Entretien avec la réalisatrice, pour de Catherine Breillat la première fois en compétition avec un film romantique et noir.
C’est un film mûri pendant des années, qui aurait pu ne jamais exister ailleurs que dans les tiroirs de Catherine Breillat. Alors qu’il était sur le point de se concrétiser, la cinéaste lui préféra le projet Romance, puis enchaîna cinq films, jusqu’à clore il y a trois ans un cycle avec Anatomie de l’enfer. Une vieille maîtresse relate les amours tumultueuses, anciennes de dix ans, d’un jeune aristocrate donjuanesque (Ryno, superbement interprété par Fu’ad Ait Aattou) et d’une mondaine espagnole (Asia Argento, très émouvante) dont il entreprend de se défaire pour mieux épouser une vie rangée et la jeune Hermangarde (Roxane Mesquida). Costumé et ancré dans le Paris 1835 de Barbey d’Aurevilly, Une vieille maîtresse fut sans doute le film le plus coûteux et périlleux pour Breillat, frappée par une grave attaque cérébrale peu avant un tournage menacé d’annulation puis finalement différé. “Avec l’appui de très peu de financiers, mon producteur a pris tous les risques, explique-t-elle. Cela sans doute parce que le cinéma fait vivre et qu’en face l’argent ne fait pas le poids.”
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ENTRETIEN > A quand remonte votre désir de transposer à l’écran le livre de Barbey d’Aurevilly ?
Il y a dix ans que je travaille à l’adaptation. J’ai trouvé le récit magnifique et j’ai eu le sentiment qu’il me ressemblait, qu’il fallait que j’en fasse un film. Les personnages y sont androgynes, et cette histoire est un amalgame de dandysme et de romantisme absolument noir, qui a la couleur de la passion calcinée. Si j’avais vécu au siècle de Barbey, j’aurais été le même genre de personne. Je me suis aussi beaucoup identifiée au personnage de Ryno, qui est évidemment une projection de l’auteur.
Pourquoi avoir décidé de confier le premier rôle à un visage neuf ?
Dans les premiers temps de mon désir d’adapter le livre, j’avais trouvé Jude Law pour interpréter Ryno de Marigny – il était alors presque inconnu. J’avais déjà la conviction que la vieille maîtresse était moins importante, et que le personnage clé était celui de Ryno. Si on ne le trouvait pas dans les réserves du cinéma mondial, il fallait l’inventer, sans quoi le film n’aurait pu exister. Peu avant de tourner, j’étais installée avec quelqu’un en terrasse, je le cherchais désespérément, et j’ai vu Fu’ad. Je l’ai désigné, en m’exclamant : “Tu vois, ça ! C’est ce que je cherche depuis des années, et tu peux faire tous les cours, tu ne le trouveras pas !” Fu’ad est étincelant, il est Ryno de Marigny. Je voulais un couple comparable à celui du Guépard, d’une beauté chavirante. Ryno doit être tels les jeunes hommes de la Renaissance italienne – ma période picturale favorite –, qui ont la beauté des filles sans être efféminés. Il n’avait jamais été filmé et cela me plaît. J’aime inventer la matière de mes films comme un peintre fabrique lui-même ses couleurs.
Comment avez-vous travaillé à contourner le classicisme induit par le genre du “film en costumes” ?
En n’en faisant qu’à ma tête ! J’ai fait du personnage d’Asia une femme fatale moins latine qu’orientale. Ou alors, disons qu’elle est flamenco, que c’est un film flamenco dans son alliage de rigidité et de sensualité hiératique. Je me suis rappelé l’un de mes thèmes favoris, La Femme et le Pantin, qui me semble inclus dans Une vieille maîtresse, au point que je me demande si Pierre Louÿs n’a pas copié Barbey d’Aurevilly. Pourtant, au final, La Femme et le Pantin est un très beau film (de Josef von Sternberg avec Marlene Dietrich, 1935 – ndlr) mais pas un beau livre. Je dis souvent que la plus belle Espagnole de tous les temps n’est autre que la blonde et allemande Dietrich. Tout cela illustre mon désir de ne pas faire un film que l’on pourrait dire “d’époque”, même si j’ai été parfaitement maniaque dans le choix des dentelles, des bijoux et des décors.
C’est la production la plus lourde de votre carrière.
Oui, les budgets de tous mes films précédents tiennent dans celui d’Une vieille maîtresse. Et c’est un film qui tenait sur une seule jambe puisque le tournage est intervenu après mon accident cérébral et que personne n’a voulu m’assurer. J’en suis redevable à mon producteur qui m’a fait confiance. Et je ne me suis pas facilité la tâche : dans chacun de mes choix, j’ai ajouté un peu de difficulté à l’entreprise ! J’adore les choses impossibles.
Travaillez-vous déjà à un autre projet ?
J’ai écrit pour Naomi Campbell un scénario qui correspondait à mon désir ancien de réaliser une sorte de remake de Parfait amour. Je devrais tourner à l’automne prochain, à moins que le financement ne fasse défaut. A cet égard, le succès d’ Une vieille maîtresse comptera, même si je n’ai jamais prêté beaucoup d’attention à la réception de mes films à leur sortie. Mon producteur et moi, nous nous plaisons à dire que si tous les gens qui en disent du mal les avaient vus, nous serions milliardaires.
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