Survol du Tokyo underground accroché à l’âme flottante d’un mort. Un coup de force mi-potache, mi-expérimental parfois virtuose.
Gaspar Noé, que l’on sait facétieux, n’a probablement pas intitulé son dernier film Enter the Void sans en avoir au préalable mesuré la portée comique.
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L’an dernier à Cannes, où le film était projeté dans une torpeur typique de fin de festival, les esprits acerbes n’avaient ainsi pas manqué de souligner sa profonde vacuité philosophique et sa nullité dramaturgique.A première vue, on ne saurait leur donner tort – à la seconde non plus, tout bien évalué.
Dans ce film-trip en trois parties séparées par des panneaux clignotants dont les épileptiques raffoleront, on est invité à suivre les péripéties tokyoïtes d’un frère dealer et de sa sœur prostituée, qui se sont juré de n’être jamais séparés ; pas même par la mort qui frappe le frangin au bout d’une demi-heure, après un deal foireux.
Dès lors se déploie une avalanche de visions psychédéliques où, accroché à l’âme errante et omnisciente du défunt, le spectateur se verra projeté de corps en corps, de souvenirs (clicheteux) en visions oniriques, de pissotière en lavabo, d’incinérateur en gazinière.
Et tout ça pour quoi ? Tout ça pour recevoir une giclée de sperme (numérique, soyez rassurés) lors d’un coït d’anthologie filmé depuis l’intérieur d’un vagin. Et se voir naître une seconde fois : la boucle est bouclée, fin de l’histoire.
Car c’est bien là, tapi dans cet arche-utérus, que gît le fond de la pensée Noé. Dans un monde vachement hostile, où d’éternels adolescents se dopent et se prostituent pour conjurer leurs traumatismes d’enfance, rien ne vaut le sein chaleureux de maman – l’idée est d’ailleurs, à un moment, formulée telle quelle par le personnage principal.
Si cette philosophie régressive et simpliste a de quoi agacer, c’est paradoxalement sur son contour que se déploient les principaux facteurs de séduction du film. Dans cette littéralité absolue (tout ce qui se dit est fait, tout ce qui est fait se dit), dans cette absence de mystère, dans cette frontalité désarmante des affects, Gaspar Noé trouve enfin la mesure de son cinéma primitif qui achoppait jusque-là sur les provocations puériles et les slogans roulement de tambour (“Le temps détruit tout” en exergue d’Irréversible). Rien de tout cela ici.
S’en tenant strictement à son concept de mise en scène endoscopique – une caméra virtuose qui alterne visions subjectives et plongées à 90 degrés, sauts dans le vide (un certain goût pour les trous) et tournoiement sans entrave au-dessus de rues éclairées aux néons ou d’appartements aux murs phosphorescents –, Noé réussit des plans inédits, auxquels on est invités, mais jamais contraints, à s’abandonner.
Personne n’a oublié le crapoteux plan-séquence d’Irréversible où Monica Bellucci se faisait violer, et le spectateur emprisonner ; cette fois, si l’horizon paraît toujours aussi nuageux (incestes, accidents, chair triste, gynécologie…), Gaspar Noé nous propose de l’arpenter tranquillement, sans se presser, l’œil torve et le cerbère tenu en laisse.
A titre d’exemple, la vision d’un fœtus avorté produit ici infiniment moins d’effroi que dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours…
Film aux beautés paradoxales, Enter the Void se présente ainsi comme le plus probant manifeste d’un cinéaste qui a trouvé dans la petite enfance les ressources pour, à sa façon, devenir adulte.
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