Rencontre agitée avec la magnifique Sabrina Ouazani, comédienne découverte par Abdellatif Kechiche dans « L’Esquive », retrouvée dans « Le Passé », « Tout ce qui brille » ou « Pattaya ». Et formidable dans le nouveau film d’Edouard Baer, « Ouvert la nuit ».
Sabrina Ouazani est « stressée”, comme elle dit. Elle a l’habitude d’aller voir ses films à la première projection d’un cinéma connu des Halles avec sa bande de copains de La Courneuve, où elle vit.
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Aujourd’hui, c’est la sortie d’Ouvert la nuit, le nouveau film réalisé et interprété par Edouard Baer, dans lequel elle joue un rôle important, et elle va être en retard. On va faire l’interview dans le taxi. « Ça ne vous dérange pas ?« , me demande-t-elle très gentiment. Pas du tout. J’adore, je n’ai jamais fait ça. Mais je ne peux m’empêcher de penser que je suis en train d’entrer dans un film d’Edouard Baer et que c’est très agréable.
Nous sommes chez Radio Nova où elle est venue assister au 7-9 h qu’anime Baer depuis septembre. Sabrina m’explique : « J’avais envie d’être là. Pas spécialement pour parler du film. Mais pour être avec lui, pour le soutenir. Je me suis réveillée ce matin et je voulais venir. C’est une façon pour moi de rendre la pareille, de dire merci, d’être présente. Que le film marche ou pas, peu importe, nous sommes ensemble, j’ai aimé faire ce film, et quoi qu’il arrive, ça restera comme une très belle expérience. Bon, ensuite, évidemment, j’ai envie que le film plaise ! »
J’aperçois de loin Edouard Baer, lui aussi me voit (je l’ai interviewé il y a un mois), alors on se fait bonjour d’un signe de la main (Interlude : Il voit tout, Edouard Baer. Je m’en suis aperçu il y a dix ans quand j’étais entré pourtant discrètement dans une salle de répétition de son spectacle à la Cigale, La Folle et Véritable Vie de Luigi Prizzoti, pourtant peu éclairée et pleine d’acteurs. Il avait immédiatement perçu ma présence et j’avais trouvé ça assez remarquable et étonnant. Il a « l’œil américain », aurait dit mon père…).
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Elle lit le scénario, qu’elle trouve « fou, fort«
Le taxi se fait attendre… “Je stresse facilement, moi”, dit-elle en souriant, accrochée à son thermos comme pour se réchauffer. Je la rassure. D’ailleurs, voici le taxi. On est partis. Sabrina Ouazani me raconte sa première rencontre avec Edouard Baer. Elle était allée voir jouer son amie Leïla Bekhti dans A la française, le deuxième spectacle de Baer, au théâtre Marigny (où Ouvert la nuit a été tourné) et elles étaient tombées en sortant sur Atmen Kélif, un autre grand ami de Sabrina et ami bien connu de Baer. Il avait fait les présentations. C’était tout. Elle l’admirait déjà beaucoup.
Et puis un jour, Sabrina reçoit un appel de son agent : Edouard Baer veut la rencontrer pour Ouvert la nuit. Elle lit le scénario, qu’elle trouve « fou, fort« . Il lui propose un déjeuner près des Halles, « décidément« . Et ce repas qui devait durer deux heures en a duré quatre. « Il est tellement joyeux, entraînant. J’ai eu un coup de foudre, pour ce qu’il est aussi humainement parlant. Je connaissais l’artiste, je l’aimais, mais j’ai découvert un être humain, une belle personne, généreuse« , m’explique-t-elle en haussant ses sourcils, avec une sorte de fausse véhémence qui est en réalité une marque d’humour, pleine de chaleur et de conviction.
“J’avais un rendez-vous après, mais il m’a demandé : ‘Tu as du temps ?’ et je lui ai répondu : ‘oui' »(elle éclate de rire). « Je me sentais tellement bien ! Alors il m’a emmenée chez lui où il avait une réunion de production. A un moment, je suis allée fumer une cigarette sur la balcon, et de loin, il m’a crié : ‘Sabrina, c’est bon !’. Je lui ai répondu : ‘C’est bon, quoi ?’ Il parlait du rôle dans le film. » (rires)
Je lui demande si elle pense qu’il a modifié le rôle en fonction d’elle, et Sabrina Ouazani m’apprend qu’elle ne joue pas dans le film le rôle qui lui était destiné au départ.
« Edouard aurait pu me faire jouer tout et n’importe quoi »
« Un jour, il m’appelle, me demande si j’ai le temps de passer à la boîte de production. Et j’y vais. On est dans un rapport simple et sain, direct. Il me dit : ‘Tiens, prends le scénario, on va le lire ensemble, si tu veux bien’. Et là il me demande en fait de lire les dialogues d’un personnage masculin prénommé Arthur. Je me dis qu’il est en phase de réécriture, qu’il veut entendre ses nouveaux dialogues à haute voix, etc. Je ne dis rien. A la fin, il me demande :‘Alors ? – Alors quoi ? – Qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que tu veux bien être mon Arthurette‘?
J’ai sauté de joie. J’étais chamboulée, bouleversée, qu’il puisse me proposer ce rôle important. Dans ces quinze ans de métier, j’ai quand même galéré pour passer des castings pour des rôles où je n’étais pas censée être une Maghrébine de banlieue… On refusait parfois ne serait-ce que de me voir. Et là, on me propose de jouer un personnage qui au départ s’appelait Arthur.
Après, sur le tournage, j’y allais les yeux fermés. Edouard aurait pu me faire jouer tout et n’importe quoi. Je ne voulais surtout pas le décevoir. Je lui ai proposé d’appeler mon personnage Faeza, parce que c’est le prénom de ma grande sœur que j’admire beaucoup, et il m’a dit (c’est ce que disait Jean Cocteau du nom de Marlène Dietrich) : ‘C’est très beau, ça commence comme une caresse et ça finit comme un coup de fouet’« . (Rire)
« Edouard, pour moi, c’est un génie« . Que dire de plus ? « J’ai rarement vu quelqu’un qui soit aussi bienveillant. Sur un plateau de tournage, il a besoin que tout le monde se sente bien, artistes, techniciens ou figurants. Il fait une blague, il demande si on a besoin de quelque chose. Il veut créer une bonne énergie, sentir que tout le monde est là pour les bonnes raisons. Il a l’art des mots, des relations humaines, de l’énergie. Il t’embarque dans son monde, dans sa bande. Il génère de l’amour autour de lui. Chaque fin de semaine, il organisait un brunch avec tout le monde. En général, on fait des fêtes de fin de semaine. Mais en général, chaque poste de l’équipe organise une de ces fêtes : un jour la prod, un jour, les techniciens, etc. Mais là, c’était toujours lui. Il voulait remercier tout le monde et prenait toujours les devants. On ne dépassait jamais les horaires. Il est rigoureux et discipliné, un vrai chef. C’est tout le contraire de Luigi, le personnage qu’il joue dans le film. Edouard aurait peut-être rêvé être Luigi, mais il est très organisé, derrière sa façade de nonchalance ! Alors oui, il aime la fantaisie, il aime la poésie et la vie. Mais il fait tout ça avec un grand sérieux ».
Nous arrivons aux Halles après nous être perdus dans les souterrains. Le téléphone de Sabrina Ouazani sonne, elle répond. « Oui, on arrive. Non, me dis pas, ne me dis pas ! » Et elle éclate de rire. Elle raccroche. « C’était ma meilleure amie, elle est dans la salle. Elle voulait me dire le nombre de spectateurs de la première séance, je ne voulais pas le savoir, et finalement elle m’a donné tous les chiffres : on est premiers à l’UGC les Halles, avec quatorze entrées de plus que Dalida ! ». Elle éclate encore une fois de rire.
Je l’accompagne jusqu’à la salle, elle a juste le temps de me raconter qu’elle s’est mise au break dance pour un prochain film et qu’elle fait aussi du cirque (du foulard acrobatique), puis elle file dans le cinéma, je lui crie de loin le « Merde » traditionnel, elle me crie « Je prends !« , et je me retrouve tout seul dans le Forum des Halles et je ne sais plus où je suis ni comment je m’appelle.
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