La star américaine s’est éteinte le 23 mars dernier. Retour sur un trajet d’actrice marquée par un goût de plus en plus prononcé pour la monstruosité et l’indécence.
Toutes les étapes d’une existence, elle les a franchies précocement. Elle entre dans la vie active à 10 ans (Fidèle lassie, 1943) ; elle devient une vedette à 12 (Le grand national, 1944) ; à 19 ans, elle est une star (Une place au soleil, 1951) ; c’est la trentaine à peine dépassée (Cléopatre, 1964) qu’elle commence à se battre avec des phénomènes généralement associées à des âges plus avancés (embonpoint, déclin physique…).
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A moins de quarante ans, au début des années 70, elle n’appartient déjà plus qu’à l’Histoire du cinéma et, après un dernier Cukor passé inaperçu (1974), elle se retire, dispensant tous les dix ans une apparition surpayée dans un Agatha Christie (Le miroir se brisa, 1980) ou une comédie familiale (Les Pierafeu, 1994).
Disparue à 79 ans le 23 mars dernier, Elizabeth Taylor aura donc passé près de la moitié de sa vie à être une star du passé. Certes, cette retraite anticipée lui a permis de se repositionner, d’intervenir autrement dans son époque – son engagement avec LamFAR pour financer la lutte contre le Sida n’a jamais failli. Elle lui a laissé aussi beaucoup de place pour continuer à vivre, se marier, divorcer (8 fois en tout, dont deux avec Richard Burton), fréquenter puis soutenir Michael Jackson et continuer, malgré tout, à occuper beaucoup d’espace dans la presse people. Elizabeth Taylor a donc tout vécu prématurément.
Dans sa vie, cela a pu être une blessure. Au cinéma, ce don particulier pour l’anticipation des expériences humaines a coloré son travail d’une teinte particulière. La première fois qu’elle joue la vieillesse, elle a vingt-quatre ans. C’est dans Géant de Georges Stevens (1956). Elle y interprète, en trois heures de récit, quarante ans de la vie d’une femme. Au milieu du film, elle est déjà la mère de Dennis Hopper (l’acteur est pourtant son cadet de seulement quatre ans) ; à la fin, elle est déjà grand-mère.
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Le maquillage reste pourtant discret ; c’est plutôt l’actrice qui trouve en elle un terreau qui lui permet, si jeune, de figurer la maturité et l’usure par le temps. Ce n’est pourtant pas son avenir à elle qu’elle anticipe, car il ressemblera assez peu à la douceur des vieux jours apaisés de la matriarche de Géant. Elle a seulement 35 ans lorsqu’elle attente au cinéma à sa jeunesse et sa beauté. Dans Qui a peur de Virginia Woolf ? (Mike Nichols, 1967), elle parait déjà quinquagénaire, ménopausée, défaite par l’abus d’alcool mais peut-être aussi la passion hystérique qui l’unit à Richard Burton. Tout cela (l’alcoolisme, la décrépitude, la violence conjugale), elle l’exhibe avec une fureur sidérante – qui lui vaut son second oscar.
Avant Liz Taylor, Hollywood a bien sûr brûlé d’autres stars (Rita Hayworth, Gene Tierney, Judy Garland…). Mais elle probablement la première à avoir fait de cette combustion une arme qui renforce son statut et l’établit absolument comme une immense comédienne. Car ce n’est pas seulement de métamorphose physique qu’il s’agit. En liquidant les atours de la jeune fille idéale de l’Amérique, c’est véritablement une autre actrice, une autre personne qui éclot, au jeu beaucoup plus extraverti, à la présence inquiétante, presque nocive.
Jusqu’à la fin des années 50, elle incarne plutot la haute société américaine, plutôt côte est. Cultivée, elle s’éprend d’un parvenu texan (Géant). Richissime, elle aime un sans-le-sou (Une place au soleil). Dans Une chatte sur un toît brûlant, peut-être le premier film, alors qu’elle est à l’acmé de sa beauté, où on entrevoit la trentenaire gironde, hyper-sexuelle, maniaque des années 60. Elle n’y joue plus une petite princesse, mais une fille avide, qui convoite l’héritage de son beau-père.
Dans Le chevalier des sables (Vincente Minelli, 1965), elle est une déclassé qui vit entourée de beatniks et provoque l’horreur de la bonne société californienne. Dans Cérémonie secrète (Joseph Losey, 1968), elle est une prostituée, qui s’immisce dans la vie d’une riche héritière psychotique. On l’y voit roter, se plaindre à son miroir qu’elle n’arrête pas de grossir, détruire avec délectation l’image de perfection distinguée qui fut la sienne jeune fille.
Descendre au plus bas de l’échelle sociale, au plus profond des secousses psychiques (elle devient folle dans Soudain l’été dernier), ne plus incarner peu à peu que des virago hurlantes (La mégère apprivoisée, Qui a peur de Virginia Woolf ?) : c’est le trajet d’Elizabeth Taylor, actrice fasciné par la monstruosité, l’effondrement, l’obscène. Une autre surprise de ce trajet, c’est la façon dont cette femme sublime devient ,dans la fiction, un objet de répulsion pour les hommes, et ce dès l’apogée de sa beauté.
Dès La chatte sur un toit brulant, son mari Paul Newman ne veut plus la toucher. Tout comme Richard Burton dans Qui a peur de Virginia Woolf ? Aucune autre star féminine n’a accepté autant de rôles qui l’excluent de la circulation du désir. Et par deux fois, dans Soudain l’été dernier (Joseph L. Manckiewicz, 1959) puis Reflets dans un oeil d’or (John Huston 1967, avec Marlon Brando), son mari est un homosexuel honteux.
L’homosexualité masculine, de façon plus positive, structure d’ailleurs de part en part sa carrière : elle fut la partenaire et l’amie de Montgomery Cliff et Rock Hudson. Minelli l’a filmée à trois reprises. Cukor lui a offert son dernier grand rôle. Elle joua dans trois adaptations de Tenessee Williams. Dans la dernière, Boom (Joseph Losey, 1968), elle incarne la souveraine pré-dragqueen d’une ile en Mediterranée, entourée de serviteurs gays.
Le rôle entérine le devenir icône queer de l’actrice, trônant désormais au panthéon du kitsch homosexuel.
A sa mort, on a beaucoup lu qu’elle était la dernière star hollywoodienne. Elle est en tout cas celle qui a occupé la place la plus stratégique dans la mutation que connait Hollywood au tournant des années 60. Jeune étoile de l’âge d’or des studios et du cinéma classique, elle est la star qui saura le mieux accompagner Hollywood dans sa crise moderniste, doublant la décomposition du classicisme du spectacle parfaitement assumé et construit de sa propre décomposition.
Il était donc logique qu’un des plus bel hommage rendu à cette idole destroy vienne d’un grand écrivain de la destruction : JG Ballard. Vaughan, le sulfureux playboy de Crash, a un fantasme sexuel ulitme : mettre en scène un hypothétique « car-crash », où succomberait Elizabeth Taylor, cette star au glamour cyberpunk.
Jean-Marc Lalanne
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