Elle dit qu’elle navigue entre deux pôles, d’Ingrid Bergman à Jacqueline Maillan. Alors que va sortir son premier film avec André Téchiné (le 17 août), Carole Bouquet raconte sa vie cinéma.
En 79, vous avez tourné dans un film punk : Blank generation de Uli Lommel, avec Richard Hell.
Au départ, ce n’était pas du tout prévu ! Ce n’est pas un grand moment de l’histoire du cinéma. A la première, les gens jetaient des canettes de bières sur l’écran ! C’était toute une époque, dont j’ai intensément fait partie pendant un an, 24h sur 24. Au départ, Lucian Pintilié m’avait demandé de jouer au théâtre une pièce de Gorki. Je n’avais aucune envie de jouer au théâtre, toujours le complexe du Conservatoire. Pintilié me fait passer des essais. Il me fait traverser la scène du Théâtre de la Ville et me dit « C’est bon« . J’étais interloquée. Au même moment, une amie me parle du film d’Uli Lommel et me demande de venir à New York. J’ai pris l’avion. Tout était bon pour ne pas faire la pièce de Pintilié. Je l’ai appelé d’une cabine téléphonique pour lui expliquer que je faisais un film à NY. Pintilié m’a toujours dit qu’il n’a pas cru un mot de cette explication, il pensait que j’étais planquée en bas de chez moi !
Saviez-vous qui était Richard Hell ?
Je n’en avais aucune idée. Je connaissais bien Patti Smith. Mais la question a été vite réglée, j’ai tout de suite rencontré Richard Hell et je suis allée au CBGB tous les soirs. Sauf que moi, à l’époque, je ne bois pas, ne fume pas, ne prend pas de drogue… j’ai tout appris là-bas ! Bref, sans prendre de choses, la musique du CBGB n’était pas terrible. La première fois que j’ai craqué un popper, ça allait déjà beaucoup mieux ! Je n’étais pas fan de la musique mais j’aimais bien cet endroit. Richard habitait dans les avenues A, B, C, D dans un endroit qui était une caricature punk : un canapé totalement défoncé, et rien d’autre !
Blank generation n’est pas génial, mais c’est un document sur l’époque.
On a commencé le film sans trop savoir ce que j’allais y faire. Il n’y avait pas d’argent, donc on tournait trois ou quatre jours par mois. C’était financé par la fiancée d’Uli Lommel, qui était une héritière Shell ! Il fallait qu’elle convainque sa famille de remettre de l’argent chaque mois. Moi, je logeais au Chelsea. Or, j’avais rencontré Andy Warhol quand j’avais fait la couverture d’Interview au moment de la sortie américaine de Cet Obscur objet. Je me retrouve dans un dîner où était présent Warhol. On lui avait tiré dessus au Chelsea, et Warhol m’a tout de suite dit de quitter cet hôtel et a organisé ma vie new-yorkaise. J’ai donc eu un chaperon pendant un an qui s’est occupé de moi à New York.
Apprenant que je fréquente Warhol, Lommel me demande de lui demander de tourner dans le film. C’est comme ça qu’il se retrouve dans le film, pour une scène avec moi où, atrocement, rien n’est écrit ! Je jouais une journaliste et je devais faire une interview fictive d’Andy. Un cauchemar ! Moi, posant des questions à Andy Warhol ? J’étais en nage, j’avais une trouille… Mais lui était comme à son habitude, charmant, délicieux. On a terminé le film vers mai-juin, et je suis restée à New York jusqu’en septembre, pour un été très intense où j’ai du passer toutes mes nuits au studio 54 : il y a avait là Warhol bien sûr, Mick Jagger, Bianca, très maternelle, qui m’avait prise sous son aile. Les dîners se passaient chez Elaine’s, le restaurant où se retrouvait tout New York : tous les acteurs, musiciens, écrivains, journalistes… On y mangeait mal, mais je n’ai jamais vu un endroit pareil. Et tous ces gens passaient me voir pour me dire « Magnifique, ce que vous faites dans le film« .
Je devenais une petite princesse qui commençait à apprécier son état de princesse, surtout par rapport à Paris. Tout en étant terrorisée par mon métier, j’ai commencé à y prendre goût. Mais j’ai aussi pris goût à cette vie new-yorkaise 24h sur 24, avec tous ses produits qui circulaient, si bien qu’à un moment… Je me souviens très bien m’être retrouvée un matin sur un trottoir en larmes me demandant ce que je fichais là. Je me suis dit qu’il fallait que je rentre et que j’apprenne mon métier, ce qui commençait par parler ma langue. Je n’avais aucune intention de faire une carrière américaine. Heureusement, j’ai eu la chance que Bertrand Blier me remarque un soir à l’ambassade de France. Il a demandé à Toscan, « C’est qui, ça ? », « Ben, elle a joué dans le Buñuel« . J’avais mes longs cheveux noirs, des lunettes noires, un rouge à lèvres noir, et le teint blafard. Du coup, Blier m’a fait jouer la Mort dans Buffet froid.
Au début de votre carrière, en 81, comment vous êtes-vous retrouvée sur des films aussi différents que le James Bond et Le Jour des idiots de Werner Schroeter ?
C’est Schroeter lui-même, ainsi que Jean-Pierre Rassam et Roberto Begnini qui ont décidé à ma place pour le James Bond. On était ensemble dans une maison en Italie, le téléphone a sonné et quand on m’a demandé de faire le James Bond, je n’en savais rien. Ils voulaient une réponse de suite, je suppose qu’une actrice venait de leur faire défaut. J’avais déjà dit non à un James Bond cinq ans avant. J’ai demandé aux trois en face de moi ce qu’ils en pensaient et ils m’ont dit « Vas-y ! ».
Quel effet ça fait d’avoir été une James Bond girl ?
J’aurais pu m’en passer. Franchement, je n’ai rien appris sur ce film sur le métier. Tu ouvres des portes, fermes des portes… Peut-être qu’aujourd’hui, j’apprendrais et prendrais du plaisir. A l’époque, je me demandais ce que je fichais là. Bon, sur le plateau, ils sont 300 au lieu d’être 50, mais à part ça… Artistiquement, il n’y avait rien à faire. Je piétinais pour aller faire le Schroeter, ça les agaçait.
Pourtant, Rien que pour vos yeux est un Bond enlevé, amusant ?
Ce qui était amusant, c’était les voyages du tournage, avouons-le. Il faut dire que j’étais avec Jean-Pierre Rassam que j’avais rencontré l’année d’avant et c’était un moment de bonheur total entre nous, parce qu’il arrête tout et qu’il est heureux. On rit, on s’amuse, on va dans cette magnifique partie de la Grèce où se trouvent les monastères hauts perchés. Un soir, pour me faire une blague, Jean-Pierre m’a vendu à un Grec qui y a cru. Le soir quand je monte me coucher, je vois un mec assis sur mon lit ! Je huuuurle ! Roger Moore qui était dans la chambre à côté se serait-il bougé ? Tu parles…
Le lendemain, il me dit tranquillement, « Oui, en effet, je t’ai entendu crier« . Heureusement, le Grec a tout de suite compris que c’était un malentendu et s’est excusé. Je descends voir Jean-Pierre, je lui dis « T’es malade !« . Il me dit « C’était une blague ». « Ah oui ? Trèèèès amusante, ta blague !« . Ensuite, toujours avec le tournage de Bond, j’ai découvert Cortina d’Ampezzo et je suis tombée amoureuse à vie de cet endroit. J’ai pris beaucoup de plaisir sur ce film comme amoureuse, mais pas comme comédienne. Presque tout était tourné par des cascadeurs.
http://youtu.be/mnfewT7RQ0s