Trois courts récits pour sonder l’Algérie contemporaine, urbaine et rurale, bourgeoise et populaire. Un premier film très accompli.
Auteur de courts métrages remarqués dans divers festivals (Locarno, Clermont-Ferrand, Angers…), Karim Moussaoui démontre avec ce premier long un talent ferme de cinéaste et de conteur. En attendant les hirondelles (formule équivalente du “quand les poules auront des dents” mais un peu plus ouverte au possible), ce sont trois histoires successives, aux liens scénaristiques minimaux mais reliées par une vision d’ensemble commune de l’état des lieux en Algérie, un peu à la façon d’une charade.
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Dans mon premier, un intellectuel bourgeois se querelle avec son épouse avant d’aller voir sa maîtresse française qui n’attend que son divorce pour devenir enfin la seconde épouse. Mon second est un médecin installé rattrapé par son passé, à savoir un enfant naturel qu’il a eu avec une ancienne amante et qu’il n’a pas élevé. Mon troisième est une jeune femme amoureuse mais qui doit épouser dans la tradition patriarcale l’homme que ses parents ont choisi pour elle.
A partir de ces trois segments, il n’est pas trop ardu de deviner que mon tout est un coup de sonde dans l’Algérie contemporaine qui traverse toutes les classes sociales et tous les environnements, du centre-ville d’Alger à un bled reculé dans le désert en passant par les banlieues ouvrières.
Le talent de Moussaoui est de ne pas rester collé à ce pitch en le nourrissant de chair, de temps, de subtilité et d’attention. Par son écriture et sa direction d’acteur, il donne une réelle épaisseur à chaque protagoniste, ne les réduit jamais à un typage sociologique ou à un caractère univoque. Surtout, la mise en scène ne les enferme pas dans un déroulé prévisible mais prend toujours le temps de respirer, de ménager des plages sans dialogues et de leur faire prendre des virages imprévus qui nous amènent à les regarder d’une autre façon.
Ainsi, dans la première histoire, croit-on assister au quotidien d’un couple éduqué et aisé, assez semblable à la bourgeoisie parisienne éclairée (d’autant qu’il s’exprime autant en français qu’en arabe) ; puis le mari prend sa voiture pour un long trajet vers la banlieue, tombe en panne, zone dans la nuit déserte des faubourgs, avant de rejoindre son amante ; embarqué d’abord dans une scène de théâtre social bourgeois, le spectateur est ensuite entraîné dans une errance citadine assortie d’un documentaire sur l’urbanisation algéroise aléatoire.
Tout le film fonctionne ainsi, selon une alternance de figures imposées et de figures libres, de situations familières et d’échappées belles (un intermède de comédie musicale tsigane vient ainsi trouer le tissu de la troisième histoire), comme en une valse-hésitation féconde entre, disons, Sautet et Rivette, portée par des protagonistes qui ne sont ni bons ni mauvais mais comme nous tous, empêtrés dans leurs contradictions, écartelés dans la tension entre leurs aspirations individuelles et la pression sociale.
Les comédiens servent parfaitement le regard minutieusement humaniste et pessimiste (ou simplement lucide) de Moussaoui, de Nadia Kaci à Mohamed Djouhri sans oublier la magnifique Hania Amar. Leurs personnages attendent les hirondelles comme un lever de printemps sociétal durable, une promesse de liberté et d’émancipation, le bout d’un tunnel qui semble avoir figé la société algérienne depuis la fin de la sanglante guerre civile. Ce sera peut-être encore long, mais sûrement moins que l’apparition de dents dans le bec des poules. En attendant un tel avènement, le film ne se referme pas, prêt à enchaîner sur une possible quatrième histoire, comme s’il épousait l’incomplétude existentielle de ses protagonistes.
En attendant les hirondelles de Karim Moussaoui, avec Mohamed Djouhri, Sonia Mekkiou (Fr., 2017, 1 h 53)
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