui s’apprête à quitter la maison de ses parents. Quand le film commence, on comprend qu’ils viennent de mourir, que le deuil est tout frais et à peine apparent, moins perceptible chez l’héroïne que dans les yeux des grandes personnes qui l’entourent : des oncles, des tantes, penchés sur des cartons de déménagement en chuchotant des choses secrètes – des craintes d’adultes.
Finalement, Frida ira s’installer chez le frère de sa mère, la compagne de celui-ci et leur petite fille, un chérubin blond et potelé qui traverse le film avec une grâce adorable. Frida fait presque figure de gamine ingrate à côté : avec ses cheveux courts et son petit visage pointu, on la découvre solitaire, boudeuse et capable d’accès de violence inquiétants envers ses nouveaux parents.
Une stupéfiante acuité documentaire
Dans la vieille maison de campagne espagnole, Carla Simon Pipó va suivre pas à pas cette petite fille, l’accompagner dans tous ses jeux, épouser tous ses vices, avec une stupéfiante acuité documentaire. Il s’agit non seulement de filmer l’enfance sans rien atténuer de sa sauvagerie (les pulsions sadiques qui la poussent à mettre constamment sa cousine en danger), mais aussi de guetter l’accomplissement du deuil et son modus operandi.
Eté 93 s’intéresse plus exactement à la phase qui précède la prise de conscience, le moment du déni. Telle une ligne tracée à la craie qu’il suffirait de franchir en sautant à pieds joints, Frida feint de croire qu’elle peut encore entrer en communication avec sa mère.
Un difficile acheminement vers le deuil
Mais elle ne prend même pas la peine d’avoir l’air déçu lorsque, à l’autre bout du fil, personne ne répond dans son ancien domicile déserté. Elle sait bien que sa mère est morte. Mais elle a encore besun oin d’avoir recours à cette tournure d’esprit si bien transcrite par Joan Didion dans son essai L’Année de la pensée magique.
Ce difficile acheminement vers le deuil passe encore par la cause inavouable du décès des parents, révélée dans une scène poignante : Frida joue à chat perché avec d’autres enfants, court, tombe et se blesse. A la vue du sang sur son genou, une mère de famille apeurée éloigne sa progéniture, et voilà comment il nous faut comprendre que Frida est peut-être elle-même infectée par le virus mortel qui l’a privée de ses parents. Par petites touches, sans un gramme de pathos, Carla Simon Pipó nous amène à accepter l’inconcevable, et à croire, comme Frida, que les fantômes se nichent au creux des arbres.
Eté 93 de Carla Simon Pipó (Esp., 2017, 1 h 37)
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