Brett Morgen signe un documentaire brillant sur l’anthropologue Jane Goodall, mondialement connue pour son étude des chimpanzés, commencée dans les années 1960. L’occasion de revenir sur une vie d’exception avec des images d’archives inédites.
Ici, des insectes tropicaux fourmillent sur des feuilles. Là, un oiseau coloré prend son envol. Soudain, une grande forme sombre apparaît. Un chimpanzé brun, velu, agile, escalade une branche avec grâce. Bienvenue dans la savane de Gombe, en Tanzanie, où l’anthropologue Jane Goodall, pionnière de l’observation des chimpanzés, a réalisé ses recherches. Le réalisateur Brett Morgen (auteur de Kurt Cobain, Montage of Heck) a décidé de consacrer un documentaire à Jane après avoir visionné près de 140 heures de séquences.
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Oubliés pendant cinquante ans dans les archives du National Geographic, ces rushes filmés par le baron Hugo van Lawick, documentariste célèbre et alors époux de Jane Goodall, ont resurgi il y a seulement cinq ans. Brett Morgen s’est chargé de les trier, de les monter puis d’interviewer Jane pour lui faire narrer sa propre histoire. Le documentaire, composé d’images d’archives et de commentaires de Jane, sur une musique signée Philip Glass, a été nominé aux BAFTA.
Sans formation ni diplôme scientifique
Jane, c’est le pendant féminin, civilisé, de Tarzan. Celle qui apprend à côtoyer la nature. Depuis l’enfance, Jane a de grandes ambitions. Elle le raconte ainsi : “Aller en Afrique, vivre avec les animaux, c’était mon rêve (…) Je voulais être comme le docteur Dolittle”, ce personnage de fiction capable de parler aux animaux. Elle devient secrétaire du primatologue et paléontologue Louis Leakey. En 1957, à la recherche d’un “esprit vierge de toute théorie scientifique” qui pourrait étudier les ressemblances entre homme et singe, le scientifique envoie Jane, 26 ans, sans formation ni diplôme scientifique, en Tanzanie pour observer les chimpanzés.
Un triple défi pour Jane : femme, non qualifiée, à une époque où les études de terrain sont rares. Face caméra, elle se souvient, amusée, de ses seuls prédécesseurs. Un chercheur qui vit à peine deux chimpanzés en trois mois de séjour, et un fou qui se badigeonnait de déjections de chimpanzés dans l’espoir de les attirer.
“Quel privilège d’être ainsi acceptée par un animal sauvage”
Accompagnée par sa mère, Jane s’installe à Gombe. Blonde, queue de cheval sage, elle arpente le paysage en short et polo kaki. Jumelles autour du cou, elle remplit des carnets entiers de croquis de chimpanzés et de plans de Gombe. Mais, les cinq premiers mois, les primates la fuient systématiquement. Elle s’obstine : “Je ne suis pas défaitiste, j’aurais perdu tout respect de moi-même si j’avais abandonné.”
C’est pourtant frustrant de traverser vallée vide après vallée vide, sans croiser de singe. Un jour, elle aperçoit un chimpanzé, reconnaissable aux poils blancs de sa barbe. Il ne fuit pas. Il fait comme s’il ne l’avait pas vue. C’est grâce à ce singe, baptisé David Greybeard, qu’elle va se rapprocher progressivement de toute la communauté. “Quel privilège d’être ainsi acceptée par un animal sauvage”, soupire-t-elle. Il y a Goliath, le mâle alpha ; McGregor, le vieux au caractère belliqueux ; la vieille Flo, femelle alpha ; et tant d’autres.
Presque humains
Jane découvre leurs comportements et remarque que les chimpanzés sont plus proches des humains qu’on ne le croit à l’époque : “Plus j’en apprenais, plus je voyais combien ils nous ressemblaient. (…) J’avais l’impression d’observer des semblables.” A l’époque, on enseigne à l’université que l’homme est le seul “fabricant d’outils” (toolmaker) capable de pensées rationnelles. Mais Jane fait une découverte capitale : les chimpanzés conçoivent eux aussi des outils. En épiant David Greybeard, elle remarque que pour manger des termites, il effeuille de petites branches afin de les introduire dans leur nid. Louis Leakey, à qui elle transmet la nouvelle par télégramme, lui répond : “Nous devons redéfinir l’homme, redéfinir l’outil ou bien inclure les chimpanzés dans le groupe des humains !”
Jane obtient des fonds pour construire un centre de recherche à Gombe. Elle lance des expérimentations, comme celle des bananes. Ces fruits attirent les chimpanzés sur le campement, au point de les rendre fous. Les petits groupes des débuts, silencieux, se chargeant les mains et la bouche de bananes avant de s’enfuir farouchement, se transforment en meutes bruyantes, se livrant une compétition agressive. Des déferlements de violence qui se reproduiront les années suivantes. Lorsque la vieille Flo, cheffe des femelles que Jane appréciait tant, meurt, la communauté se divise en deux. Une partie des singes migrent vers le sud et deviennent des étrangers auxquels les autres chimpanzés vont livrer une guerre sans merci, jusqu’à les annihiler. Jane est sincèrement choquée : “Notre petit paradis était sens dessus dessous.” Après plus d’une décennie à étudier les chimpanzés, elle saisit un autre aspect de leur fonctionnement : “Je les pensais comme nous, mais plus doux, je n’avais pas idée de la brutalité dont ils étaient capables.”
Jane Goodall construit sa vie autour des “chimps” (prononcez tchimpss). Son mariage et sa vie de famille n’y résisteront pas : son idylle avec le cinéaste Hugo van Lawick, envoyé à Gombe par le National Geographic pour documenter ses recherches, se finit quand chacun choisit de se concentrer sur son travail, à l’est et à l’ouest de la Tanzanie. Son fils Grub, issu de leur mariage, vit son enfance avec eux, à Gombe puis dans le parc du Serengeti où Hugo filme les animaux de la savane. Il finit par rentrer en Grande-Bretagne pour être scolarisé, et vivre avec sa grand-mère.
Goodall, elle, décide de s’engager pour la protection des animaux et de l’environnement, pour dénoncer le “comportement inconséquent de notre espèce”. A travers la fondation Jane Goodall et son programme pour la jeunesse, Roots & Shoots, elle œuvre à “faire en sorte que la future génération soit un meilleur intendant que la nôtre” pour la Terre.
Jane, documentaire 90 min, diffusion sur les chaînes National Geographic le 11 mars
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