Le studio jadis roi apparaît plus largué que jamais dans un apologue convenu sur l’entente intercommunautaire, où palpite néanmoins toujours une vibration qui lui est propre.
Fille d’immigré·es à Element City, une mégapole où coexistent des êtres de feu, d’eau, de terre et d’air, l’impétueuse Flam se prépare à reprendre l’épicerie familiale, mais tout va changer avec la rencontre de Flack, un garçon des beaux quartiers.
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La romance entre deux êtres que tout oppose, un format novateur apte à contrecarrer la disgrâce de Pixar ? La question est rhétorique. Ces dernières années ont vu le studio se faire peu à peu déborder sur tous les flancs : commercial (Illumination, DreamWorks et Sony tiennent désormais la dragée haute), honorifique (l’Oscar lui a échappé deux années d’affilée, et pire : personne n’y a lu une quelconque injustice) et surtout culturel, tant il est clair que sa prise sur nos imaginaires s’est desserrée. Sa prééminence de conteur avant-gardiste s’est diluée dans une époque où ses films ne sont plus beaucoup discutés, passent relativement inaperçus et où la franchise Spider-Verse lui a clairement repris le statut de chouchou de l’époque (quoique de façon moins familiale et multigénérationnelle).
Un film anti-pixarien ?
Voilà le contexte dans lequel sort Élémentaire, où l’on croit bien reconnaître, en surface, un certain nombre de caractères distinctifs du studio. En premier lieu sa dimension d’abstraction métaphorique, la portée purement analytique et symbolique de la forme, avec ces communautés renvoyant moins aux éléments de la matière qu’à des vagues migratoires américaines (l’aspect le plus tarte) et surtout à des pôles du spectre émotionnel (l’exaltation des personnages de feu, l’empathie exacerbée des personnages d’eau qui pleurent pour un rien : là une belle idée simple, purement conceptuelle et légèrement désuète, qu’aucun studio concurrent n’aurait sans doute validée).
Mais si ces personnifications peuvent faire écho aux instances mentales de Vice Versa ou spirituelles de Soul, on peut tout aussi bien en grattant un peu trouver Élémentaire presque anti-pixarien, d’une façon somme toute assez proche du Voyage d’Arlo, le premier film réalisé pour Pixar par le même Peter Sohn. C’est-à-dire par un récit très lesté à l’endroit du foyer et des gènes : réparer/perpétuer la famille, se trouver soi mais d’une façon qui devra la préserver. Si comme le remarque Hervé Aubron dans son Génie de Pixar (Capricci), tous les personnages de Pixar sont les seuls représentants de leur propre espèce, il est notable que les deux films de Sohn fassent exception (en plus bien sûr des films à humains : Indestructibles, Coco…) et qu’en découle une charge émancipatrice très atténuée : la quête du soi n’est plus au cœur de ces films de clan et de communauté.
Étincelle
On pourrait presque s’en tenir à ce constat assez sinistre : un film de roi déchu, arc-bouté sur des motifs d’un ringardisme parfois alarmant, assez faible sur le plan comique. On doit néanmoins reconnaître une chose : de ce tableau naïf se dégage miraculeusement une émotion singulière. Le sortilège Pixar n’a pas disparu : il s’est réduit à l’état d’étincelle indicible. On sait, devant Élémentaire, qu’on est devant un Pixar, par l’empathie particulière que le film soulève en nous, par sa désobéissance aux formats de son temps, sa foi inébranlable en ses ressources figuratives, son absence d’ironie.
De cette micro palpitation peut repartir l’élan magique, peut-être demain, peut-être plus tard. Il s’agira simplement de trouver autre chose à raconter que le feu qui brûle et l’eau qui mouille.
Élémentaire de Peter Sohn en salle le 21 juin
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