Sensuelle incarnation d’une femme fantôme dans Histoire de Marie et Julien de Jacques Rivette, Emmanuelle Béart fait art de toute sa force. Une force qui la pousse à l’engagement et la propulse auprès des plus exigeants réalisateurs. Beau trajet d’une actrice qui affirme « Le cinéma ne fait pas partie de ma vie. »
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier de comédienne ?
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Emmanuelle Béart J’ai commencé par hasard, j’ai continué par amour. J’avais passé mon bac, je n’avais pas envie de faire des études, je voulais gagner de l’argent, être autonome. A 16 ans, j’avais rencontré le directeur du Vogue américain, qui m’a fait faire une série de photos. Plus tard, dans une boîte de nuit à Montréal, j’avais rencontré l’assistant de Robert Altman, j’ai fait un casting et j’ai été engagée pour un film qui ne s’est jamais fait. Petite, j’avais aussi tourné dans un film par hasard… Mais tout ça n’a rien déclenché de décisif. Par ailleurs, je n’avais aucune vocation spéciale, je n’étais pas du tout cinéphile. Je n’avais pas la télé à la maison, je ne connaissais pas les acteurs. J’ai découvert tout ça à 15 ans, à Montréal. Le premier film que j’ai vu était Spartacus, avec Kirk Douglas, et le deuxième Les Uns et les Autres de Lelouch. Et je ne suis toujours pas cinéphile, et j’ai toujours honte quand on me pose des questions sur les grands films qui ont marqué l’histoire du cinéma. Mais je vis entourée de gens qui sont, eux, de vrais cinéphiles. Quand on parle de Rivette, de Téchiné, d’Assayas, de temps en temps j’ai envie de me mettre sous la table.
Faire ce métier n’a pas déclenché, chez vous, l’envie de découvrir les grands films ?
Non. Je vais très peu au cinéma. Je n’en ressens pas la nécessité. J’ai besoin de lire, j’ai besoin d’écouter de la musique, j’ai besoin de m’ennuyer, j’ai besoin d’être seule, j’ai besoin d’élever mes enfants, j’ai besoin d’aimer… Le cinéma ne fait pas partie de ma vie. Je ne suis pas spécialement fière de le dire comme ça, mais c’est ainsi. Le cinéma, c’est mon métier, mais c’est tout. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai même du mal à aller au cinéma. Ça ne m’est pas naturel, je n’en éprouve pas le besoin.
Il y a bien quelques films qui vous ont marquée, bouleversée ?
Oui, mais si je vous disais lesquels, vous tomberiez du canapé. L’un des premiers qui m’a marquée, c’est L’Incompris de Luigi Comencini. Les premières personnes que j’ai aimées dans la chanson, c’était Claude François, puis Dave… J’habitais dans le Midi, j’ai écouté RMC toute mon enfance, j’avais une passion pour la chanson française de cet ordre-là.
Jacques Rivette explique qu’il trouvait intéressant et émouvant de tourner à nouveau avec la même actrice après quelques années d’intervalle (dix ans ont passé depuis La Belle Noiseuse). Est-ce que ce fut aussi le cas pour vous ?
J’avais perdu Jacques de vue, mais je continuais à aller voir ses films. On n’a jamais cessé de s’envoyer des signes, des lettres, des messages par l’intermédiaire d’amis communs. C’est un lien qui ne s’est jamais brisé entre nous. Il est revenu une première fois avec un rôle, il y a quelques années, pour Va savoir. Mais j’étais intimement convaincue qu’on ne devait pas se retrouver sur ce rôle. Donc je l’ai trahi, je suis partie ailleurs. Ensuite, il est revenu avec le personnage de Marie d‘Histoire de Marie et Julien. Oui, c’était émouvant, mais en même temps je n’aime pas beaucoup ce terme. J’ai plutôt l’impression de ne jamais avoir vraiment quitté cet homme-là. En plus, Jacques a une particularité : il ne change pas. J’ai l’impression d’avoir retrouvé la même silhouette frêle, la même façon de parler des choses. Il a débarqué, il s’est assis sur mon canapé et j’ai eu l’impression qu’il n’était jamais sorti de ma vie, de mon désir, de l’envie de ce métier.
Quand vous dites que vous l’avez trahi, c’est une façon de parler ?
C’est comme ça qu’il l’a formulé et c’est comme ça que je l’ai ressenti. J’ai senti une forme de culpabilité, même si je savais instinctivement que ce personnage n’était pas pour moi. Tandis que Marie, je suis sûre que personne d’autre que moi, de ma génération, à ce moment-là, n’aurait pu la jouer. Quand Rivette me parlait d’elle, j’avais la sensation qu’il savait quelque chose de moi qu’il avait envie de filmer. C’était troublant, et ça l’est toujours, parce que je n’ai pas eu la sensation une seule fois sur ce film d’avoir joué. Et si vous me demandiez comment j’ai travaillé le rôle, je vous répondrais : je n’ai pas travaillé. En même temps, je pense qu’un comédien travaille jour et nuit, même sans s’en rendre compte. Mais c’est la première fois que je travaille aussi peu. Je n’ai pu le faire que parce que le cadre était extrêmement rigoureux, construit. Parce qu’il y a Rivette, Pascal Bonitzer et Christine Laurent (les scénaristes ndlr) derrière moi, parce que j’ai un partenaire, Jerzy Radziwilowicz, qui est un comédien qui construit énormément ses personnages, qui intellectualise les choses. Moi, j’ai un personnage qui est en état de déséquilibre, qui n’a pas les codes et les clés de ses attitudes, qui est en état de dissonance permanent.
Un rôle se construit-il beaucoup avec de l’inconscient ?
Je vais vous donner un exemple. Je vais commencer un autre film (avec Marion Vernoux ndlr). Il se trouve que ce personnage est tout le temps habillé en beige. Et je déteste le beige. J’avais rendez-vous avec la costumière. Quand j’arrive, elle me dit : « Mais tu es habillée tout en beige ! » Je me regarde, et effectivement… Ça veut seulement dire que, dans ma garde-robe, les vêtements que je choisis sont de la couleur du personnage. Je l’ai fait sans y penser. Pour Un c’ur en hiver, Claude Sautet m’avait seulement dit : « Apprends à jouer du violon, écoute de la musique et tu seras le personnage. Ne pense pas à l’aspect psychologique. » Il avait raison.
Est-ce que Rivette a procédé comme sur la plupart de ses films : avec un scénario qui s’écrit au jour le jour ?
…et qu’on reçoit tard le soir ou tôt le matin, oui. Pour La Belle Noiseuse, Rivette était venu me voir, et il m’avait demandé de lire la nouvelle de Balzac qui a inspiré le film, Le Chef-d’ uvre inconnu, en me disant qu’il comprendrait très bien que je refuse le rôle… Alors que je n’avais pas eu le temps de lui dire quoi que ce soit ! Il a terminé la conversation en me précisant qu’il avait quelqu’un d’autre en tête, il est parti et il a dû m’appeler d’une cabine téléphonique pour me dire que, quand même, il aimerait que ce soit moi. Il y a tellement de pudeur et de timidité chez lui. En même temps, il a un culot incroyable. Et beaucoup d’humour, ce qui rend les choses plus légères. Pour moi, c’est un homme libre. Il ne fait aucun compromis. Il lui arrive d’être dur (pas avec les acteurs), d’avoir comme des changements de température soudains. Avec lui, sur un tournage, j’ai toujours l’impression que tout pourrait s’arrêter tout d’un coup, et que ce ne serait pas grave. Sur La Belle Noiseuse, il était sorti de l’atelier, tout d’un coup, et il était parti. Je ne savais pas qu’un metteur en scène pouvait quitter un plateau, comme ça, sans violence, doucement. Ce qui est paradoxal, c’est qu’en même temps c’est quelqu’un sur qui on peut vraiment compter.
Ce qui frappe, dans Histoire de Marie et Julien, ce sont les scènes d’amour physique, une première dans le cinéma de Rivette. Etaient-elles difficiles à tourner, pour vous et pour lui ?
Jacques nous avait dit depuis longtemps la nécessité de ces scènes. Pour lui, c’était très important, et en même temps insoutenable de nous le demander. Trois jours avant, il n’était pas bien. Je suis allée le voir et j’ai réalisé que c’était ces scènes-là qui le rendaient malade. Il fallait qu’on le soulage, qu’on lui dise que, oui, c’était important et que ce n’était pas grave. C’est comme si on avait pris la responsabilité, Jerzy et moi, de tourner ces scènes-là. Avec Jerzy, on s’est vraiment mis nus et au travail. On les a tournées tard, en fin de journée, il faisait sombre, et je me souviens simplement qu’il fallait absolument montrer qu’elles étaient importantes. Elles restaient dures à jouer, mais on avait dépassé le stade de la pudeur. On était tellement embarqués dans cette histoire qu’on en ressentait nous-mêmes l’importance, jusqu’à dire qu’on les désirait tout autant que lui. Et ça a été un moment très fort. Jacques s’est d’abord mis deux pièces plus loin, puis il a mis sa chaise au fond de la pièce, et puis il s’est approché jusqu’à être extrêmement proche de nous, ce dont nous avions besoin. On a fini dans un cadre d’intimité très fort. Jacques est tellement le contraire d’un voyeur que mon courage de les faire est venu de là. Comme si, tout d’un coup, on disait : « D’accord, je te donne mon corps, mon âme, vas-y, c’est à toi. »
Quand on vous voit dans un film de Téchiné ou de Sautet, on a l’impression d’être dans un registre plus « classique » que chez Rivette. Est-ce que c’est quelque chose que vous retrouvez dans leur méthode de travail ?
Téchiné, non ! Claude, peut-être. C’était drôle, parce que, si je ratais un mot ou une virgule, Sautet arrêtait tout et me disait : « Mais il n’y a pas une virgule, là ? » C’était un musicien, son scénario était une partition et, si vous ratiez une note, c’était une catastrophe. J’ai cru que cet homme me privait de liberté… J’étais très jeune… Et c’était faux, parce que dans ce cadre extrêmement rigoureux, il y a toujours la vie. Alors oui, on va dire « classique », mais pour moi ça sonne péjoratif. En tout cas, lui, il n’était pas classique, je peux vous le dire ! C’était quelqu’un de complètement fou au sens noble, délirant. Daniel Auteuil disait toujours : « Il y a avant Sautet et il y a après. » Quand on a joué dans un film de Sautet, après il y a une forme de liberté absolue, on peut presque tout faire. C’est comme lorsqu’on a fait de la danse classique et qu’on a fait de la barre tous les jours, après on peut faire toutes les autres danses. Je n’ai pas eu le temps de dire à Claude à quel point il avait été important pour moi, pour le reste, pour les autres…
C’est peut-être grâce à lui que vous avez l’impression de moins travailler aujourd’hui ?
Peut-être. Sur mon chemin, il y a eu des réalisateurs, des tuteurs, qui m’ont laissé une empreinte. Et puis il y a des cinéastes avec lesquels j’ai eu un plaisir fou à travailler, avec qui j’ai découvert des choses, je pense notamment à Olivier Assayas, mais dont je ne parlerais pas de la même façon, même si Les Destinées sentimentales a été un déclencheur. Mes tuteurs majeurs ont été Rivette, Téchiné et Sautet. Pour revenir à votre question, Téchiné, c’est tout sauf classique, comme façon de travailler ! Ce qu’il y a déjà de particulier, ce sont ses plans-séquences. Dans Les Egarés, il y en a un de huit minutes ! Ça veut dire répéter une scène cinquante fois, toute la journée, jusqu’à être épuisé. Téchiné a besoin de fatiguer les acteurs, comme on fatigue des chevaux, pour obtenir ce qui lui paraît être l’essentiel. C’est quelqu’un qui se renouvelle dans la forme, qui est dans le déséquilibre. Je connais des jeunes metteurs en scène beaucoup plus classiques que lui…
Comment s’est passée votre collaboration avec des gens comme Chabrol et Ruiz, cinéastes pleins d’humour ?
J’ai beaucoup aimé Chabrol, mais je ne riais pas beaucoup. Les affinités ne sont peut-être pas les mêmes. Et puis le tournage de L’Enfer était assez dur. C’est moi qui ne devais pas être en état. Je pense que j’ai raté Chabrol. Ruiz, je ne l’ai pas raté. Je lui ai même proposé de signer un contrat à vie ! J’ai une passion pour cet homme. C’est un conteur merveilleux. Il était venu pour me parler de Proust, et on avait parlé des Indiens (rires)…
Vous avez tourné avec beaucoup de cinéastes femmes (Yannick Bellon, Catherine Corsini, Danièle Thompson). Est-ce que vous faites une différence entre le regard des réalisateurs et celui des réalisatrices ?
Le cinéma reste un métier d’homme. Mais je dirais que les réalisatrices ont sans doute développé quelque chose de plus masculin, et les hommes quelque chose de plus féminin. Et cette part de féminité chez les réalisateurs crée une intimité très forte entre eux et moi. Chez les femmes, les rapports sont souvent plus durs je ne dis pas difficiles. Mais sans Yannick Bellon, par exemple, je ne serais pas là.
Pourquoi ?
Il y a eu toute une période où je sentais une sorte de décalage absolu entre ce que je ressentais et ce que racontaient mon visage et mon corps. Ainsi, j’avais l’impression qu’il n’y aurait pas d’accès possible aux rôles dont j’avais envie. Il y avait quelque chose de lisse dans mon image. Je ne sais pas pourquoi Yannick Bellon a pu me choisir pour jouer le rôle principal des Enfants du désordre. Elle m’avait d’ailleurs raconté que c’était le parcours du combattant pour m’imposer, mais elle avait une sorte d’intime conviction. Et ça a tout changé pour moi. C’est grâce aux Enfants du désordre que Téchiné est arrivé, qu’ils sont tous arrivés. Parce que commencer avec Manon (de Manon des Sources, le film de Claude Berri ndlr), c’était une sorte de cadeau empoisonné. C’était une vraie chance et quelque chose de difficile à gérer après.
Il y a aussi les chefs-opérateurs, en particulier deux qui ont beaucoup compté pour moi : Agnès Godard et Eric Gautier. Ils m’ont apporté autant que les metteurs en scène. Jusqu’à Eric Gautier sur Les Destinées sentimentales, je faisais une chose tout à fait inconsciemment : je glissais progressivement jusqu’à me retrouver de profil, puis ensuite de dos par rapport à la caméra. Sauf que Gautier est toujours en mouvement. Il a un œil dans la caméra et l’autre ouvert. Quand un acteur fait ce que je faisais, il glisse sa caméra et tourne autour jusqu’à ce qu’il puisse capter. Tout d’un coup, son regard, sa façon de me parler m’ont amené à ne plus avoir peur, à prendre la caméra comme un allié, et non pas comme ça a été le cas pendant des années comme un étranger, une intrusion.
Votre image est souvent attachée à des rôles graves, voire tragiques. Est-ce que parfois vous n’avez pas envie de vous tourner vers la comédie, la légèreté ?
Si, mais je l’ai fait. Quand je tourne dans La Bûche de Danièle Thompson ou 8 femmes de François Ozon, ce ne sont pas des rôles dramatiques. Et puis j’ai commencé dans une comédie, A gauche en sortant de l’ascenseur d’Edouard Molinaro, où je me sentais très bien. Mais je n’ai pas envie de forcer les choses. Une comédie, j’en fais une, là, en ce moment (de Marion Vernoux, avec Edouard Baer, Atmen Kelif ndlr) !
On se souvient du film Contre l’oubli, de l’épisode de l’église Saint-Bernard, on connaît votre engagement pour l’Unicef… D’où vous vient cette fibre engagée ?
Je l’ai depuis toujours, puisque ma mère était communiste et qu’on était confrontés très jeunes à des discussions politiques. Certaines réunions de cellule se passaient à la maison… J’adore ce titre de film, Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, parce que c’est vrai que c’est une chance. Alors évidemment, plus tard, tout ça s’est écroulé, et c’était très perturbant au moment de l’adolescence. J’avais une conscience, conscience en même temps d’un engagement qui n’était pas le mien, mais celui de ma mère et de mon beau-père. Plus tard, j’ai pris mes distances, j’ai grandi, j’ai mûri vers quelque chose qui est devenu mon engagement à moi. On explique aux mômes que l’école est faite pour former de bons citoyens républicains ; moi, j’ai eu la chance d’avoir une mère qui nous a donné ce sens de la citoyenneté. On est cinq enfants et on est tous engagés à notre façon.
Comment êtes-vous passée de l’engagement politique de votre mère à votre engagement, qui est plus humanitaire ?
Quand l’adolescence est arrivée, le premier réflexe a été le détachement de ma mère, acquérir ma propre identité. Je me disais : « Je ne serai jamais comme ma mère, je gagnerai de l’argent, je ferai quelque chose à moi, pour moi. » Puis, très vite, c’est reparti dans l’autre sens, parce que c’était quand même l’histoire de toute mon enfance. Je m’étais révoltée contre son engagement parce que je trouvais qu’elle y avait consacré beaucoup trop de temps mais, après cette révolte légitime, j’ai fait la même chose. Je m’engage parce que c’est la moindre des choses, parce que je ne sais pas faire autrement, parce que j’élève déjà mes enfants dans cet esprit… C’est passé par beaucoup d’actions ponctuelles, comme Saint-Bernard, mais j’avais besoin de quelque chose sur le long terme. J’ai trouvé ma place à l’Unicef, peut-être parce que les femmes et les enfants, c’est plus évident pour moi, mais surtout parce que ça représentait un travail régulier à long terme. L’évolution de mon engagement, c’est que, petit à petit, je me suis considérée comme un témoin. Mais témoigner, c’est une responsabilité extrêmement forte, et la question, c’est : de quelle façon le faire ? Je pense que je ne pouvais obtenir des réponses à cette question qu’en restant au même endroit pendant longtemps, et en essayant de rattraper tout le retard possible. A partir de là, je me suis mis à m’investir de plus en plus, à dévorer des bouquins de macro-économie… Ça a pris une vraie envergure, sauf qu’il faut que j’arrive à gérer en même temps mon travail d’actrice, les films, les promotions, ma vie de femme, ma vie de maman… C’est beaucoup, mais en même temps je suis assez contente. Le dernier reportage qu’on ait fait, Paroles d’enfants, c’est la prostitution en Thaïlande.
Vous sortez un livre sur ces missions chez Gallimard.
La source de ce bouquin, c’est que je me suis rendu compte que les médias n’exploitaient que le côté dramatique de ces missions, et qu’en plus il fallait que je sois sur toutes les photos. Les résultats ne reflétaient jamais ce que je vivais sur le terrain : dans la douleur, il y a aussi cette notion de force de vie, de capacité à rire des choses les plus tragiques. Il y a bien sûr les gosses qui ne bougent plus, les mères qui s’effondrent, mais aussi tous ces visages illuminés de cette envie féroce de dire « Moi, j’aime la vie, je veux vivre ». Et tous ces visages disparaissaient dans une sorte de drame qui était dû à la nécessité pour les supports médiatiques de passer des photos douloureuses pour provoquer une prise de conscience. Au fur et à mesure, j’ai compris que le plus important n’était pas de témoigner, mais la façon dont on témoigne.
Vous faites beaucoup de choses liées à votre renommée. Votre célébrité est-elle un bonheur ou un fardeau ?
Si j’étais pas célèbre, tout ça ne servirait à rien. Si je n’étais pas connue, je ne serais pas le fil conducteur vers les médias. Mais je serais sans doute allée dormir à Saint-Bernard, même non célèbre.
L’épisode Saint-Bernard vous a valu une menace de la maison Dior, que vous représentiez.
Dans mon esprit, le contrat avec Dior était un jeu. La publicité, c’est avant tout de l’argent, pas autre chose, et je vous avoue qu’en allant à Saint-Bernard je n’y ai pas du tout pensé. Car, de l’autre côté de la balance, il y avait un état d’urgence, une intime conviction. Il n’y avait pas à hésiter. En effet, il y a eu une réaction violente de Dior, mais qui a été étrangement rétablie par le courrier qu’ils ont reçu. Je me souviens avoir été convoquée chez Dior, devant une pile de lettres. Ils disaient en gros : « Oui, nous avons été perturbés, choqués, mais voilà un ensemble de témoignages qui disent « Laissez-la faire, laissez-la vivre, ce n’est pas un mannequin, c’est une femme, elle est engagée, c’est sa conviction, etc. ». D’ailleurs, ils ne m’ont jamais virée, on a arrêté. Je n’ai jamais été une madame Dior, oui, leurs rouges à lèvres sont jolis, d’accord, mais je fais de la pub parce que c’est une rentrée d’argent qui me permet ensuite de faire des films de Rivette.
La couverture de Elle a aussi beaucoup fait parler de vous. Certains vous l’ont reproché, arguant que ça ne correspondait pas à votre image…
Déjà, il faudrait m’expliquer ce qu’est mon image. La notion d’image, elle est absurde pour une comédienne. Comment une comédienne peut-elle avancer si elle est liée à une certaine image ? L’idéal étant de redevenir anonyme… mais ça, pour moi, c’est fichu.
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