Un nouveau film vibrant, une rétrospective : l’oeuvre de Jacques Rivette, l’une des plus aventureuses du cinéma français, est en pleine lumière. Rencontre.
Tandis que sort la semaine prochaine son nouveau film, Ne touchez pas la hache, grand film d’amour brûlant adapté de La Duchesse de Langeais de Balzac, Jacques Rivette est fêté par le Centre Pompidou, qui propose une intégrale de ses films. L’occasion, assez rare, de (re)découvrir l’œuvre à la fois vaste et labile du cinéaste le plus mystérieux de la Nouvelle Vague. En quelques grands films synchrones avec leur époque, comme L’Amour fou, Out 1, Céline et Julie vont en bateau ou Le Pont du Nord, le cinéaste s’est révélé un des plus fins sismographes des mutations de la société française. De La Religieuse à Ne touchez pas la hache, son travail n’a cessé d’entretenir un rapport particulièrement fécond avec la littérature. L’Amour par terre, La Bande des quatre, Va savoir ou encore L’Amour fou comptent parmi les meilleures variations autour du théâtre qu’ait pu proposer le cinéma. Inventive, souvent incroyablement drôle, un peu funambule dans son jeu avec le hasard et l’improvisation, l’œuvre de Jacques Rivette est une des plus aventureuses qui soient.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
ENTRETIEN > Avec Ne touchez pas la hache, d’après La Duchesse de Langeais, vous adaptez pour la troisième fois Balzac (après Out 1 et La Belle Noiseuse). Vous êtes-vous immergé dans son œuvre quand vous l’avez découverte ?
Jacques Rivette – J’ai découvert Balzac au début des années 50 grâce à Eric Rohmer. A l’époque, on se voyait beaucoup. Il avait eu un jour cette phrase, qui m’avait extrêmement frappé : “Si on veut être cinéaste, il faut absolument avoir lu Balzac et Dostoïevski”. Bien entendu je n’en avais rien fait (rires). Mais Eric Rohmer était notre gourou. Alors, immédiatement, j’ai essayé de me plonger dans l’œuvre de Balzac, mais je n’y arrivais pas. J’avais La Comédie humaine en entier, mais par quelque bout que je la prenne, elle me tombait des mains. Et puis j’ai découvert Une ténébreuse affaire, un roman peu connu. Je l’ai lu d’une traite. Et ça m’a donné une clé invisible, dont je ne sais même pas comment elle a fonctionné. L’important, c’est qu’ensuite j’ai pu me plonger dans l’œuvre. C’est un auteur qu’il ne faut pas forcer, il faut prendre son temps. Et surtout, il faut le lire mot à mot. Chaque mot est important chez Balzac.
Pourquoi êtes-vous revenu à lui cette fois ?
Au départ, j’étais parti sur le désir de faire un autre film avec Jeanne Balibar, plus dramatique que Va savoir. Nous avions commencé, avec Christine Laurent et Pascal Bonitzer, à écrire le scénario d’un film qui devait s’intituler “L’Année prochaine à Paris”, qui impliquait, pour le personnage féminin principal, la rencontre et l’énigme posée par un jeune homme, avec lequel se tissaient des liens de suspicion en même temps que d’attirance. Le tout dans un cadre un peu utopique, avec des complots, des méchants, des suspects. Dès que j’ai parlé du projet à Jeanne, elle s’est montrée intéressée, et c’est elle qui a suggéré que le rôle masculin, son adversaire en quelque sorte, pourrait être interprété par Guillaume Depardieu. Il a accepté. Et puis le film ne s’est pas monté financièrement, donc on l’a abandonné. J’étais embêté, parce j’avais vu une ou deux fois Jeanne et Guillaume ensemble et j’avais constaté que le couple fonctionnait. Donc, avec Pascal et Christine, on s’est dit : cherchons dans toute la littérature une histoire pour Jeanne et Guillaume. Les deux auteurs qu’on a gardés ont été Henry James et Balzac. On a d’ailleurs assez peu dit combien James comptait pour moi : par exemple, dans La Belle Noiseuse, il y a au moins autant d’éléments qui viennent du Chef-d’OEuvre inconnu de Balzac que des “Carnets” de James. Mais finalement on a choisi La Duchesse de Langeais.
Il existe une disparité entre le jeu, hérité du théâtre, de Jeanne Balibar et celui, moins élaboré techniquement, plus emporté, de Guillaume Depardieu.
Tout à fait. Ils correspondaient complètement aux deux personnages tels que Balzac les décrit, eux-mêmes très différents l’un de l’autre. Montriveau est un bloc, avec une idée fixe. La duchesse est un abîme d’interrogations. Les deux personnages ne peuvent a priori pas se rencontrer. Je n’ai eu qu’à constater cette différence dans leur approche du jeu et reconnaître que ça marchait comme ça. Un comédien, ce n’est pas quelqu’un qu’on manipule. Si le film fonctionne, c’est grâce à ce rapport entre Jeanne et Guillaume comme comédiens.
Est-ce que la réception de vos films est une chose qui vous importe toujours de manière très aiguë ? Est-ce que la mauvaise réception de L’Histoire de Marie et Julien vous a blessé ?
On souhaiterait toujours qu’il y ait davantage de réponses. Mais souvent elles viennent cinq ans, dix ans plus tard. Il se trouve que, pour Marie et Julien, je commence à avoir des retours aujourd’hui… Mais les films ont aujourd’hui une vie complètement différente avec le DVD, dont je pense le plus grand bien. D’abord parce que je ne regarde quasiment plus les films que comme ça.
Quels films avez-vous vus récemment en DVD ?
J’ai souvent été déçu par les nouveaux films que je voyais. Je suis assez consterné par le cinéma américain actuel, après y avoir beaucoup cru. Martin Scorsese m’a beaucoup déçu. Je pense que Coppola est un cinéaste beaucoup plus intéressant. Quand on revoit Coup de cœur, on est quand même frappé par un désir de cinéma très fort. Je suis souvent frappé aujourd’hui par la façon dont les cinéastes construisent une image de leur cinéma, et n’en démordent plus. Même des cinéastes que j’ai beaucoup aimés, comme Clint Eastwood, m’ont déçu. Je n’arrive pas à me décider à aller voir ses deux derniers films.
Dans Ne touchez pas la hache, on retrouve ces histoires de sociétés secrètes et de complots qui sont récurrentes dans votre cinéma. Pouvez-vous parler de ce qui vous fascine dans ce motif ?
Il me fascine parce qu’il est amusant (rires). Le phénomène social des sociétés secrètes est quelque chose qu’on retrouve dans beaucoup de civilisations.
Est-ce que les groupuscules cinéphiles dans les années 50, et notamment celui des Cahiers, s’apparentaient à des sociétés secrètes ?
La société secrète, c’est toujours les autres… Ce n’est pas un hasard s’il y avait des conflits avec les autres groupes, d’autres revues, comme Positif… Mais oui, bien sûr…
L’histoire de la cinéphilie des années 50, fondatrice, presque mythologique, vue d’aujourd’hui, a quelque chose de romanesque, presque de balzacien. Est-ce que vous le viviez comme cela, à l’époque ?
Nous avons tous été surpris par ce qui s’est passé, par ce qu’on a appelé la Nouvelle Vague. Aucun d’entre nous, que ce soit François (Truffaut), Jean-Luc (Godard), Chabrol ou Rohmer, n’avait prévu que cela prendrait cette dimension. Ça a surtout vérifié après coup la justesse de ce qu’on pensait tous, et que François a écrit dans son fameux article “Une certaine tendance du cinéma français”, qui était quand même une rupture absolue. Les Cahiers étaient alors montrés du doigt par les institutions de la critique et du cinéma.
Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec le groupe des Cahiers ?
La grande différence avec les critiques de Positif, par exemple, c’est qu’on voulait tous faire des films. Quand j’ai fait la connaissance de François, Jean-Luc, etc., à mon arrivée de Rouen, on s’est rencontrés à la Cinémathèque française de l’avenue de Messine, où on allait à peu près tous les soirs. Déjà, ce qui nous différenciait des autres cinéphiles, même si on était tous des galopins (j’avais 21 ans et François 17), c’était qu’on voulait faire du cinéma. On ne savait pas du tout comment, je ne connaissais absolument personne pour ma part. François venait de sortir de prison militaire grâce à André Bazin, et on s’est parlé tout de suite parce qu’on voulait devenir cinéastes. J’étais inscrit en fac de lettres mais je n’avais pas une seconde l’intention de suivre ces études, c’était juste pour pouvoir bénéficier des avantages du statut d’étudiant.
Le désir de faire des films date de votre adolescence à Rouen ?
Je l’ai souvent raconté (rires). Le coupable, c’est Jean Cocteau. L’élément décisif a été la sortie de La Belle et la Bête, et surtout la parution de son journal de tournage. J’avais beaucoup lu Cocteau, que j’aimais beaucoup. A l’époque, je ne savais pas très bien ce que je voulais faire plus tard, et quand j’ai lu ce journal – où il raconte le travail avec l’équipe, tous les problèmes qu’il a rencontrés, sa maladie de peau, la blessure de Jean Marais, etc. –, j’ai tout de suite su que c’était ce que je voulais faire. Je me suis dit que le cinéma était un lieu où il se passe des trucs, où on discute avec les gens, où on invente et essaie des choses, qu’elles fonctionnent ou pas…
Vous avez apporté aux Cahiers le goût des entretiens et l’idée d’aller sur les tournages…
C’était surtout un prétexte pour aller voir comment se passait un tournage. J’étais allé sur le celui de Madame de… d’Ophuls, je suis resté deux ou trois jours dans un coin, j’ai vu Ophuls travailler, Danielle Darrieux, mais finalement je n’ai rien écrit. S’agissant des entretiens, c’est venu de la grande vogue, à l’époque, des très longs entretiens radiophoniques avec des écrivains : Gide, Léautaud, etc. Et il y a eu Claudel, qui a édité chez Gallimard le texte de ces entretiens, avec pour principe qu’il ne corrigeait rien. J’avais feuilleté ce livre qui venait de paraître, et on s’est dit avec François : “C’est ça qu’il faut faire !” Et c’est pourquoi nous sommes allés avec notre magnétophone voir Jacques Becker.
Quand vous publiez votre fameux article sur Kapo de Gillo Pontecorvo, intitulé “De l’abjection”, où vous vous en prenez violemment à l’usage d’un travelling sur Emmanuelle Riva dans un camp de concentration, vous n’écriviez plus dans les Cahiers depuis plusieurs numéros. Comment cela s’est-il passé ?
Je m’en souviens très bien. J’étais parti en province pour écrire La Religieuse, d’après Diderot, avec une petite machine à écrire. J’avais vu le film de Pontecorvo, et c’est là-bas que je l’ai écrit et envoyé aux Cahiers. Mais je ne me doutais pas de l’influence qu’il aurait.
Vous n’avez jamais accepté que soit publié un recueil de vos textes…
Non. Ils me semblent qu’ils restent intéressants dans les Cahiers de l’époque, qui ont été réédités, mais je ne crois pas qu’il soit utile de les isoler et les publier en recueil. Je crois que ces textes n’ont de sens que dans leur contexte.
Peut-on dire que la rencontre avec cette génération d’acteurs issus du théâtre d’avant-garde des années 60, Kalfon, Clémenti, Ogier, a permis à votre cinéma un véritablement basculement ?
Oui, je crois. Je connaissais un peu Marc’O mais de loin, comme une figure du Saint-Germain-des-Prés des années 50. Il fréquentait par exemple Isidore Isou (poète fondateur du lettrisme – ndlr). Des années plus tard, j’ai découvert son travail de metteur en scène, dans un bistrot de Saint-Michel. Puis j’ai vu sa pièce Les Bargasses, qui m’avait stupéfait, notamment par les comédiens, Bulle Ogier, Jean- Pierre Kalfon, Pierre Clémenti, Michelle Moretti… C’était avant qu’il ne fasse Les Idoles, dont il a tiré un film, et qui était bien aussi mais plus chansonnier. Les Bargasses, c’était extraordinaire. Tout se passait dans un petit bordel d’un pays imaginaire. La guerre est déclarée et les hommes du village clients du lieu sont mobilisés. Les pensionnaires du bordel s’ennuient sans client et décident pour passer le temps de monter une pièce d’Eschyle. C’était ça l’idée du spectacle, et je m’en suis très directement inspiré pour L’Amour fou. Les années 60 ont marqué une période de renouvellement vraiment exceptionnelle. Warhol ignorait le théâtre de Marc’O, qui n’avait pas forcément vu les films infinis de Warhol, mais tout ça communiquait.
L’Amour fou est un film assez bouleversant sur la complexité, l’instabilité des rapports d’un couple. Mais cette question disparaît dans votre cinéma, jusqu’aux deux derniers films, Histoire de Marie et Julien et Ne touchez pas la hache, où elle redevient totalement centrale. On retrouve une même douleur très nue, liée à l’amour.
(Long silence) Oui (rires). Je vais quand même répondre. J’ai tourné L’Amour fou en disant à Beauregard, le producteur, que j’allais faire un film sur la jalousie, ce qui n’est pas tout à fait vrai. On l’a tourné en cinq semaines, dans des conditions très serrées. Le film était marqué par ce que je découvrais à l’époque au théâtre, notamment les spectacles de Marc’O, et ses comédiens… Jean Eustache avait fait le montage des Idoles, mais aussi du documentaire sur Jean Renoir, Jean Renoir le patron, que je réalisais en 67 pour la série “Cinéastes de notre temps”. Je me souviens de longues discussions que nous avions sur la question du vrai et du faux. Il soutenait que le principe de base du cinéma devait être la réalité, et plus encore, la vérité. Ce à quoi je lui opposais qu’il n’y avait pas d’autre vérité que la fiction. D’une certaine façon, L’Amour fou est un film de fiction par rapport auquel il a proposé le film de vérité : La Maman et la Putain. Le film est une autobiographie directe, tous les personnages à l’écran étaient littéralement des personnes que je connaissais à l’époque. Jean écrivait avec la volonté d’être le plus fidèle à la matière biographique, d’en trouver la plus exacte équivalence. Dans Une sale histoire, cette volonté devient même le sujet du film.
A la troupe de Marc’O, vous avez adjoint dans Out 1, ce film culte de 12 heures, deux corps un peu plus jeunes, inventés par deux de vos confrères de la Nouvelle Vague : Jean-Pierre Léaud et Juliet Berto. C’est vraiment un grand film sur la jeunesse 68 sans que ça ne soit jamais dit…
Oui, j’ai tourné deux ans après 68 et, sans jamais dire de quels événements il s’agit, les personnages ne cessent de se référer à ce qui s’est passé deux ans plus tôt. Les personnages de Jean-Pierre et Juliet, eux, ne comprennent absolument pas le monde dans lequel ils évoluent. Mais autour d’eux, la société secrète des Treize (Lonsdale, Ogier, Bernadette Lafont) ne cesse de commenter ce qui s’est passé. Pour moi, c’est clair, le film parle de 68, ou plutôt de l’immédiat après-68.
Vous êtes le seul cinéaste de la Nouvelle Vague qui ait établi un pont avec les avant-gardes new-yorkaises des années 60, et en premier lieu Warhol…
Dans les années 60, je continuais à aller à la Cinémathèque. Ce que ne faisait plus par exemple François. C’est là que j’ai découvert les films d’avant-garde new-yorkais. Je me souviens de la découverte de Chelsea Girls, qui m’avait beaucoup impressionné. Vous avez rencontré Warhol ? Une fois, à La Coupole, au début des années 70. Je rejoignais Bulle et nous étions dans le même groupe de gens. Mais il était très entouré, parlait peu, ressemblait à un sphinx.
Vous avez tourné Merry- Go-Round, avec Joe Dalessandro, en pensant à Warhol ?
Je l’avais trouvé magnifique dans la trilogie de Morrissey, Flesh, Heat et Trash. Mais l’idée est venue de Maria Schneider, qui avait envie qu’il soit son partenaire, parce qu’elle l’avait rencontré à Rome, je crois… Le tournage a été très difficile. Maria n’allait pas bien, était dans un état physique qui ne rendait pas le travail facile, elle dormait tout le temps ou pas du tout ; toutes proportions gardées, j’avais l’impression d’être Billy Wilder attendant que Marilyn soit prête sans avoir la certitude qu’elle arrive jamais. Très rapidement, Jo a compris que ce film ne lui apporterait rien. La relation avec la production était très dure, on avait beaucoup de mal à arriver au bout du tournage. Mais il a été d’une gentillesse et d’un sérieux irréprochables. Total respect pour Joe Dalessandro.
Après ce film, vous enchaînez sur Le Pont du Nord, qui prend acte de façon très dure de la fin des années 70 et de l’écrasement des utopies de 68.
On a tourné ce film en novembre 80. A l’époque, on pensait que Giscard avait toutes les chances d’obtenir un second septennat. Vous ne vous souvenez sûrement pas de la fin des années Giscard, mais c’était vraiment n’importe quoi. Les ministres se suicidaient, se faisaient assassiner en sortant de chez eux, les scandales se succédaient, il y avait l’affaire des diamants, des “avions renifleurs” pour trouver les gisements de pétrole… La dernière année au pouvoir de Giscard, ça a été du délire. Le Pont du Nord est un film un peu polémique sur ce malaise profond, ce sentiment d’asphyxie propre à la France de la fin des années 70. Mais le film est sorti quelques mois après la victoire de François Mitterrand. Il était donc déjà daté historiquement.
Le passage de relais entre un corps contemporain de 68 comme Bulle Ogier et une génération suivante qui n’en a pas la mémoire, incarnée par Pascale Ogier et sa silhouette de petit soldat punk, est très fort…
L’idée était de se référer à Don Quichotte et Sancho Pança. En traversant des quartiers parisiens aux abords du périphérique, dans ces zones un peu incertaines, mais sans jamais sortir de Paris. Nous voulions montrer aussi tout ce qui était en transformation, en travaux.
Aujourd’hui, la présidentielle vous intéresse- t-elle ?
C’est amusant. Si on ne rit pas en pareille occasion, on ne rira plus jamais. Non, franchement, je n’ai pas grand-chose à en dire.
On a peu dit à quel point certains de vos films rendent compte des mutations politiques de la France. Que pensiez-vous des films qui parlaient plus directement de politique, les utopies de cinéma collectif autour de 68, le groupe Dziga-Vertov de Jean- Luc Godard ?
Les films dont vous me parlez étaient collectifs comme le régime de Pékin était une démocratie !
Dans votre rapport à l’improvisation, vous avez mis en place aussi une pratique du collectif, où l’acteur participe à la mise en scène…
Dans certains films, c’est vrai. Aucun de mes films n’est construit selon les mêmes règles du jeu, même si j’ai eu recours plusieurs fois à une large part d’improvisation, où les acteurs devaient en partie inventer ce qu’ils faisaient, ce qu’ils disaient, et parfois jusqu’à l’histoire du film. Ça a parfois été très risqué, mais à chaque fois d’une façon différente. J’ai souvent risqué de me casser la gueule sur mes films, mais jamais deux fois de la même façon. Mais de toute façon, je pense que le cinéma est toujours collectif, même celui de Bresson.
Ce n’est pas ce qu’écrit Anne Wiazemsky dans son dernier roman…
Je l’ai lu aussi, je l’ai bien aimé. On voit que le tournage est quand même un peu collectif. Par moments, l’âne n’a pas tout à fait respecté ce que voulait Bresson (rires).
Pourquoi les génériques de vos films indiquent-ils “mise en scène : Jacques Rivette” plutôt que “un film de” ?
Je déteste la formule “un film de”. Un film est toujours d’au moins quinze personnes. Je n’aime pas beaucoup “réalisation” non plus, qui me paraît très pesant, peut-être parce que sa racine est “réalité”. La mise en scène, c’est un rapport avec les comédiens, et ça met au premier plan le travail commun. Ce qui m’importe dans un film, c’est qu’il soit vivant, qu’il soit traversé par de la présence, ce qui est au fond la même chose. Et que cette présence, inscrite dans le film, tienne d’une forme de magie. Il y a quelque chose de profondément mystérieux à cela. C’est une alchimie qu’on obtient ou pas. Au début du tournage, tout est encore possible, mais une fois qu’on a fait deux ou trois pas, déjà il faut suivre la direction qu’a prise le film. Mais c’est ça qui est intéressant. C’est un travail collectif, mais où on a aussi un secret. L’acteur aussi d’ailleurs a ses secrets, dont le metteur en scène est le spectateur.
Le cinéma, pour vous, c’est donc un travail collectif entre des gens qui ont des secrets ?
Oui. C’est à peu près ça. Et je pense que l’histoire du film finit toujours par raconter ça.
Entretien réalisé par Jean-Marc Lalanne et Jean-Baptiste Morain
{"type":"Banniere-Basse"}