Un passionnant documentaire éclaire les zones d’ombre du réalisateur brillant de chefs-d’œuvre tels que La Garçonnière ou La Scandaleuse de Berlin. A revoir sur Arte.
Dans ses magnifiques mémoires Et tout le reste est folie, Billy Wilder avait eu, dans un demi-sommeil, une idée de titre pour son autobiographie : “Qui ai-je été, que suis-je devenu, qu’est-ce que je suis, à quoi puis-je prétendre, que dalle.”
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Dans les films comme dans la vie, son humour infaillible était son masque de tous les jours, la marque d’une pudeur suprêmement élégante. On peut en prendre toute la mesure dans un beau documentaire que Arte rediffuse, Billy Wilder ou le très grand art de distraire : un portrait aussi rigoureux que complet qui revient, archives et témoignages à l’appui, sur les grandes dates et les collaborations décisives de la carrière du Viennois d’Hollywood.
Pour Billy Wilder, la comédie peut tout faire passer
La partie consacrée aux années de guerre éclaire d’un nouveau regard son œuvre : une partie de sa famille, qu’il n’a pas réussi à faire venir aux Etats-Unis, est morte à Auschwitz – drame qu’il a toujours gardé pour lui. Depuis Hollywood, le cinéaste s’est attelé à réaliser Les Usines de la mort, un documentaire à partir des images de la libération des camps rapportées par les Alliés en 1945.
A l’instar d’Hitchcock, Wilder voulait exposer sans détour les preuves d’une horreur innommable, mais, au sortir de la guerre, le peuple allemand n’était pas encore prêt à prendre conscience de ce qui s’était passé là, parfois à quelques kilomètres de chez eux.
De cette expérience le documentaire nous fait comprendre que Wilder a tiré une leçon pour ses films à venir : la vérité, pour être recevable, doit être enroulée dans une forme qui la rend acceptable. La fiction ne fonctionne pas autrement chez lui : la comédie peut tout faire passer, rend présentables les idées les plus noires, les observations les plus désespérées.
Un observateur implacable et ironique
Il suffit de revoir certains de ses films : Sunset Boulevard, La Garçonnière, Le Poison et même Sabrina, autant d’astres noirs brillants de lucidité où la mort rôde dans les parages – elle était déjà là dans la Scandaleuse de Berlin, comédie étincelante qui pousse sur un Berlin en ruines.
Observateur implacable et ironique du mode de vie américain, Wilder, qui a été journaliste, a réalisé une œuvre qui frise parfois le document sociologique : jusqu’aux années 1960, il était totalement en phase avec son époque. Le document montre très bien la manière dont il a été déphasé à partir des années 1970, pris de court par l’apparition d’une nouvelle génération de cinéastes et d’acteurs biberonnées à l’Actors Studio.
Le système des studios amorçant son déclin, Wilder entame à son tour un chant du cygne qu’on aurait tort de ne pas trouver passionnant : il a thématisé cet âge d’or perdu dans de somptueuses méditations morbides et mélancoliques telles que Fedora ou Avanti !. Dans une belle archive, on peut l’entendre dire : “Imaginez que je sois un très bon compositeur de polka qui voit débarquer le rock’n’roll. Je ne peux pas faire ça, je n’ai plus qu’à espérer composer de si belles polkas qu’elles donneront encore envie de danser.” Sa clairvoyance n’épargnait personne, surtout pas lui.
Billy Wilder ou le très grand art de distraire d’André Schäfer et Jascha Hannover (All., 2016, 1h30), Arte, le 24 mai
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