Elle dit qu’elle navigue entre deux pôles, d’Ingrid Bergman à Jacqueline Maillan. Alors que va sortir son premier film avec André Téchiné (le 17 août), Carole Bouquet raconte sa vie cinéma.
Comment vous retrouvez-vous sur le Schroeter ?
J’ai connu Werner par Jean-Pierre Rassam. On avait signé le contrat sur un coin de table, ça ne se fait plus comme ça. Werner regarde les femmes comme des icônes. Je savais avant le James Bond que j’allais travailler avec lui. Ce qui avait intrigué Werner, c’était ma façon de manger, de me jeter rapidement sur la nourriture, ainsi que ma façon de marcher comme un hussard. C’est là-dessus qu’il avait envie de travailler. Il était intéressé par le contraste entre mon image de madonne et mes manières de garçon manqué. On est allé le rejoindre à Florence en voiture avec Jean-Pierre, puis on est allé chez le producteur de Roberto Begnini qui avait une maison en Toscane au bord de la mer. Mais son film a été repoussé parce qu’il fallait qu’il attende la fin du James Bond.
Etiez-vous aussi intimidée par Schroeter que par Buñuel ?
Non, il n’était pas intimidant, il était très chaleureux. On travaillait ensemble, il s’appuyait beaucoup sur moi, et c’est la première fois que j’ai été heureuse sur un plateau. J’ai vu dans le regard du chef opérateur et celui de l’ingénieur du son que je que je faisais correspondait enfin à ce dont j’avais envie. Enfin, on ne faisait pas que me voler des choses, et ça faisait un doux mélange entre ce qu’on laisse échapper et ce qu’on construit. C’était un tournage très satisfaisant. Je me souviens, le matin, j’étais sur le Bond, et l’après-midi, j’arrive dans les studios d’Hitler à Prague.
A l’époque, Prague était en très mauvais état, et le contraste entre les deux tournages dans la même journée était saisissant. Ensuite, à Cannes, le contraste a continué ! Le Jour des idiots était en compétition, et j’avais mes deux jambes qui faisaient le portique du Carlton avec l’affiche géante du James Bond ! C’était le grand écart à tous niveaux ! Werner était le plus antinaturaliste des cinéastes, il avait une passion pour l’opéra et c’est lui qui a fait mon éducation en ce domaine.
Autre cinéaste important pour vous, Bertrand Blier, avec le fameux Trop belle pour toi.
Un cinéaste très différent de Werner, avec des films faits d’écriture, de dialogues brillants. Si Werner et Bertrand s’étaient rencontrés, je ne suis pas sûre qu’ils auraient eu des choses à se dire tellement leurs univers sont différents. Par contre, Blier n’est pas éloigné de Buñuel, il y a une dimension surréaliste dans ses films. Trop belle pour toi est arrivé à un moment important, juste après Double messieurs. Je vais vous raconter Stévenin. Mon agent de l’époque, Georges Baum, m’appelle un matin et me dit, je viens de boire des bières avec un homme vraiment charmant, Jean-François Stévenin. Je connaissais, j’avais vu Passe-montagne, son premier film. Baum me dit qu’il faut absolument que je fasse son nouveau film. « Oui, ça parle de quoi ? – Je sais pas« . Bon. Je vois Jean-François, je lui pose la même question, il me dit « C’est l’histoire d’une femme. – C’est court comme résumé ». Mais j’y suis allée, parce qu’il était tellement séduisant, charmant.
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Dans Double messieurs, vous avez l’air d’une femme perdue au milieu d’une bande de potes, voire de potaches.
C’était vraiment ça. Le soir, je demandais ce qu’on tournerait le lendemain, Jean-François ne savait pas, disait, je vais demander à ma femme. Par fois, on ne tournait pas, et comme je m’en inquiétais, Jean-François me disait « Mais tu ne m’a pas dit ce que tu voulais qu’on tourne. – Hein ? mais c’est ton film, pas le mien ! ». Après Double messieurs, pendant deux ans, je disais non à beaucoup de scénarios, et puis je ne disais plus non parce que plus rien ne se passait. Et un matin, téléphone, c’était Bertrand Blier. « Je suis en train d’écrire un scénario pour Depardieu, Balasko et toi. Ça t’intéresse ? ». Alors que mon cœur battait à 200 à l’heure, j’ai répondu de manière très détachée, « Oui, pourquoi pas, avec plaisir« . J’étais en pleine extase mais je ne voulais pas le montrer, ça ne se fait pas. Dès qu’il a raccroché, j’ai hurlé et poussé un grand ouf.
Comment est Bertrand Blier sur un tournage ?
Angoissé. Mais charmant quand même, parce qu’il a énormément d’humour. J’en ai connu, des pas inquiets, mais pas beaucoup. Sur Trop belle pour toi, Bertrand était particulièrement inquiet parce que l’histoire était compliquée, qu’il devait gérer Josiane, Gérard et moi. Cela dit, j’étais de très bonne humeur sur ce tournage, alors que les deux autres souffraient beaucoup. Gérard était très angoissé, et Josiane on ne peut plus flippée. Moi, j’étais tranquillement installée à Aix, et je savais que c’était un très beau film. Je trouvais les dialogues sublimes, j’arrivais à faire ce que je voulais, comme baisser les yeux pendant le plan du mariage.
Vous auriez pu prendre à votre compte la tirade sur la beauté ?
Je l’ai prise à mon compte : « Aux uns et aux autres, je demande pardon. Je sais que je suis un peu trop belle, etc ». Toute cette scène du mariage est magnifique. La scène d’engueulade avec Josiane, j’ai eu plus de mal, je ne parvenais pas à lui balancer des horreurs pareilles. Bertrand me répondait « Mais regarde ! je le fais moi ! ». Mais Bertrand s’est senti coupable vis-à-vis de Josiane après la sortie du film. Pourtant, Josiane était finalement contente, c’était un beau rôle, et pour une fois pas comique.
Vous avez partagé la vie du producteur Jean-Pierre Rassam. Pourquoi était-il si mythique ?
Son intelligence fulgurante. Jean-Pierre faisait des associations dont personne n’était capable. Il arriverait dans cette pièce, il ferait votre portrait en deux secondes. C’est la plus belle rencontre que j’ai faite, ça a changé ma vie. De ce point de vue, il a été plus important que Buñuel. Cet homme était un éblouissement permanent. C’était un privilège de le côtoyer, malgré le tumulte, et il y en a eu. Mais il était tellement fascinant, tellement drôle, que ça emportait tout.
Fréquentiez-vous sa bande, décrite dans le roman de Jean-Jacques Schuhl, Ingrid Caven ?
J’aurais rêvé de travailler avec Fassbinder, et ça a failli se faire. A l’époque où je travaillais avec Werner, à Cannes, Fassbinder m’avait proposé deux films. L’un où il faisait aussi l’acteur, et l’autre qui s’intitulait Cocaine. Et puis il est mort quelques semaines après. Pendant cette époque Rassam, notre maison était pleine. Heureusement que nous avions deux étages, parce que j’avais un enfant en bas âge au 1er, et c’était la fête permanente en bas, 25 à 30 personnes tous les soirs à dîner dans une atmosphère très conviviale, vivante, joyeuse, parfois délirante, avec même parfois des colères magistrales. Il n’y avait rien de compassé, ce n’était pas le salon de Mme de Stael !
Comment était Jean-Jacques Schuhl ?
Lui, je l’avais connu avant, puisqu’il était le mari d’Ingrid Caven et l’accompagnait sur le tournage du Werner Schroeter. On avait donc passé quelques mois ensemble à Prague. Il s’est parfois fait casser la gueule la nuit, parce que Prague n’était pas rigolo à l’époque, avant la chute du Mur. Si on déconnait le soir dans sa chambre d’hôtel, ça pouvait devenir brutal. Il n’y avait rien à manger, mais vraiment rien ! Dans les restaurants, il y avait des menus magnifiques, mais quand on commandait, ils disaient « Ah non, y a pas !« . A la cantine du film, un jour c’était choux, un autre jour c’était yaourt… Heureusement, on a copiné avec un diplomate qui se faisait amener à bouffer par la valise diplomatique. Schuhl avait déjà publié mais il était inconnu.
Vous avez lu Ingrid Caven ?
Non. Mais je suppose que les passages sur Jean-Pierre sont forcément romanesques pour la bonne raison que Jean-Pierre était un personnage de roman. Ce qui est dit de lui dans les livres est souvent éloigné de la réalité parce qu’il faisait fantasmer. Le quotidien n’était pas toujours aussi délirant que les gens se l’imaginent. Par contre, sa réputation de producteur aventurier, risque-tout, correspond à la vérité. Il avait aussi une culture immense qui le rendait capable de discuter pied à pied avec les artistes. Il montait des films fous financièrement mais savait aussi parler à Ferreri ou Coppola. Quand Coppola a monté Apocalypse now, Jean-Pierre a passé un an chez lui. Il était son conseiller de l’ombre. Son avis comptait, même sur les films qu’il ne produisait pas.
Vous n’avez pas joué dans des films produits par Rassam ?
Si, un seul, Dagobert de Dino Risi. Les Godard produits par Jean-Pierre, c’était avant que je le rencontre. Jean-Pierre n’était pas du tout impressionné par Jean-Luc, contrairement à moi. J’avais une de ces trouilles quand on déjeunait ensemble ! Jean-Luc avait fait un truc dingue : il avait offert à Jean-Pierre un exemplaire du Capital dans lequel il avait remplacé à chaque fois le mot « capital » par Rassam ! Ils avaient des rapports par moment très enfantins. Ils se connaissaient vraiment bien et cela donnait une liberté de parole entre eux que je n’ai jamais revue autour de Godard. C’est d’ailleurs par lui que j’ai rencontré Jean-Pierre.
J’étais convoquée dans le bureau d’Alain Sarde pour rencontrer Jean-Luc Godard. Je suis dans le bureau et ni Alain Sarde ni Jean-Luc ne parlent. Pas un mot. Et ça dure vingt minutes. C’est long. Heureusement, arrive un trublion, qui marchait comme Chaplin, qui s’est mis à parler, parler, parler, qui me regardait en disant « Qu’est-ce que c’est que cette manière de s’habiller ?« … Il me critiquait immédiatement, c’était un enchantement. Il m’a donné rendez-vous à un dîner le soir même, et il n’est pas venu. Il y avait une quinzaine de convives et personne n’était surpris de cette défection. J’étais tombée amoureuse dans la seconde où il était entré dans ce bureau. Plus tard, à Cannes, il n’était pas sorti de sa chambre de tout le festival, il recevait en robe de chambre.
On a été invités sur le bateau de Coppola et il n’y avait qu’une seule cabine, mais Jean-Pierre et moi n’en n’étions pas encore à ce stade. Je me demandais comment ça allait se passer, mais le problème ne s’est pas posé, il a dormi toute la nuit ! Sur ce bateau, étaient également présents Aurore Clément et Dean Tavoularis qui filaient le parfait amour. Le matin, je sors de la cabine et j’entends parler dans une cabine voisine. Je colle mon oreille à la porte et c’était Aurore et Jean-Pierre : elle lui disait « Mais mon pauvre Jean-Pierre, comment veux-tu qu’une femme pareille tombe amoureuse de toi ?« . Or, je n’étais pas juste amoureuse, j’étais folle amoureuse ! Plus tard, Jean-Pierre a dit à Aurore « Ah ben bravo pour ta psychologie ! ».|break]
A part Fassbinder, quels cinéastes manquent à votre filmographie, à vos désirs ?
Fassbinder, j’aurais adoré. Quand il m’a fait ses propositions au bar du Carlton, je me suis pincée pour être sûre de ne pas rêver. A ce moment-là, il était le metteur en scène qui me fascinait le plus, il venait de faire le magnifique Tous les autres s’appellent Ali. Godard, je ne regrette absolument pas. Un jour, je suis allée à Rolle, après Trop belle pour toi. Je n’ai pas l’air, mais je suis très timide, et encore plus devant Jean-Luc. Là, il m’avait convoquée, et une fois là-bas, il me demande pourquoi je veux travailler avec lui ! Génial mais pervers ! On n’a pas travaillé ensemble et j’en suis fort soulagée parce que je n’aurais pas supporté longtemps ce genre de comportement. Aujourd’hui, j’en rirais, mais pas à l’époque.
D’autres avec qui j’aurais adoré tourner sont morts : Rossellini, Visconti, les Italiens. Il y en a un autre, mais je ne suis pas faite pour son cinéma, c’est Scorsese. Pourtant, ça a failli une fois, j’étais sur la short-list pour Le Temps de l’innocence, mais finalement, il a pris Michelle Pfeiffer, une Américaine, ce qui est normal. Ce n’est pas travailler avec lui qui m’a manqué, c’est le voir travailler. Généralement, je ne fantasme pas sur les cinéastes, parce que ça n’arrive jamais qu’on tourne finalement avec ceux-là. Donc, autant ne pas fantasmer.
Vous avez une image chic, glacée, glamour, or vous êtes aussi terrienne, bonne vivante, et vous avez excellemment joué la comédie chez Michel Blanc ou Brigitte Rouan. Comme vous le dites, vous avez un pôle Ingrid Bergman et un pôle Jacqueline Maillan.
J’aime beaucoup jouer dans des comédies. C’est ce qu’il y a de plus difficile au cinéma, ça demande une maîtrise, une minutie, un savoir-faire absolus. Prenons l’exemple de Blanche, de Bernie Bonvoisin : à l’écriture, c’était formidable, et sur l’écran, ça n’a pas tenu sa promesse. Sur le papier, c’était génial, les dialogues étaient hilarants, le casting était formidable avec Jean Rochefort, José Garcia, Roschdy Zem, les costumes étaient géniaux, le budget était conséquent, tout était réuni pour que ça marche. Mais le rythme n’était pas là, les répliques étaient géniales mais on ne les entendait pas ! Je lui ai dit, à Bernie, « Mais bon sang, pourquoi on n’entend pas tes dialogues qui sont géniaux ?!« . Et pourtant, qu’est-ce qu’on a rigolé sur ce tournage, José faisait des choses extraordinaires de drôlerie, d’invention. Cela prouve que tout le monde n’est pas fait pour la mise en scène. On n’est pas forcément bon partout. Quel grand scénariste est aussi grand metteur en scène ? Et vice-versa ? Buñuel, Forman, Polanski, Truffaut n’écrivaient pas leurs scénarios. La beauté du cinéma, c’est que ce n’est pas un truc solitaire.
Quelle place tient le rôle de Lucie Aubrac dans votre filmo et votre vie ?
Je retiens surtout ma rencontre avec Lucie, un vrai cadeau. J’ai passé du temps avec elle, avec Raymond (ndr : Aubrac, son mari, également résistant)… La force de cette femme ! La première fois que je suis allée chez elle, avant le film, elle ne voyait déjà plus très bien. Elle m’ouvre la porte, une géante de 95 ans, droite comme un I. Quand je pense que certains ont osé polémiquer sur les évènements de Caluire ! Il suffit de les voir cinq minutes pour mesurer leur droiture. Lucie est une des femmes les plus fortes et généreuses que j’ai rencontrées. Elle continuait à aller trois fois par semaine dans les lycées pour parler de la Résistance. Je regrette seulement de ne pas avoir suffisamment profité de sa présence. De temps en temps, elle m’engueulait, sur telle ou telle de mes prises de parole publique. Elle était la droiture même, en cohérence totale avec ses idées.
Et le film ?
Elle venait de temps en temps sur le tournage. Un jour, je devais porter un sac dans une scène et ce sac m’emmerdait. Claude (Berri), tenait à ce sac parce que disait-il, les femmes avaient un sac. Lucie arrive à ce moment-là et dit « Moi, j’ai jamais eu de sac ! Tout dans les poches !« . Je lui dis, « Vous pouvez le répéter dans deux secondes à Claude« . Elle disait toujours ce qu’elle pensait. Bon, le film est pas mal, mais c’est vraiment la rencontre avec elle qui m’importe. Il est vrai que je dois ça au film.
Et que pensaient les Aubrac du film ?
Ce qui les intéressait, c’est que le film prolonge la pédagogie de la Résistance. Mais ce film leur a causé des ennuis avec le réveil de ces polémiques honteuses. J’ai durablement boycotté certaines émissions de télé parce que le présentateur avait dit à leur propos « Il n’y a pas de fumée sans feu« . « Ah oui ? ben toi, tu peux attendre pour que j’aille dans ton émission !« . Vous imaginez la violence d’une telle polémique à leur âge ?
A l’opposé de Lucie Aubrac, on vous a également vue dans un épisode de Sex & the city.
Oui, enfin c’était rien du tout, juste une scène. Je l’ai fait pour faire plaisir à mes enfants. J’aime beaucoup regarder des séries américaines, mais les faire, non. Il y avait douze vidéos en dehors du plateau, avec douze scénaristes en train de tout réécrire au dernier moment, à toute vitesse. C’est fascinant. Le metteur en scène, on ne lui demande pas son avis, il est purement un technicien exécutant. Mon travail a duré une journée, je l’ai fait pendant Travaux. Alors ils mettent des heures à préparer les choses, mais après, ça tourne à une vitesse ! tac tac tac ! Ils bossent sur ces séries, c’est vraiment un énorme travail. Pour une actrice, c’est assez invivable, mais il faut reconnaître qu’ils sont efficaces. Mais on ne se sent pas regardée et filmée comme on peut l’être par un cinéaste. Je n’ai pris aucun plaisir sur ce tournage, contrairement au Téchiné, mais je reconnais que comme spectatrice, j’aime bien Sex & the city.
Vous êtes engagée dans la vie citoyenne à travers l’association La Voix de l’enfant. Vous avez également soutenu les sans papiers. Est-ce difficile de s’engager quand on est une célébrité ?
Je ne pense jamais à ce genre de question, sinon on ne fait rien. La Voix de l’enfant, c’est plus facile que les sans papiers, encore que… le gouvernement a baissé l’âge de la responsabilité des mineurs, il y a la question de la rétention de sûreté. Il y a des lois répressives concernant les enfants que j’aimerais bien voir détricotées. Sur ces sujets, La Voix de l’enfant va monter au créneau. Sur l’enfance, j’ai beaucoup travaillé, je connaissais parfaitement les dossiers. Les sans papiers, je me suis occupée d’un cas ponctuel, je ne m’y consacre pas sur la durée.
Vous ne pensez jamais que telle ou telle cause peut vous aliéner une partie de votre public ?
Ça ne me traverse même pas l’esprit. Les sans papiers de la rue de la banque, je rentrais à pied chez moi du restaurant et je passe devant ces centaines de femmes couchées par terre. Je continue de marcher et je me dis que l’on s’habitue au malheur. Et puis je me dis « Mais tu es folle de t’habituer à ça« . Je suis revenue en arrière et j’ai commencé à leur poser des questions. D’où elles venaient, pourquoi elles étaient là… Par le film Travaux et La Voix de l’enfant, je connaissais bien le dossier des marchands de sommeil. Cette histoire de la rue de la banque était cinglée : des travailleurs avec papiers en règle, mais n’ayant pas les moyens de se loger. Je ne pouvais pas ne rien faire. Et il y a des abrutis, certains hommes politiques, qui m’ont dit « Vous n’avez qu’à les prendre chez vous » ! Il faut expliquer ces questions, faire de la pédagogie, montrer que ces gens payent autant que pour un appartement pour loger dans des hôtels insalubres. Cette société marche parfois sur la tête.
A ce stade de votre carrière, atteignez-vous une certaine zénitude, une forme de détachement souverain ?
J’ai eu tellement de plaisir à faire le film d’André que je peux attendre maintenant ma prochaine envie impérieuse de faire un film. Vous savez, j’ai commencé fort avec Buñuel, mais ensuite, ça ne s’est pas enchaîné si facilement. Aujourd’hui, disons-le, il n’y a pas tant de monde que ça avec qui j’ai une irrésistible envie de tourner. Pour que je sois pleinement heureuse sur un film, il ne me suffit pas de jouer, il faut que j’ai le sentiment que le film est vraiment bien, qu’il y ai une forte complicité avec le réalisateur. Si ce n’est pas ainsi, je souffre.
Propos recueillis par Serge Kaganski