Comme chaque année, EntreVues, le Festival du film de Belfort, a comblé toutes les attentes du cinéphile curieux. A côté des merveilles inépuisables de Hou Hsiao-hsien, on a ainsi pu redécouvrir Cesare Zavattini, parier sur Laurent Cantet et tenter de digérer le choc provoqué par Ossos de Pedro Costa, de loin le meilleur film en […]
Comme chaque année, EntreVues, le Festival du film de Belfort, a comblé toutes les attentes du cinéphile curieux. A côté des merveilles inépuisables de Hou Hsiao-hsien, on a ainsi pu redécouvrir Cesare Zavattini, parier sur Laurent Cantet et tenter de digérer le choc provoqué par Ossos de Pedro Costa, de loin le meilleur film en compétition.
Ce qui donne à Belfort son charme amical, c’est une curiosité partagée par des critiques venus nombreux redécouvrir des films qu’ils connaissent souvent déjà et un public belfortain avide de découvrir l’oeuvre de Hou Hsiao-hsien ou celle de Jean Rouch. A Belfort, la vie n’est pas facile tous les jours, les soirées sont longues autour du billard, et les nuits plutôt courtes, mais cette fatigue accumulée provoque un état somnolent propice à la redécouverte de quelques grandes évidences cinématographiques.
Il suffit ainsi de se plonger pendant une journée dans l’oeuvre de Hou Hsiao-hsien pour se rendre compte que le cinéma est avant tout une histoire de cadre, de construction de l’image, et qu’il n’est nul besoin de bouger sa caméra dans tous les sens. La rétrospective consacrée au cinéaste taïwanais reste ce que l’on a vu de plus enthousiasmant à Belfort, et les films proposés ont permis de juger de l’évolution du style de HHH. Les Garçons de Feng-kuei date de 1983 et peut être vu comme une première approche de la réalité de la jeunesse taïwanaise avant le Goodbye South, goodbye de cette année. Il y met en scène trois jeunes gens qui vagabondent dans leur village et décident de partir chercher du travail à la ville. Scandé de mémorables bagarres à coups de bâton (on ne dira jamais assez combien il sait filmer les bastons) et de magnifiques moments d’allégresse (les garçons improvisant au bord de la mer une hilarante danse nuptiale devant une jeune fille), Les Garçons de Feng-kuei propose déjà quelques-uns des aspects les plus marquants de l’oeuvre du Taïwanais : une construction des plans reconnaissable entre toutes, un travail sur le temps et la durée qui fait de lui l’un des plus grands cinéastes contemporains. Il est assez frappant de voir Goodbye South, goodbye à la suite de ce film. Beaucoup de choses ont changé, la structure narrative et le style se sont complexifiés mais le point de départ est assez proche : la dérive urbaine, la fuite en avant de trois jeunes truands incapables de se fixer. On a déjà suffisamment évoqué la beauté de ce film pour ne pas y revenir. Deux choses cependant : la perfection absolue de l’ouverture ferroviaire du film, des plans d’exposition des personnages sur les quais, du travelling arrière sur un train qui avance ; et la cinégénie du train chez Hou dans Goodbye comme dans La Cité des douleurs. Il y a quelques années, on a consacré un joli petit livre à la bicyclette (Cinégénie de la bicyclette, Yellow Now), à quand la même chose pour le train ?
Mais il n’y avait pas que HHH à Belfort, une très ample rétrospective (22 films) était consacrée à Cesare Zavattini, considéré comme l’un des théoriciens du néoréalisme et principal collaborateur de Vittorio De Sica pour qui il écrivit les scénarios du Voleur de bicyclette ou de Sciuscia, mais aussi de son chef-d’oeuvre, Umberto D. Parmi les oeuvres des auteurs néoréalistes, comme Rossellini et Visconti à leurs débuts, celle de De Sica et Zavattini est sans doute celle qui a le plus vieilli, qui comporte le plus de tics théoriques et le moins de modernité stylistique. Il suffit par exemple de constater que Visconti en 1954 ouvre avec Senso de nouvelles perspectives au cinéma italien (c’est l’époque du grand débat sur le « réalisme critique ») alors qu’il faut attendre 1960 pour que De Sica et Zavattini fassent ce film curieux qu’est La Ciociara, jeu sur les codes du néoréalisme en même temps que produit industriel ayant pour but de redorer l’image de Sofia Loren après ses années d’exil américain. Trop occupé à rattraper notre retard au billard, nous n’avons pas eu le temps de nous consacrer à la troisième grande rétrospective consacrée à Jean Rouch, nous n’en parlerons donc pas pas plus que du billard d’ailleurs, dont on ne maîtrise pas encore toutes les subtilités.
Outre les rétrospectives, EntreVues proposait en compétition un large choix de longs et courts métrages récents, très inégaux, dont se détacha sans aucune difficulté Ossos de Pedro Costa, prix du Meilleur Film Etranger. Ossos est un film magnifique, sombre et tendu, qui évoque le destin de quelques personnages, dont la naissance d’un enfant va modifier la vie, dans un quartier pauvre aux marges de Lisbonne. Mais Ossos, film sur la responsabilité, évite le travers du misérabilisme, du pittoresque qu’un tel sujet pourrait porter. Car tout se résout dans le style, fait de plans fixes sur des visages fermés qui en disent plus long que les mots, de cadrages serrés sur des intérieurs. Un style qui nous installe de plain-pied dans une histoire où les personnages ne cèdent jamais à l’apitoiement ou à l’autocomplaisance mais cherchent simplement à vivre. Il faut noter l’impressionnant travail sur la photo et sur le son accompli par Costa et son équipe : autant l’image peut être close, sans échappatoire, autant le son saisit tous les bruits du quartier, le roulement du bus dans les déplacements, les fulgurances musicales. On ne sait pas si Ossos, film profondément troublant, dans lequel boire au robinet devient un geste vital, trouvera son public, mais ce qui est sûr, c’est que l’on en reparlera en janvier, au moment de sa sortie.
Après un film comme Ossos, difficile de juger du reste des films de la sélection. Parmi les films français, on distinguera celui de Laurent Cantet, auteur de quelques courts très remarqués : Les Sanguinaires, tourné pour la série de Arte 2000 vu par…, belle évocation d’une bande d’amis qui décident, sur l’idée de l’un d’entre eux, de passer le réveillon de l’an 2000 sur une île méditerranéenne, loin de la frénésie des festivités. Tout n’est pas totalement réussi dans ce film, qui tourne parfois à vide, mais l’idée du lieu clos, très bien utilisé, l’évolution du personnage central, qui s’enferme progressivement en lui-même avant de disparaître, et le réveillon dramatique sur la plage, à la fin du film, sont assez beaux.
Presque tout est raté, en revanche, dans le second film de Didier Goldschmidt dont on avait relativement apprécié Ville étrangère, son premier long métrage adapté de Handke , Alissa, sombre histoire littéraire et politique entre l’Est et l’Ouest, alourdi par une musique lassante. Le jury du Festival, présidé par Françoise Fabian, a décerné le prix du Meilleur Film Français à Tamàs et Juli, un film de la Hongroise Ildiko Enyedi mais produit par Haut Et Court et Arte pour la même série que le Cantet. Sans doute est-ce le vin d’Arbois, délicieux au dessert, mais nous avons oublié d’aller voir ce film, on en recausera donc une autre fois. Signalons enfin la présence à Belfort d’un documentaire et de deux beaux courts métrages très différents l’un de l’autre : Les Vacances d’Emmanuelle Bercot, sensible, modeste et très bien interprété, et Soyons amis de Thomas Bardinet, un film assez décapant avec Arielle Dombasle dans le rôle qu’elle interprète le mieux, elle-même. Pas vu pas pris est un documentaire drôle et instructif de Pierre Carles sur ses démêlés avec les chaînes de télévision ayant plusieurs fois refusé un reportage destructeur qu’il leur proposait sur les rapports entre médias et politique. Personne ne sort indemne de ce film. Ce panorama non exhaustif rend assez compte de la diversité et de la réussite du festival. Le lion de Bartholdi, qui du haut de son rocher a veillé sur nos nuits belfortaines, peut se rendormir tranquille : nous reviendrons l’année prochaine.
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