Où Jean-Luc Godard ressasse ses thèmes obsessifs des quinze dernières années : la guerre de 40 et la Résistance, l’art et le commerce, le cinéma et la mélancolie. Le point de vue de Claude Baignères, journaliste ciné au Figaro, qui joue dans le film du pape de la modernité cinématographique.
Vous avez plutôt la réputation de défendre un cinéma traditionnel, de ne pas être particulièrement godardien.
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Claude Baignères Mais pas du tout ! J’ai toujours défendu le cinéma d’avant-garde. Il ne faut pas s’arrêter au titre du Figaro. Quand je dirigeais la partie culturelle de ce journal, je me suis toujours arrangé pour qu’on n’ait pas l’air de vieux schnocks. J’ai soutenu Godard et je soutiens la modernité cinématographique quand ça veut dire quelque chose. Moi, je suis pour le bon cinéma, qu’il soit de tradition ou d’avant-garde. Le cinéma, c’est fait pour des gens qui vont se faire plaisir avec peu d’argent. Alors je préfère les détourner d’aller voir certains films un peu prétentiards, comme certains qui vont être présentés à Cannes.
Etes-vous aussi favorable à toute la dernière partie de l’ uvre de Godard ?
Mais à toute la première aussi ! Ça fait quarante ans qu’on se connaît, c’est d’ailleurs pour ça qu’il a pensé à moi. Chaque fois qu’il a fait un film, je l’ai interviewé, j’ai fait des conférences sur lui dans les universités américaines, j’ai fait des tas de trucs pour lui et ses films.
Les derniers Godard sont peu aimés ou compris par la critique ou le public traditionnels, qui trouvent ces films trop abscons, trop théoriques.
Je ne sais pas ce que veulent dire ces catégories ! Godard, à travers ses plans, je vois ce qu’il veut dire : des choses aussi simples et belles que le départ de l’avion sous la neige dans Je vous salue Marie, ou la transposition moderne de Prénom Carmen, ou encore le dernier plan de JLG/JLG, une vue du lac Léman avec un patchwork de couleurs hallucinant… Moi, j’aime tout ça. Pour ne rien vous cacher, je suis aussi un peu suisse, j’ai passé vingt ans de ma vie là-bas, j’adore son coin au bord du lac.
Etiez-vous surpris qu’il vous contacte pour Eloge de l’amour ?
Pas tant que ça, parce que c’est l’un de ses trucs. Avec lui, faut s’attendre à tout. On s’est toujours très bien entendus, sans avoir besoin de se dire « Je t’aime, moi non plus ». Forlani, qui est aussi un vieux copain, en a déjà fait deux ou trois avec lui. Je me suis dit « Bon, il est un peu fou, pourquoi pas ? »
Après, comment ça s’est passé ? Il vous a donné un script ?
Vous rigolez ?! Il m’a donné les dialogues, scène par scène. Il faut de la mémoire pour un dialogue, mais il faut dire que celui-là était foudroyant, alors c’était plus facile à retenir. Je fais un vieux Juif, marchand de tableaux, je dis des choses sur l’art, la peinture… Et puis il y a des choses qui me plaisaient bien, comme quand il engueule l’Etat français. L’Etat français me sort par les yeux, alors ça tombait bien.
Vous êtes très bien dans le film, vous faites vieil acteur américain buriné, avec beaucoup de présence.
Ah bon ?! Alors dites-vous que Godard est un monteur extraordinaire. Ça ne peut être que ça. Parce qu’acteur, c’est pas mon métier, j’ai jamais fait ça de ma vie. On répétait six ou sept fois avant de tourner et on faisait huit à dix prises. Avec ça, s’il a un bon pot de colle, il peut trouver les trucs qui lui plaisent. Il a toujours eu ce génie. Vous avez remarqué que j’ai un rôle bien plus important que Delon dans Nouvelle Vague (rires)…
Comment vous dirigeait-il ?
Il nous donnait un parcours à suivre. Vous avez vu le film, on bouge toujours. Sa caméra, elle, ne bouge pas ; ce sont les gens qui bougent à l’intérieur du champ. Ensuite, il nous disait ce qu’il fallait faire : « Là, tu prends un verre, là tu t’arrêtes et tu regardes un tableau », etc. Mais c’était tout, il nous donnait seulement les gestes et l’itinéraire.
En dehors de vos scènes, étiez-vous au courant du reste du film, de son sens global ?
Je sais à peu près ce qui se passe dans la partie noir et blanc. La partie couleur tournée en Bretagne, je n’ai jamais été dans le coup.
Tout de même, vu vos parcours respectifs, êtes-vous conscient que cette association entre vous et Godard est surprenante ?
Je crois que le politiquement correct, les tiroirs dans lesquels les Français ont l’habitude de classer les gens, c’est le mal français par définition. C’est une erreur considérable de penser comme ça, ou de croire que les gens pensent comme ça. Dans un journal comme Le Figaro, chacun fait exactement ce qu’il pense. Et puis il y a les relations humaines. J’ai eu deux grands copains dans ma vie, qui écrivaient à L’Humanité.
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