Match au sommet cette semaine entre deux nouveaux du cinéma : les comiques télé Eric et Quentin et les poids lourds de Youtube (Natoo, Mister V, Ludovik, Kemar). Bilan critique de « Bad Buzz » et « Le Manoir »
Ce mercredi 21 juin marque les premiers pas au cinéma de deux petits nouveaux. D’un côté Eric et Quentin, le duo comique qui intervient quotidiennement sur TMC chez Yann Barthès sortent Bad Buzz écrits et interprétés par eux-même. De l’autre, la crème de la crème des youtubeurs sont réunis dans Le Manoir, comédie horrifique écrite par Kemar et réalisée par Tony Datis. Pour l’occasion, voici un match comparatif entre ces deux films afin de déterminer lequel est le plus réussi.
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1) Nos attentes
Le Manoir : En réunissant les très populaires vidéastes que sont Natoo, Mister V et Ludovik. Le Manoir se présente en termes de casting comme une version Avengers de la comédie Youtube. Mais la véritable tête pensante du projet, c’est Marc Jarousseau alias Kemar. S’il n’est pas le plus connu sur la plateforme – son million d’abonnés comparé aux 9 et 10 millions des mastodontes du rire Norman et Cyprien lui donnerait presque une étiquette de vidéaste indé – il est sans aucun doute l’un des youtubeurs les plus drôles. Après un parcours avec le Velcrou de 2008 à 2010 où il tourne des sketchs en compagnie de ses potes Norman et Hugo Tout Seul, il se fait connaître par des podcasts décalés volontairement cheap, assaisonnés d’effet spéciaux amateur, d’Auto-Tune à faire rougir JUL et de fond vert pourri. Derrière ces projets bricolés et WTF se cachent un sens de l’absurde aiguisé, un humour à prendre au quarantième degré d’un mec qui ne se prend pas au sérieux. Malgré une vraie crainte au vu de la bande-annonce, nous étions donc tout de même curieux de voir ce premier film marqué du label Youtube réunissant la crème de la crème de ses stars et écrit par un vidéaste talentueux.
Bad Buzz : Eric et Quentin est un duo formé à la télé par Éric Metzger et Quentin Margot. Après avoir participé en tant qu’auteurs sur le SAV d’Omar et Fred, ils se font connaître du public au Petit Journal puis au Quotidien où ils interviennent sur le plateau de Yann Barthès ou en magnéto sous forme de petits sketchs. Un humour bête et inégal mais dont les imitations de la presse ou du bobo parisien sont plutôt amusantes. Ici aussi, on craignait de voir Bad Buzz, premier long-métrage écrit et interprété par les trublions dont les premières images annonçaient une succession de sketchs calqués sur leurs prestations télévisuelles. Mais une maigre lueur d’espoir au fond de nous espérait voir une reconversion cinéma similaire à ce que nous avait procuré le duo issu de la télé Eric et Ramzy avec le délirant La Tour Montparnasse infernale il y a plus de 15 ans déjà.
==> Résultat : Victoire ‘Le Manoir’ (1-0)
2) Le concept
Le Manoir : Faire un film de genre parodique façon Scary Movie avec des acteurs/potes de Youtube au casting. Tel est le concept du Manoir qui ne donne pas franchement envie de sauter au plafond. D’abord, car s’attaquer à un film d’horreur humoristique en France fait souvent place à des ersatz de La Cité de la peur ou bien à des massacres ni drôles ni flippants (on pense au funeste Pas très normales activités de Maurice Barthélémy avec justement le youtubeur Norman) et laisse présager des références/hommages ultra lourdes aux films fondateurs du genre.
Bad Buzz : Eric & Quentin, présentateurs à succès d’une sympathique et innocente émission pour enfants, deviennent, à la suite d’un quiproquo, la victime d’un terrible bad buzz qui menace d’anéantir leur carrière. Seule solution : faire un bon buzz. L’idée de départ de Bad Buzz n’est pas inintéressante : elle semble annoncer une gentille satire sur l’omniprésence et le pouvoir de l’image à l’heure de l’ère numérique et des réseaux sociaux. Un sujet ancré dans notre époque qui rappelle le dérapage abject en 2011 du styliste de la maison Dior, John Galliano .
==> Résultat : Victoire ‘Bad Buzz’ (1-1)
3) Le plus drôle
Le Manoir : Si Kemar nous fait beaucoup rire sur Youtube, on redoutait terriblement plusieurs choses. D’abord un formatage de son humour pour le cinéma afin de faire rire tout le monde sans exception (et donc plus personne) mais aussi d’une simple superposition de blagues lourdes pendant 1h50. Il n’en est rien. Dès les premières secondes ces appréhensions disparaissent : l’humour délirant du vidéaste se mêle naturellement à un whodunit à la ligne narrative faible mais qui tient la route. Natoo, Mister V, Kemar, Ludovik, Jérome Niel et compagnie, campent des personnages profondément débiles et stéréotypés mais qui croyant dur comme fer à ce qu’ils disent en deviennent sympathiques. Et c’est ce qui tient dans la réussite comique du film : y aller à fond, tête baissée, sans trop se poser de questions, accumuler les situations insensées (un sanglier qui s’adresse à un personnage en espagnol, une apparition en guest du chanteur Willy Denzey) sans qu’aucun des protagonistes ou presque ne trouve ça anormal. Bien-sûr, ça ne fait pas toujours mouche. Passée la première heure, le film a du mal à se réinventer et connait quelques séquences nettement moins inspirées. Pour autant, les personnes un minimum sensibles à l’humour de Mister V, Ludovik ou Kemar y trouveront leur compte.
Bad Buzz : Plutôt que de jouer leur propre rôle et de dévoiler les coulisses de la télé et du show-bizz, Eric et Quentin ont décidé de se mettre dans la peau de deux d’adolescents attardés, animateurs d’une émission pour enfants. L’un est un bobo vegan traversé par un complexe d’Œdipe aigu (Quentin), l’autre est un looser sentimental qui tombe amoureux de toutes les femmes qu’il voit (Eric). Dès l’élément déclencheur du bad buzz mis en place, le film devient alors le lieu d’une succession de sketchs soit disant politiquement incorrects (toucher rectaux , golden shower…) qui transpirent fièrement le « Ouais, on y va fort » puis dans un deuxième temps, une radiographie de la société française où tout le monde en prendrait pour son grade : les handicapés, les bobos, les juifs, les bourgeois, les cathos, les migrants, les fachos… Sauf que tout ça est bien inoffensif et ne dépasse pas la simple bêtise. Le duo, décidément hanté par le bad-buzz, semble bien trop soucieux de son image, pour pousser à fond leurs vannes.
==> Résultat : Victoire ‘Le Manoir’ (2-1)
4) Transition au ciné la plus réussie
Le Manoir : Ce qui marque d’entrée dans le film réalisé par Tony Datis, c’est cette volonté de faire un « vrai » film, avec une photographie soignée et des plans léches qui manifestent un désir de cinéma (on pense à La Folle Histoire de Max et Léon film audacieux mais hélas très décevant du Palmashow). Cette volonté passe aussi par une acceptation sans complexe du film d’horreur vintage – Le Manoir rend sans cesse hommage au kitch des années 2000’s – de ses codes et de son esthétique. Si sur cet aspect le film ne tient pas vraiment ces promesses (la peur n’étant pas au rendez-vous), c’est bien cette sincérité, celle qu’ont les enfants qui jouent à « faire du cinéma », qui rend cette entreprise si sympathique.
Bad Buzz : En face de la sincérité candide du Manoir, le film d’Eric et Quentin bat pour sa part des records de nonchalance. Ici aucune ambition de faire un film (la réalisation est celle d’un téléfilm de TF1) mais plutôt de dérouler une recette bien calibrée : un bal de situations trash et de blagues faussement subversives sur 1h17. Pire encore, alors que le film semblait vouloir se moquer de l’instrumentalisation de sujets sensibles à des fins d’auto-valorisation, il se vautre lui-même dans une récupération extrêmement douteuse d’une jeune femme migrante. Ni feel good ni buddy movie régressif à la Dumb and Dumber, ni satire corrosive, à défaut de ne pas choisir, Bad Buzz se plante au final royalement.
==> Résultat : Victoire ‘Le Manoir (3-1)
Conclusion (Victoire « Le Manoir »)
Tandis qu’Eric et Quentin proposent un médiocre film à sketchs qui, au lieu d’être trash, inspire juste la gêne notamment dans sa représentation du handicap ou des camps de migrants, Le Manoir apporte lui un peu de fraîcheur et ouvre modestement la voie du cinéma aux youtubeurs. Le film de Tony Datis pose une pierre à l’édifice, fragile, imparfaite mais suffisamment séduisante et sincère pour attirer notre curiosité quant aux futurs projets cinéma de ces vidéastes.
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