Deux ans après la tribune de Vincent Maraval, qui avait fait trembler le cinéma français en dénonçant le salaire des acteurs privilégiés, le CNC dégaine sa réponse : une réforme de ses statuts qui encadrera désormais les rémunérations des stars. Une révolution pour certains. Un coup de com’ pour d’autres.
On se frotte les mains en cette fin de semaine dans les couloirs du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), à Paris. Depuis quelques jours, les médias relayent en boucle les résultats de son dernier conseil d’administration: une série de réformes visant à modifier le mode de financement du cinéma français a été votée. Parmi ces nouvelles mesures, une en particulier a retenu l’attention: un encadrement des cachets des acteurs, et l’instauration d’un salaire maximum, au-delà duquel aucun film ne pourra bénéficier des subventions de l’organisme public. Toujours pas confirmée officiellement, cette réforme, qualifiée de « révolution » par le journal Les Échos, a été accueillie avec bienveillance dans la presse et a mis entre parenthèses une vielle polémique sur le salaire indécent des stars du cinéma français. « Nous n’avons même pas eu besoin de communiquer, tant les médias se sont vite emparés de l’affaire » ironise-t-on du côté du CNC, peu habitué à un tel consensus médiatique.
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De longs débats en coulisse
Révélée à la surprise générale, cette réforme est pourtant la conclusion d’un long processus, amorcé depuis décembre 2012, date de la publication dans Le Monde d’une tribune au vitriol du distributeur Vincent Maraval, dans laquelle il affirmait que « les acteurs sont riches de l’argent public » et pointait les excès d’une niche de privilégiés, Dany Boon en tête. Face à la controverse suscitée par le texte, la ministre de la Culture de l’époque, Aurélie Filippetti, avait alors organisé des Assises du cinéma et commandité un rapport au producteur René Bonnell pour dresser un état des lieux du secteur. Remis début janvier 2014, ce rapport a été discuté par des représentants de la profession, qui se sont réunis pendant près d’un an chaque jeudi, avant d’aboutir aux réformes aujourd’hui révélées.
« Les membres de l’industrie ont fait preuve de responsabilité. Des problèmes avaient été mis à jour, et nous avons longuement débattu pour chercher des solutions », se félicite le producteur Marc Missonnier (Sous les jupes des filles, L’homme qu’on aimait trop), qui a participé à ces réunions, « il fallait prouver que l’on pouvait s’autoréguler, et mettre un frein aux excès de certains qui avaient fini par gripper le secteur…«
À l’issue de ces échanges, les syndicats ont donc entériné plusieurs modifications de la politique de soutien du CNC, parmi lesquelles le fameux encadrement du salaire des stars. La réforme repose sur un principe simple: si la rémunération proposée à un acteur dépasse un certain pourcentage du budget du film, le producteur ne touchera pas d’aides de l’organisme public. Dans le détail, quatre paliers de salaires ont été fixés par le CNC : le cachet des stars ne devra pas dépasser 15% du budget pour un film inférieur à 4 millions d’euros ; 8% pour un film entre 4 et 7 millions ; 5 % entre 7 et 10 millions ; et un acteur ne pourra pas gagner plus de 990 000 euros pour un film supérieur à 10 millions d’euros, même dans le cas où il cumulerait les casquettes de producteur ou de scénariste.
« Nous avons été plusieurs à insister sur cette mesure« , explique le producteur Patrick Sobelman, membre actif du Club des 13*, « imposer des limites aux revenus des acteurs permettra peut-être de repenser le financement des films. Si vous dépensez moins d’argent pour une star, vous transférez ce budget là sur d’autres postes, et vous faites un film avec plus de moyens, qui sera peut-être meilleur, et fera donc plus d’entrées. C’est un cercle vertueux, une manière de contrarier cette idée selon laquelle avoir une star suffit à faire un film« .
Des agents peu convaincus
Lui aussi présent aux réunions qui ont abouti à cette réforme, Patrick Sobelman avoue néanmoins qu’il regrette une « politique de compromis« : « Nous avions proposé des limitations de salaires encore plus strictes, mais il a fallu faire avec quelques réticences« , glisse-t-il. Parmi les voix les moins convaincues par cet encadrement des cachets des stars, il y avait des producteurs mais surtout des membres de la corporation des agents, dont l’activité dépend justement du salaire de leur client.
Représentante pour la société Artmedia d’Isabelle Adjani, Sophie Marceau ou Patrick Bruel, l’agent Elizabeth Tanner juge légitime que l’on s’interroge sur le revenu des acteurs mais doute de la méthode :
« C’est une réflexion qui n’est fondée que sur des cas minoritaires, stigmatisés par la tribune de Vincent Maraval. Le cinéma français a connu une période d’euphorie au début des années 2010, pendant laquelle certains talents étaient très demandés, et en profitaient à raison. Mais cette période est terminée, et la réforme survient au pire moment, où l’on a des difficultés à monter les films ».
« Le plus choquant, c’est que les limitations de salaire s’appliquent aussi aux acteurs qui ont les casquettes de producteur ou scénariste sur leur film« , ajoute l’agent Marie Laure Munich, à la tête de la société Marche à suivre, « il y a là un amalgame un peu dangereux, qui consiste à dire que l’on peut faire trois métiers pour le prix d’un. Danny Boon mérite autant son salaire de scénariste que d’acteur dans ses films. Ce ne sont pas des emplois fictifs ! ».
Pour pallier à la perte de revenu de leurs clients acteurs, les agents devront donc chercher de nouvelles solutions de financement. « Les stars qui réclament des salaires très élevés pourront continuer à le faire, mais cet argent devra venir du privé ou d’un intéressement plus important aux revenus du film« , explique Marc Missonnier, « le CNC affirme surtout par ce geste que les salaires élevés ne seront plus assurés par de l’argent public, qu’il n’y aura plus de doute quant à l’origine du revenu des stars. C’est une manière d’assainir le système ».
De là à voir dans cette réforme un simple geste de communication, il n’y a qu’un pas que l’agent Elisabeth Tanner n’hésite pas à franchir:
« On sent bien la stratégie politique derrière tout ça, l’idée de reprendre la main après la polémique Maraval« , nous dit-elle, « il fallait un geste symbolique. Mais, franchement, est-ce que ça va changer la face du monde ?« .
Un bref coup d’œil à la liste des acteurs les mieux payés en France en 2013 suffit pourtant à imaginer les premiers effets de la réforme : sur le podium des privilégiés, tous ont fait leur fortune dans des films à plus de 10 millions d’euros de budget, et seront donc concernés par les nouveaux plafonds de salaires établis par le CNC. C’est le cas de Danny Boon, qui toucha 3 millions d’euros pour sa participation au film Le Plan Parfait (17 millions de budget), ou encore de Gérard Depardieu, qui a perçu 2 millions d’euros pour son rôle dans Astérix et Obélix : au service de Sa Majesté (60 millions de budget).
« Bien sûr, la réforme du CNC ne va pas mettre un terme à toutes les dérives, et on ne peut pas nier qu’elle soit en partie un geste de communication, mais elle était nécessaire« , estime Patrick Sobelman, « il fallait envoyer un signal fort, à la fois aux gens du métier et au grand public, pour lutter contre cette idée d’un cinéma français qui se gave avec l’argent des contribuables et reste aveugle aux échecs« .
En attendant de voir les premiers résultats de cette réforme et des autres votées par le CNC (dont un nouvel effort de transparence sur la remontée des recettes, que les professionnels jugent décisif), cet encadrement des salaires aura au moins le mérite d’apaiser les débats autour du cinéma français et de laisser ses membres travailler aux futurs chantiers du secteur, dont un grand débat sur l’exploitation des films en salles. Ils auront à faire.
* Le Club des 13 est un rassemblement de personnalités du cinéma français engagées depuis 2008 dans la défense des films dits du milieu, c’est-à-dire dont le budget est compris entre 4 et 7 millions d’euros.
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