Et là-bas, quelle heure est-il ? commence par un pur bloc de présence physique s’inscrivant dans le marbre du plan : le corps massif, silencieux et hiératique de Miao Tien, immuable figure paternelle , reconduite de film en film, emplissant l’appartement de Taipei, camp de base du cinéma de Tsai Ming-liang. Dans la seconde séquence, […]
Et là-bas, quelle heure est-il ? commence par un pur bloc de présence physique s’inscrivant dans le marbre du plan : le corps massif, silencieux et hiératique de Miao Tien, immuable figure paternelle , reconduite de film en film, emplissant l’appartement de Taipei, camp de base du cinéma de Tsai Ming-liang. Dans la seconde séquence, ce corps est en cendres, enfermé dans une urne funéraire. Pour Tsai, l’heure est au travail du deuil et plus précisément à son achèvement heureux, près de dix ans après la mort du père biologique, survenue au moment où le cinéaste réalisait Les Rebelles du dieu néon, son premier long-métrage. A contre-courant de la dépression radicale qui irriguait La Rivière, Et là-bas, quelle heure est-il ?, dont la composition reste absolument fidèle à la matrice formelle élaborée dès ses débuts par Tsai, est le film le plus rayonnant de son auteur. « Là-bas », c’est évidemment l’au-delà, le ventre de la baleine d’où le père est à terme appelé à revenir. C’est aussi, plus prosaïquement, Paris, où une jeune femme, Shiang-chyi, est partie passer des vacances. Hsiao-kang, le héros orphelin, l’a croisé à Taipei et lui a vendu une montre qui indique l’heure des deux capitales. Dès lors, pour l’accompagner et abolir la séparation entre deux continents, ou entre deux plans, il se met en tête de dérégler toutes les horloges de la ville, de déplacer Taïwan sur le fuseau français. Hsiao-kang sait-il que cet exercice, qui requiert des dons acrobatiques certains, l’amène à adopter la posture d’Harold Lloyd dans Monte là-dessus ! et à projeter plus en avant l’univers de Tsai vers le burlesque américain ? Toujours est-il que c’est essentiellement en s’en remettant au cinéma qu’il influe sur les rencontres et le comportement de la jeune fille, et qu’il parvient à la diriger. Sa mère, pour rappeler à elle l’esprit de son défunt mari, ne s’y prend pas autrement : elle calfeutre son appartement, jusqu’à le transformer en camera obscura ou en Chambre verte truffaldienne. Car Truffaut, cinéaste d’élection voire père spirituel de Tsai, est l’autre revenant du film, et le jeune Doinel son nocher. Visionnant avec fascination une cassette des 400 coups, Hsiao-kang en vient à calquer certaines de ses attitudes sur celles de Léaud enfant. On se souvient des crues récurrentes qui traversent le cinéma de Tsai. Si les flux liquides se voient ici partiellement endigués, si les plans-séquences s’honorent toujours d’une majesté compacte, la porosité a pris le pouvoir et entre les plans affluent les passerelles. En une ronde de correspondances circulent objets, affects, croyances, rites, images et icônes. Une mimique de Doinel sur un écran taiwanais précipite l’apparition de Léaud (le vrai) au cimetière Montparnasse ; le père retrouvé arbore le parapluie d’Harold Lloyd à l’abri de la Grande Roue des Tuileries. Désormais ordonnateur d’une nouvelle théorie du chaos positif et gardien des esprits, Tsai Ming-liang inaugurerait-il un nouveau cycle ?
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