Révélée au public international dans « Julieta » de Pedro Almodovar, la star espagnole explose dans le nouveau film du cinéaste mexicain controversé Michel Franco, « Les Filles d’Avril ». Rencontre.
Emma Suárez est apparue sur nos écrans radar il y a un peu plus d’un an : dans Julieta de Pedro Almodovar, présenté en compétition officielle au festival de Cannes, où elle était formidable dans le rôle d’une mère qui part à la recherche de sa fille qu’elle a perdue sans trop savoir pourquoi ni comment.
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Mais Emma Suárez est loin d’être une inconnue pour le public espagnol. Elle a même commencé très jeune, adolescente, un peu par hasard, au début des années 80, quand son père, qui travaille dans la publicité, l’envoie participer à un casting, l’adaptation d’un roman autobiographique de Rosa Chacel, une écrivaine républicaine espagnole. Elle est choisie. Elle n’a jamais pris de cours de théâtre, ne s’y intéresse pas spécialement, c’est sur ce tournage que naît sa vocation. Depuis, nous explique-t-elle cet après-midi de juillet, elle n’a jamais cessé de travailler et pas vu le temps passer : théâtre, télévision, cinéma, elle a enchaîné les rôles sans discontinue.
Je lui demande si l’on peut dire qu’elle est connue dans son pays. Elle me répond en rougissant qu’elle pense que oui, que les gens connaissent en tout cas son visage, mais que depuis Julieta, oui, sa notoriété a grandi. Ce qu’elle apprécie surtout, c’est qu’elle a l’impression d’inspirer de la sympathie aux gens qu’elle croise.
« Je crois à la théorie des bons moments, dans une vie«
Timide, souriante, mais loquace, Emma Suarez enchaîne clope sur clope, même quand les premières gouttes de pluie commencent à tomber. Je lui propose dans le bar, mais elle préfère rester sous les frondaisons pour pouvoir continuer à fumer.
Chez Almodovar, dans le rôle de Julieta adulte, elle est si parfaite qu’on se demande presque pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour que le grand cinéaste espagnol jette son dévolu sur elle. Emma Suárez rit, et de jolies rides apparaissent de chaque côté de ses yeux : « On me le demande souvent. Mais je crois que c’état le bon moment. Je crois à la théorie des bons moments, dans une vie« .
Au début des années 90, Emma Suárez avait aussi joué dans trois des premiers films d’un cinéaste qui, quant à lui, a un peu disparu de la circulation mais qui avait connu un certain succès, surtout avec Lucia e y sexo (dans lequel ne jouait pas Emma). Un cinéma très sensuel et érotique, poétique également. Emma en garde un bon souvenir.
Un personnage border-line
C’est le moment que je choisis pour lui poser une question délicate : « Peut-on dire que vous avez été un symbole sexuel en Espagne ? ». Elle rit encore : « Oh, non. C’est une invention de journalistes, ça ». Il est vrai que lorsqu’on se penche sur les acteurs espagnols célèbres, hommes comme femmes, il semble impossible qu’ils échappent au cliché de la « bombe latine » : Penelope Cruz, Javier Bardem, Antonio Banderas, Victoria Abril… Aucun n’y a échappé. Etrange tradition marketing. Il est vrai également que lorsqu’elle était, jeune, elle a souvent joué des rôles dénudés. Mais c’était si courant à l’époque, dans le sillage de la Movida et d’une libération des moeurs longtemps attendue en Espagne à cause de la dictature franquiste.
Nous en venons aux Filles d’Avril, le film du Mexicain Michel Franco sorti mercredi dernier. Depuis Despues de Lucia ou Chronic (avec Tim Roth), Michel Franco a acquis, tout du moins en France, une sale réputation de petit Haneke hyper sadique, voir « fasciste » selon certains. Parce qu’il décrit la violence de manière très abrupte et sans apparent jugement.
Emma Suarez n’avait jamais vu de film de Franco quand elle a reçu le scénario des Filles d’Avril. Elle l’a lu très rapidement et a décidé de refuser de le tourner, nous explique-t-elle en toute franchise. Elle avait peur de ce que le film pouvait donner. Elle a téléphoné à Michel Franco pour le lui expliquer : ils ont parlé pendant une heure, et à la fin de la conversation, elle acceptait le rôle. Franco n’avait rien lâché sur le scénario, mais ils s’étaient mis d’accord sur la manière de jouer le rôle de cette mère abusive qu’est Avril qui va prendre la place de sa fille.
A voir le film, on constate à quel point le film n’est supportable que grâce à l’interprétation d’Emma Suarez, qui ne cherche ni ne parvient à rendre sympathique Avril, mais lui donne une humanité qui trouble le spectateur, tiraillé entre empathie et révulsion pour un personnage border-line qui semble surtout péter complètement les plombs, dépasser en toute légalité juridique les limites moralement assignées à une mère.
Le film le plus mûr de Michel Franco
« Oui, Michel est un provocateur« , explique Emma, « Il aime et sait appuyer là où ça fait mal. Moi, je ne voulais pas que mon personnage soit un monstre. C’est là-dessus que nous nous sommes entendus, lui et moi« . Et c’est une réussite, un bel équilibre, que trouvent un cinéaste et son actrice dans Les filles d’Avril, le film le plus réussi, le plus lumineux, le plus mûr de Michel Franco à ce jour. Parce qu’on n’y sent pas ce cynisme éventuel, et sans doute non souhaité pr lui, qui pouvait peser sur ses premiers films.
Emma Suarez déborde de projets, mais elle préfère les taire. En ce moment, elle est invitée un peu partout en Europe, où les festivals lui rendent des hommages. Elle en profite. Elle rougit encore, comme si elle n’y croyait pas tout à fait. Et rallume une cigarette.
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