Quarante-quatre ans après Buñuel, Valéria Sarmiento s’attaque au roman El de Mercedes Pinto. Elle signe un mélodrame distancié, exercice de style inégal mais troublant. Contrairement à ce que son titre pourrait laisser supputer, Elle ne chante point les louanges d’un hebdo féminin internationalement reconnu pour la légèreté glamour de ses pages mode. Le retour immédiat […]
Quarante-quatre ans après Buñuel, Valéria Sarmiento s’attaque au roman El de Mercedes Pinto. Elle signe un mélodrame distancié, exercice de style inégal mais troublant.
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Contrairement à ce que son titre pourrait laisser supputer, Elle ne chante point les louanges d’un hebdo féminin internationalement reconnu pour la légèreté glamour de ses pages mode. Le retour immédiat vers les arides contrées cinéphiles s’impose puisque le film de Valéria Sarmiento n’est en effet rien de moins qu’une nouvelle adaptation du roman de Mercedes Pinto, El, déjà travaillé au forceps et de quelle manière par Luis Buñuel un jour sacré de 1952. Projet fichtrement casse-gueule, à dire vrai. Comment échapper aux pièges de la redite mineure ? Comment rendre hommage à dom Luis sans sombrer dans le coup de sombrero superfétatoire ? Le travail initial de Sarmiento a visiblement consisté à réinterroger le matériau littéraire originel, histoire d’ouvrir des perspectives, sinon nouvelles, du moins légèrement déviantes par rapport à la jalousie masculine monomaniaque sur laquelle insistait principalement Buñuel.
Ici, Sarmiento s’attache non seulement au mari amoureux tordu mais aussi (surtout) à sa dulcinée et à l’inextricable tissu de contradictions (eros/raison, cul/culpabilité, nymphomanie/morale) dans lequel elle est cafardeusement enserrée. A partir de là, les relations progressivement impossibles entre ces deux tourtereaux socialement gâtés épousent les remous tortueux de la folie s’agitant sous la fine pellicule bourgeoise qui lui sert d’écrin. Un écrin trop nickel pour être honnête, comme de bien entendu. Elle, jeune mariée, ne sait pas nager ? Il lui fait construire une piscine qui servira éventuellement de cadre à quelques jeux érotiques maladifs. Elle s’en va consulter un médecin pour l’avertir du péril mâle qui la menace ? Pas de chance, le doc est un ami du mari et il viendra boire l’apéro au domicile conjugal en se gaussant des symptômes prétendument hystériques de la dame…
Tout le talent de Sarmiento (déjà notable dans Un Mariage et Amélia Lopes O’Neil ) consiste à faire lentement monter la température des affects et à trousser une distanciation humoristique et déjantée qui colle à la trame narrative, tout en crescendo hypocondriaque et chausse-trappes délicieusement troubles. Les problèmes du film, bien réels, sont en fait corrélatifs à sa nature même et à l’acceptation par le spectateur des règles du jeu concernant le remake décalé. Il faut l’avouer : les images du El initial ne manquent pas de resurgir dans nos cerveaux agités, et on ne peut pas s’empêcher de penser que là où Buñuel nous plongeait dans des abîmes de perplexité, Sarmiento, elle, ne nous immerge que le petit doigt dans un bain de paranoïa légèrement surannée. Problème d’autant plus prégnant que le dérivé buñuélien est à la mode ces jours-ci : Elle sort sur nos écrans un mois seulement après le détonant Trois vies et une seule mort du grand Raoul Ruiz, précisément coscénariste du film et, pour la petite histoire, compagnon de Valéria Sarmiento. Cinéaste diablement inspiré quand il s’en donne les moyens, Ruiz aurait peut-être élevé cet élégant exercice de style vers des cimes plus déraisonnables et véritablement inédites. En l’état, Elle demeure quand même un film intéressant, de ceux que l’on a vraiment envie de défendre et d’aimer, malgré leurs faiblesses, pour leur singularité tout-terrain.
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