La profession s’est réunie ce jeudi 6 octobre à l’Institut du monde arabe pour une après-midi d’interventions denses mais encore ignorées de leurs destinataires, le CNC et le ministère de la Culture.
Un vent de révolte s’agite au sein du cinéma indépendant français, en cette rentrée qui voit s’accumuler les mauvaises nouvelles dans un inquiétant climat de non-interventionnisme, voire d’aggravation néolibérale assumée.
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Un collectif informel de professionnel·les a fait parler de lui au cours de la semaine et s’est réuni hier pour exprimer publiquement son appel à la tenue d’états généraux du cinéma, face à l’empilement de signaux d’alarme tels que la fréquentation toujours aussi basse (plafonnant aux deux tiers des niveaux d’avant-Covid), la suppression de la redevance, la remise en question de la chronologie des médias (notamment autour des menaces exercées par Disney de réserver ses sorties prochaines, cruciales pour les exploitants, à sa plateforme de streaming) avec pour toute réponse les ricanements immondes des “puissants” et les prospectives hors-sol du CNC (projet de “Grande fabrique de l’image” visant à maximiser l’accueil de tournages de plateformes, soutien au métavers…).
Soutien à la diversité
C’est dans un petit climat de consensualité sur l’air de l’art contre l’industrie que se sont succédées sur la scène d’un auditorium de l’Institut du monde arabe une trentaine d’interventions de représentant·es des métiers de la production, de la distribution, de l’exploitation, de la programmation de festivals, etc, appelant à repenser profondément et renforcer vigoureusement le soutien à la diversité, plus que jamais menacée de survie.
Mais comme l’a bien résumé le cinéaste Arthur Harari, sentant peut-être monter quelques bâillements dans l’assistance (notamment de Jack Lang, hôte abondamment remercié, symbole vivant d’une possibilité politique de soutenir fortement la culture, mais qui finira par s’endormir au premier rang) au bout d’une heure de prises de parole : “on enfonce aujourd’hui un certain nombre de portes ouvertes mais ça ne fait pas forcément de mal au moment où elles sont toutes en train de se refermer !”
Exception culturelle française
Une conversation en présence de quelques artistes de premier plan (Agnès Jaoui, qui a pris la parole, et dans l’assistance Léa Drucker, Swann Arlaud, Maud Wyler, Clotilde Courau, Nicolas Pariser, Justine Triet, Audrey Diwan…), mais en l’absence des pouvoirs publics, si ce n’est une députée, la LFI Sarah Legrain qui a pris le micro quelques secondes pour exprimer un soutien timide (disons plutôt une attention). C’est la situation catastrophique des pays moins bien pourvus que nous qui a d’abord servi d’avertissement : “500 salles fermées en Italie, plus aucune à Venise, la ville de la Mostra” ; en Espagne, une production qui se tourne vers l’anglophone pour survivre. La France fait figure de Fort Alamo : Charles Tesson, ex-délégué général de la Semaine de la Critique, rapporte avec quelle envie tous ses homologues lui ont toujours parlé du CNC, notamment dans des pays à la cinéphilie bien équipée, comme la Corée.
Le rayonnement de la France est sur toutes les lèvres, comme une évidence qui devrait faire honte aux responsables du démembrement de la filière. Les trois “D”, Ducournau-Diop-Diwan (cette dernière étant d’ailleurs présente) sont régulièrement citées comme les porte-étendards d’un cinéma français qui gagne les plus grandes récompenses (Palme d’or, Lion d’or, Lion d’argent), et qui plus est, avec des femmes.
Cahier de doléances
Peu de grands points de désaccord émergent (peut-être le nombre de films produit, remis sur la table cette semaine par une interview au Monde très discutée du producteur Saïd Ben Saïd, par ailleurs présent sur scène), sinon de la salle venue agréger aux revendications du collectif quelques sujets supplémentaires : la disparition des salles indépendantes et alternatives, grâce notamment à l’intervention d’une représentante du collectif La Clef Revival qui a interpellé l’assistance sur la menace de fermeture du Luminor Hôtel de ville ; la situation des écoles de cinéma avec un étudiant de l’ENS Louis Lumière, chaudement applaudi, venu parler du délogement de son école par les JO 2024 et d’un partenariat avec TikTok ; la crise de la presse papier récemment fédérée au sein d’un appel à la ministre de la Culture.
Autant de sujets que la profession historiquement fédérée (on avait rarement vu un tel parterre de professionnel·les de tous bords, gros, petits, minuscules, vieux, jeunes, célèbres, anonymes, se serrant fermement les coudes) tâche de fondre en une seule parole qui ressemble pour l’heure à une bouteille à la mer remplie à ras bord de doléances, mais sans la moindre motte de terre en vue.
Deux cinéastes présent·es dans l’assistance étaient là pour témoigner des états généraux du cinéma de 1968 – qui avaient contribué à l’annulation du festival de Cannes et appelé à des mesures radicales (grève des tournages, suppression du CNC…) mais s’étaient soldés par un échec – et peut-être, en tirer une leçon : la Libanaise Heiny Srour et le documentariste Abraham Ségal, qui du haut de ses 85 ans ne s’est pas gêné pour dénoncer une certaine mollesse et appeler à ce que la contestation se muscle. Message semble-t-il entendu par Arthur Harari dans son discours de clôture : “maintenant, espérons que le CNC et le ministère nous entendent et saisissent ces états généraux ; sinon, auto-saisissons-nous, et entrons en révolte.”
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