Pour leur cinquième Cannes, dont une Palme d’or en 91 avec Barton Fink, les frères Coen présentent une comédie très musicale, lointainement inspirée de L’Odyssée d’Homère, avec George Clooney en Ulysse, Holly Hunter en Pénélope et John Goodman en Cyclope.
Quand avez-vous lu L’Odyssée d’Homère ?
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Ethan Coen Nous ne l’avons jamais lu ! (rires)…
Alors qui vous l’a lu ?
Ethan Coen : On a vu la version cinéma de 1954, Ulisse de Mario Camerini, avec Kirk Douglas (un pudding franco-italien avec aussi Anthony Quinn et Silvana Mangano). On connaissait vaguement l’histoire. C’est un peu du téléphone arabe : quelqu’un qui avait lu L’Odyssée d’Homère l’a raconté à quelqu’un qu’on connaissait qui nous l’a raconté ! Pour ce genre d’histoire, il faut faire confiance à la tradition orale.
Joel Coen : De toute façon, notre version est sans doute la plus pourrie qui ait jamais été proposée. Elle est fondée sur tout ce que la culture populaire recrache de cette histoire et que nous avons assimilé à notre façon. Chez nous, Ulysse est joué par George Clooney. Il veut retrouver sa Penny (Holly Hunter) après son évasion d’une ferme pénitentiaire, mais il est enchaîné à deux de ses codétenus : Pete (John Turturro) et Delmar (Tim Blake Nelson).
Qu’y avait-il d’excitant pour vous dans cette histoire ?
Ethan Coen : C’est devenu excitant à partir du moment où on a décidé d’en faire une comédie musicale. Avant, je ne vois vraiment pas ce qui pouvait nous
exciter là-dedans. Et d’ailleurs, maintenant que le film est fini, je vois encore moins.
Joel Coen : Ce qui était excitant, c’était de transformer L’Odyssée en sensation musicale.
Quelle musique et pourquoi ?
Les Coen Bros (en chœur) : Le film se passe dans le delta du Mississippi pendant la Grande Dépression des années 30. C’est la musique de cette région à cette époque, la musique des racines : la Carter Family, Jimmie Rodgers, Skip James, un musicien de blues noir. Le delta blues des débuts, une musique country dont s’inspire la musique populaire d’aujourd’hui. C’est la tradition folk, une tradition orale comme celle du récit de L’Odyssée. Et ces chansons sont interprétées par des artistes contemporains américains comme John Hartford, Ralph Stanley, Norman Blake… Il y a une scène au bord d’une rivière, avec trois femmes faisant la lessive. Elles chantent en play-back, avec les voix de trois stars de la country : Emmylou Harris, Alison Krauss et Gillian Welsh. Et il y a deux moments musicaux très importants : un baptême et une réunion du Ku Klux Klan.
Tous les acteurs du film chantent en play-back ?
Les Coen Bros : George Clooney et John Turturro, oui. Mais pas le troisième fuyard, Tim Blake Nelson, qui est un vrai chanteur de country. Il y a aussi un groupe de gospel qui fait une performance. On a enregistré certaines chansons sur le tournage, d’autres avant.
C’est donc une vraie comédie musicale ?
Les Coen Bros : Pas tellement au début du film, mais plus on avance dans l’histoire, plus ça chante. Il y a par exemple une histoire d’élection au poste de gouverneur de l’Etat. Or, à cette époque, les campagnes électorales étaient très musicales. Mais ce n’est pas une comédie musicale au sens où les personnages ne s’expriment pas en chantant. Les chansons font irruption naturellement dans la narration. Dans une autre scène, les trois fuyards passent dans une petite station de radio où ils enregistrent à leur insu une chanson qui devient un hit : ils se retrouvent donc vedettes sans le savoir. On a joué comme ça avec les situations pour que les personnages aient de vraies raisons de chanter.
On dit que vous avez retravaillé digitalement les couleurs du film : pourquoi ?
Les Coen Bros : Surtout pour se débarrasser de tous ces verts qui saturaient l’image. On a tourné au Mississippi durant l’été, une région qui s’avère être très verte à cette époque. Le fait de retravailler les couleurs nous a permis de retrouver des teintes proches de celles de l’époque.
Un procédé très intéressant, auquel on a l’intention de recourir à nouveau pour nos prochains films.
Lars von Trier, Wong Kar-wai, vous : Gilles Jacob a sélectionné beaucoup de comédies musicales ou de films musicaux.
Les Coen Bros : C’est normal : Gilles, il a le rythme dans la peau !
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