Comédien tout terrain, on le verra bientôt dans un film expérimental de
Michel Houellebecq et un drame sur la guerre d’Algérie. En attendant,
Benoît Magimel est surprenant de roublardise dans « La Fille coupée en deux »
de Claude Chabrol.Rencontre avec un acteur élevé à la VHS.
Comédien tout terrain, on le verra bientôt dans un film expérimental de Michel Houellebecq et un drame sur la guerre d’Algérie. En attendant, Benoît Magimel est surprenant de roublardise dans La Fille coupée en deux de Claude Chabrol.Rencontre avec un acteur élevé à la VHS.
La mèche longue et décolorée, le poignet qui frise, le regard en coin, la diction cinglante et désinvolte, le rire sardonique et les réactions enfantines : on n’avait encore jamais vu Benoît Magimel comme ça, en jeune homme bouffon, capricieux et prématurément vieilli, héros de La Fille coupée en deux de Claude Chabrol (le film, absolument splendide, le meilleur de son auteur depuis une bonne dizaine d’années, sort le 8 août). Dans La Possibilité d’une île de Michel Houellebecq, qu’il vient de tourner, rasé, en clone de la vingt-cinquième génération, il étonnera sûrement encore. A la rentrée, on le découvrira aussi dans L’Ennemi intime de Florent Emilio Siri, une grosse production sur la guerre d’Algérie, et 24 Mesures, le premier long métrage réalisé par le comédien Jalil Lespert. Dans une loge éclairée au néon, nous assis sur un canapé défoncé, lui perché sur un fauteuil tournant, il a répondu à nos questions en laissant traîner sur le décor son regard bleu qui se laisse aller à être rieur, quelquefois.
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ENTRETIEN > Avec La Fille coupée en deux, quelque chose que vous aviez esquissé avec La Pianiste de Michael Haneke et vos deux précédents Chabrol, à savoir une sorte de comique inquiétant, est visible au grand jour. Comment avez-vous travaillé ce rôle ?
Benoît Magimel – Claude m’a simplement dit que ce personnage était un enfant. Et la composition de ce rôle remonte pour moi aux Enfants du siècle de Diane Kurys et au personnage très dandy de Musset. Et puis j’apprécie beaucoup la comédie.
Vous avez collaboré au stylisme du personnage ?
Oui, je connais bien Mic Cheminal, la costumière du film. Elle est venue avec plein de propositions, dont cette fameuse veste à fleurs dont personne ne voulait. La coupe de cheveux aussi, j’y suis pour quelque chose. Mon idée était de faire dans le genre “aristo fin de race”, “dandy qui n’est pas de son époque”. J’ai même réécrit certains dialogues, je les ai rendus un peu plus compliqués, à l’éloquence un peu artificielle, par exemple dans la scène de restaurant où j’affronte Berléand.
Vous êtes du genre à vous opposer au metteur en scène ou à le laisser faire ?
Ça dépend. Quand je suis face à Claude Chabrol, je le laisse faire évidemment : il connaît tellement bien son métier. Il pourrait faire Die Hard 4 sans aucun problème ! Mais ça ne l’intéresse pas ; lui, il est dans l’épure totale… Quoiqu’avec La Fille coupée en deux, je trouve qu’il a fait un film plus stylisé que d’habitude. Des trois films que j’ai tournés avec lui, c’est mon préféré.
En voyant le film, on a l’impression que vous vous êtes beaucoup amusé à composer ce personnage.
Oui, c’est très drôle à faire car les mots de Chabrol sont toujours piquants, dérangeants, grinçants… Dans son cinéma, les choses sont décalées. Quand je lis les scénarios de Claude, je sais que c’est au moment de la mise en scène que toutes les subtilités, tous ces petits détails qui ne sont pas à leur place, vont ressortir.
Vos modèles d’acteur sont plutôt retenus ou exubérants ?
On parle souvent des acteurs du cinéma américain, mais moi j’adore certains acteurs français, ceux des films de Renoir ou de Becker, par exemple. J’aime beaucoup Michel Simon, et aussi Louis Jouvet, dont l’austérité peut parfois m’ennuyer. C’est un ancien bègue, c’est pour ça qu’il a cette élocution un peu particulière, cette extrême précision articulatoire de quelqu’un qui a appris très tôt à faire attention. J’aime les acteurs qui se transforment, le goût du costume. Je suis moins attiré par les acteurs de caractère.
Et Delon, notamment le Delon de Jean-Pierre Melville, c’est un acteur important pour vous ? On y pense à votre propos, dans certains polars que vous avez faits, comme Truands.
J’ai adoré Melville, jusqu’à Un flic. Il n’avait plus tout à fait les moyens nécessaires, et il y a même une scène de hold-up dans un train où l’on voit vraiment trop la maquette… J’aime beaucoup Le Cercle rouge, avec ce plan dément où la caméra sort d’un train par la vitre en travelling arrière, et, à l’époque, c’était encore un vrai train. Le Doulos et Le Deuxième Souffle, aussi. Et Quand tu liras cette lettre, avec Juliette Gréco, qui n’est pas du tout un film noir. Melville était une personnalité vraiment complexe : il fréquentait Jean Cocteau mais aussi des voyous.
Est-ce que vous avez le sentiment d’appartenir à une famille de cinéma ?
Non, pas du tout, ma carrière se fait film après film. Mes deux seuls proches sont Florent Emilio Siri, avec qui j’ai fait trois films, et Olivier Dahan, avec qui j’en ai fait deux. Je n’ai pas envie d’être dans un clan, une case, et encore, même en y faisant attention, ça finit quand même par arriver. Je suis souvent contacté pour jouer des mecs taiseux, un peu durs.
On a l’impression que Selon Matthieu de Xavier Beauvois est le film qui creuse le plus profond en vous.
Le film m’a beaucoup touché, notamment l’histoire de famille et le rapport avec le grand frère, puisque moi aussi, j’ai un grand frère. Ces histoires de rivalité fraternelle, je voyais vraiment ce que c’était, plus en tout cas que l’histoire d’amour avec Nathalie Baye, plus que cette fascination du personnage pour la bourgeoisie. Il me semblait que cette vision des rapports de classe datait d’il y a vingt ou trente ans, qu’aujourd’hui on peut être fier d’être un ouvrier. Pour moi, ce Matthieu, il était heureux avec son métier, son père et son frère, et c’est tout. L’histoire d’amour pouvait exister sans y ajouter cette fascination, comme si on était dans le cliché de l’ouvrier aux ongles sales, etc.
En tout cas, du film de Chatiliez à celui de Beauvois en passant par les Chabrol, la question de la lutte des classes revient régulièrement dans votre filmographie.
Je viens d’un milieu modeste, ma mère est infirmière, mes parents sont divorcés, je voyais mon père de temps en temps. J’ai toujours su biaiser, me faufiler un peu partout ; quand j’allais chez des copains, je savais très bien faire le petit garçon bien élevé, comme le petit Le Quesnoy, dans La vie est un long fleuve tranquille, qui en deux mois avait su se fondre dans le moule. Moi, c’est pareil, je suis à l’aise dans tous les milieux, en tout cas je sais faire semblant.
Est-ce que vous pouvez nous raconter votre histoire professionnelle commune avec Florent Emilio Siri, avec qui vous avez fait Une minute de silence, Nid de guêpes et L’Ennemi intime, qui doit sortir à la rentrée ?
Cette histoire, c’est un rêve de gamins. Florent m’a fait découvrir beaucoup de choses, beaucoup de films, notamment le cinéma des années 70 et le cinéma français d’avant et d’après-guerre. On a une sensibilité assez commune. On s’est construit une mythologie à nous. Par exemple, il aimait bien me raconter l’histoire de De Niro allant voir Scorsese en cure de désintoxication à l’hôpital, et lui apportant le projet de Raging Bull… On avait parlé avec Florent de la possibilité de faire un film de guerre ensemble, mais quelle guerre ? Et puis je me suis intéressé à la guerre d’Algérie. J’en parlais à des amis d’origine algérienne et je me suis rendu compte que cette guerre, officiellement l’une des plus anonymes et discrètes qui soient, sur laquelle les gouvernements ont peu communiqué, avait beaucoup d’échos dans la vie des gens. Complètement par hasard, j’ai évoqué le sujet avec Patrick Rotman, qui préparait un long documentaire pour France 3 sur le sujet, L’Ennemi intime. Et je lui ai parlé de Florent Emilio Siri et de la possibilité d’en faire un film. Ça aurait pu être Olivier Dahan, mais il me semblait que Florent avait une sensibilité plus propice à ce projet, il m’avait montré, par exemple, il y a quelques années, La 317e Section de Pierre Schoendoerffer. Je suis fier que ce projet ait pu arriver à terme. C’est un film nécessaire, important, et j’aimerais aller vers ce type de projet.
Comment s’est passée la première rencontre avec Michel Houellebecq, avec qui vous venez de tourner La Possibilité d’une île ?
On s’est rencontrés à l’issue de la projection des Chevaliers du ciel de Gérard Pirès. J’avais lu précédemment Les Particules élémentaires. Il est venu vers moi, je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Il m’a félicité, j’étais un peu étonné qu’il aime ce genre de film, mais il m’a dit très simplement qu’il aimait le cinéma de divertissement. Ça m’a fait plaisir.
Connaissez-vous les raisons pour lesquelles il vous a choisi pour son film ?
Non, c’était prévu pour un acteur plus âgé au départ, je crois. Et puis mon agent, François Samuelson, qui est aussi le sien, voulait vraiment que je fasse ce film et m’a dit que Michel lui avait parlé de moi. Ça me faisait envie, ce projet d’adaptation, avec Michel, avec sa vision… C’est un film expérimental, particulier, le genre de parenthèses que j’aime faire. Michel a fait l’école Louis-Lumière, son désir de cinéma vient de loin, ce n’est pas superficiel, et pour moi c’était important de le savoir. On a passé de longues après-midi ensemble à parler de cinéma, surtout de films épiques, comme Le Cid d’Anthony Mann avec Charlton Heston, mais aussi d’Ordet de Dreyer. Il m’a montré des scènes de films qui lui plaisaient sur VHS, et ça m’a rassuré de voir qu’il aimait vraiment le cinéma, qu’il ne voulait pas faire un film juste comme ça. C’est très librement adapté du roman, beaucoup d’artistes contemporains sont venus travailler, notamment pour les décors et le film est en Scope. Tout est très réfléchi. Houellebecq, on l’adore ou on le déteste, je n’ai jamais vu personne être indifférent à ce qu’il faisait. La préparation a été compliquée, car c’est difficile de transposer l’écriture à l’écran. J’avais beaucoup d’heures de maquillage tous les matins, jusqu’à neuf heures une fois !
Vous allez jouer dans un film de Barbet Schroeder ?
Oui, je vais tourner dans Inju, une adaptation d’un roman de Ranpo Edogawa, à la rentrée. Je suis un grand fan de Barbet Schroeder. J’avais beaucoup aimé Barfly, c’est à cause de ce film que j’ai lu Bukowski ; et j’ai vu ensuite tous les films de Barbet. Tout m’intéresse chez lui, ses films hollywoodiens, ses documentaires, j’adore La Vierge des tueurs…
Vous allez beaucoup au cinéma ?
Non, je suis plutôt DVD. Je suis un enfant de la VHS, j’ai grandi avec un magnétoscope. J’étais inscrit très jeune à un vidéo-club. J’ai vu tous les nanars français, les de Funès, Bourvil. Et tous les Bruce Lee. Je continue à acheter beaucoup de DVD, au hasard, sans idée précise. Sur le film de Houellebecq, en Espagne, je m’ennuyais beaucoup en dehors du tournage et j’ai regardé beaucoup de films. J’ai découvert Mélodie pour un tueur, qui a inspiré je crois Jacques Audiard pour De battre mon coeur s’est arrêté. C’est un film génial. J’ai vu Lenny de Bob Fosse avec Dustin Hoffmann que j’ai adoré. Souvent, ce sont les acteurs qui me mènent aux films, Dustin Hoffman, Harvey Keitel…
Vous écoutez du rock ?
Je connais mal l’histoire du rock, les Kinks, Led Zeppelin, David Bowie, j’ai jamais trop écouté. J’ai d’abord écouté du ragga, j’ai eu une grosse période jamaïcaine, les soundsystems… Et après, la salsa, la musique cubaine. Je fais des percussions et j’avais un groupe à l’époque. Aujourd’hui, j’adore Mathieu Chedid. C’est un vrai show-man, très talentueux, très créatif. Et ses textes sont vraiment touchants. J’ai suivi aussi les débuts du hip-hop, en 1988. Je me souviens des grandes sessions d’impro sur Nova. J’ai été punk aussi, mais rapide ! J’avais pas les épaules pour ça, je crois (rires). Mais j’ai écouté. Un peu de new-wave aussi, les Cure, j’ai eu ma petite période corbeau. Et puis je suis passé au hip-hop direct. Parce que mon frère se moquait de moi. Lui écoutait de la funk. Quand j’écoutais du hip-hop, c’était underground. Maintenant, c’est mainstream, mais c’est bien. C’est super de voir JoeyStarr à la Star Ac, ou que la petite Diam’s, que j’ai connue parce qu’elle avait été castée pour Nids de guêpes, cartonne. Il faut que ça tourne un peu, le succès et la reconnaissance.
Vous aimeriez tourner dans des films étrangers ?
Oui, bien sûr. Mais je n’ai pas envie de m’installer aux Etats- Unis pour faire carrière làbas. J’aimerais bien tourner en Italie. J’adore les coproductions des années 60, où des acteurs de tous pays se mélangaient. Mais je n’ai jamais vécu à l’étranger. Et je suis assez casanier, je crois.
Entretien réalisé par Jean-Marc Lalanne et Axelle Ropert
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