Alors que L’Enjeu sortait sur nos écrans français il y a deux ans, Barbet Schroeder, créateur des Films du Losange et cinéaste français passé à Hollywood, nous parlait de son travail de collaboration avec les studios américains.
Vous vouliez être un « cinéaste de genre » ?
J’ai eu l’intuition que c’est là qu’il y avait le plus de liberté. Mon premier vrai film pour un studio, c’était JF partagerait appartement… Faire un « film de genre » était une façon de me préserver, de préserver ma liberté. Et puis j’aime beaucoup les « films de genre », j’aime Anthony Mann et Samuel Fuller. Même si La Vallée est exactement le contraire de ça : un film absolument contemplatif où toute dramaturgie est refusée ! En revanche, Tricheurs est le plus américain de mes films français, bien qu’il ait été fait avec très peu d’argent, beaucoup moins que Barfly. Sur Tricheurs, le problème était qu’on n’avait plus du tout de figurants crédibles, par manque d’argent. Là, on a frôlé la catastrophe.
Est-ce que vous aviez le final-cut sur L’Enjeu ?
Oui. Jusqu’à présent, j’ai toujours eu quelque chose qui se rapproche beaucoup de ça. Mon final-cut n’est pas absolu mais presque. Mais la période du montage peut quand même être très éprouvante, ce sont parfois des négociations incessantes et difficiles. Mais au final, je suis parvenu à faire ce que je voulais.
Pourquoi, alors que vous aviez créé votre propre structure de production à Paris, avez-vous choisi de devenir un cinéaste américain ?
Ça m’excite plus. C’est comme la corrida : c’est plus étonnant d’arriver à faire de l’art avec des taureaux très méchants qu’avec des taureaux trop dociles. Et puis le cinéma américain a toujours été très important pour moi. Je n’ai pas de racines françaises, je n’ai pas passé mon enfance ici, je me sens bien partout dans le monde. More, mon premier film, était déjà un film américain. C’était donc un choix dès le début, la France ne m’a jamais inspiré. En revanche, je rêve de faire un film en langue espagnole, en Colombie où j’ai passé mon enfance. Si je pouvais trouver l’argent pour le faire… Ou un film en Allemagne, en allemand. J’ai aussi un projet en Thaïlande.
Mais vous pourriez bâtir ces projets depuis Paris, avec votre société de production Les Films du Losange ?
Je ne dis pas que je ne le ferai pas un jour, mais j’ai choisi de faire des films dramatiquement très construits – ça m’excite plus. Le travail sur le scénario est plus facile aux Etats-Unis. Et le choix des acteurs y est extraordinaire. Mais ce n’est pas dit que ça puisse durer éternellement avec les grands studios : il est possible que je me rabatte sur les indépendants parce que je ne veux pas non plus me spécialiser dans le recyclage ou la subversion des genres. Je veux changer à chaque film, ne surtout pas me répéter.
Comment le scénario de L’Enjeu est-il arrivé jusqu’à vous ?
Peter Gruber, à qui j’avais porté chance en faisant avec lui JF partagerait appartement (qui a rapporté des sommes phénoménales, ndlr), m’a proposé ce projet. L’auteur original avait tellement mauvais goût que j’ai vite vu que je ne pourrais jamais m’entendre avec lui. J’ai donc retravaillé le scénario avec d’autres.
Comment intervenez-vous dans ce processus de réécriture ?
Je n’écris pas du tout physiquement moi-même, mais je participe à des réunions pour régler peu à peu les problèmes du script. On fait une séance, le scénariste part écrire, il nous faxe le résultat, on réagit et on corrige, le studio réagit aux changements et on parvient à une position commune. Mais il n’est jamais arrivé que je demande au scénariste des changements auxquels je n’aurais pas cru, cela aurait signifié mon départ du projet.
Dans le cas de L’Enjeu, qu’est-ce qui vous intéressait assez dans le script de départ pour accepter de vous y arrêter ?
Deux choses rendaient le film très différent des autres thrillers hollywoodiens. D’abord, démarrer un film d’action par une longue scène de dialogue, dans laquelle les deux personnages commencent leur partie d’échecs. Puis, la présence centrale d’un enfant : c’est ce qui rend l’enjeu terrifiant pour son père. C’est un enfant comme on n’en voit pas souvent, qui est déjà passé près de la mort et qui a donc une vision très détachée, très lucide quant à sa chance de survivre. Et surtout, la confrontation entre un enfant et le Mal, vue à travers un personnage très fort, très dynamique. Là, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à Moonfleet de Lang – le film qui montre comment un enfant voit un personnage maléfique.
Aujourd’hui, vivez-vous à Los Angeles ?
A New York. Je fais très attention d’être le plus loin possible de Los Angeles. Je suis exactement à mi-chemin entre Paris et LA : six heures d’avion dans chaque sens. C’est très important pour moi parce qu’il ne faut jamais se retrouver au montage à l’intérieur même du studio. Ça m’est arrivé une fois pour JF partagerait appartement… et je me suis aperçu qu’on était soumis à beaucoup plus de pression. Je monte donc mes films à New York, je vis à New York et je me prétends new-yorkais. J’essaye de garder cette distance-là. Mais Manhattan est tellement devenu une enclave de riches que je préfère en sortir pour filmer autre chose. Quand je suis à LA, je prends le métro ou je loue une voiture et j’explore systématiquement toutes les banlieues : le monde entier y est représenté.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}