En 1991, Edward Furlong apparaissait en John Connor ado dans Terminator 2, avant d’éblouir à nouveau en petit frère séraphique dans le premier film de James Gray, Little Odessa. Mais la gueule d’ange des débuts sera vite submergée par sa face sombre.
Un garçon très recherché : c’est ainsi qu’est apparu Edward Furlong dans le paysage du cinéma à l’aube des années 90. Un redoutable robot protéiforme, fait de métal liquide et ayant provisoirement revêtu l’apparence d’un flic à Ray-Ban sillonne L. A. à la rencontre de tous les John Connor de la ville pour les occire dès qu’il les identifie. Il n’en reste plus qu’un mais c’est lui la target ultime. Celui-là même qui dans vingt ans prendra la tête d’une mutinerie des humains dans un monde totalitaire dominé par les robots. Pour l’heure, ce futur messie que le T-1000 a pour mission de tuer dans l’oeuf n’est qu’un ado à problèmes, arraché à la tutelle de sa mère donnée pour folle, placé chez un couple de tuteurs qui a toutes les peines du monde à gérer les frasques de ce petit délinquant à mèche de 14 ans.
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A l’heure où James Cameron l’engage dans Terminator 2 (1991), la vie d’Edward Furlong n’est pas sans correspondance avec celle de son double de fiction. Le jeune homme est né en 1977 en Californie. Son père abandonne sa mère, Eleanor, peu de temps après sa naissance et la jeune femme connaît quelque difficulté à élever son fiston. Encore enfant, Edward est recueilli par la soeur de sa mère, Nancy, et son compagnon Sean. Une adolescence ballotée donc, sans figure paternelle et éloignée de sa mère, comme John Connor. Edward a 13 ans lorsqu’une fameuse directrice de casting, Mali Finn (qui joua un rôle-clé dans les carrières de Russell Crowe et de Leonardo Di Caprio), le repère dans un club d’ados de Pasadena et le convainc de passer des essais pour donner la réplique à l’acteur numéro un du box-office : Arnold Schwarzenegger. Le garçon adore le cinéma mais confesse n’avoir jamais envisagé d’en faire. Dès les essais, James Cameron est emballé. John Connor (qui n’apparaissait pas encore dans le premier volet de Terminator) a trouvé son premier visage (d’autres lui succèderont dans les sequels successifs de la franchise).
Silhouette efflanquée, voûté comme dans une perpétuelle bouderie, regard d’aigle, Edward Furlong est remarquable dans Terminator 2. Il confère à son personnage déraciné d’élu malgré lui une profondeur émotionnelle inouïe. Ado d’abord trop frêle pour porter le destin héroïque dont on le pare, le personnage se charge peu à peu d’une détermination et d’un courage hors pair. Furlong en incarne toutes les nuances, excellant aussi dans les scènes de pure comédie, où il métamorphose le gros Schwarzie en énorme toy soumis à toutes ses volontés (« Waow ! J’ai un Terminator pour moi tout seul ! Lève un pied ! Défonce ce type ! Non, non je déconne »). Le film opère la razzia de dollars attendue et le jeune Furlong, à 14 ans, truste les récompenses (MTV Movie Award de la révélation de l’année, Saturn Award, Teen Choice Award…). Mais, alors qu’un nouvel horizon professionnel s’ouvre, déjà de lourds nuages biographiques viennent en obscurcir l’étendue. Seulement deux mois après la sortie du blockbuster de James Cameron, sa mère se rappelle à lui et se lance dans une procédure judiciaire contre sa soeur et son beau-frère pour récupérer la garde fructueuse du kid. L’oncle et la tante gagnent le procès fin 1991 mais, à l’issue d’un recours, la mère parvient à ses fins deux ans plus tard, et se voit à nouveau confier la tutelle de son fils. Probablement lassé d’être ainsi brinquebalé, Edward amorce une nouvelle procédure afin d’obtenir son émancipation – à l’instar d’autres baby stars millionnaires (Macaulay Culkin, Drew Barrymore…). Il l’obtient fin 93, alors qu’il vient d’avoir 16 ans.
Entre-temps, le jeune comédien enchaîne les petits films indés et joue le rôle principal dans une série B horrifique (Simetierre 2). Les plus beaux jours de sa carrière sont encore devant lui. Il a 17 ans lorsqu’un cinéaste de peu son aîné (24 ans) le choisit pour son premier long métrage, situé dans le milieu de la mafia russe new-yorkaise : James Gray pour Little Odessa (1994). Il y incarne Reuben Shapira, le jeune frère d’un tueur à gages, Tim Roth (de fait, dans leur physionomie émaciée et osseuse, une vraie proximité physique crédibilise cette fraternité de fiction). Il est une nouvelle fois éblouissant.
Ce qui frappe dans la très belle filmographie nineties d’Eward Furlong, ce n’est pas seulement que le jeune acteur ait su aimanter des cinéastes aussi passionnants que James Cameron, James Gray, Barbet Schroeder ou John Waters ; c’est aussi la permanence de certaines figures, la récurrence de motifs dont le comédien semble porteur et qu’il tresse de film en film. Dans Little Odessa comme dans le pensum lourdaud American History X (Tony Kaye, 1998), il est un jeune homme au chevet de sa mère malade, perpétuellement alitée, sujette à des convulsions sans fin ou des quintes de toux terrassantes. Dans les deux films, le grand frère a déserté la cellule familiale, est banni des siens parce qu’il a sombré dans la criminalité (Tim Roth dans Little Odessa) ou la mouvance skinhead (Edward Norton, brute néonazie incarcérée pour meurtre dans American History X). Dans les deux films encore, tout comme dans Terminator 2, le jeune homme hérite de l’imaginaire belligérant de ses aînés, essaie d’endiguer la propagation d’une violence qui ne saurait que l’engloutir. De fait, à la fin de Little Odessa, il est abattu dans une fusillade, alors qu’il venait à la rescousse de son grand frère criminel. Et dans American History X, victime à nouveau d’un effet de ricochet, il est flingué au lycée alors que son aîné Norton semblait revenu de ses délires de purification raciale. Durant toutes les années 90, Edward Furlong a incarné idéalement la figure d’un petit frère, pris sous leurs ailes par des molosses bodybuildés ou/et surarmés, qui le plus souvent manquent à le protéger. Un agneau sacrifié tombant sous le coup d’une violence ancestrale, bras en croix, parfois même au ralenti, petit Christ aimant et souffrant.
Barbet Schroeder pourtant a su voir le loup dans l’agneau. Dans ce mélodrame sublime et mésestimé qu’est Before and After (1996), Furlong est un jeune criminel qui tue involontairement sa petite amie en la molestant. Le film oppose ses deux parents, un père trop fusionnel (Liam Neeson), prêt à défendre son fils jusqu’au faux témoignage, et une mère soucieuse d’incarner la loi (Meryl Streep), qui place au plus haut l’idée de justice (c’est une des belles idées du film d’inverser les valeurs traditionnellement attribuées aux deux fonctions parentales). L’extraordinaire aptitude de l’acteur à émouvoir, à se présenter comme l’être le plus tremblant et démuni du monde, trouve ici son paroxysme. Et il faut louer l’intuition de John Waters d’avoir su prendre à revers l’imagerie de calvaire que traînait le comédien pour faire de lui son alter ego en jeune homme dans le sémillant autoportrait Pecker (1998). Dans un registre d’hyperstylisation illuminée à la Johnny Depp, il y fait montre d’une légèreté inaccoutumée, qui aurait pu infléchir sa carrière, la conduire vers des eaux moins lourdes et sombres. Las, la filmo jusque-là assez exemplaire du comédien allait bientôt être mise à mal par l’éruption de forces autodestructrices puissantes.
C’est en 2001, à 24 ans, alors qu’il sort d’une brève liaison avec la riche héritière Paris Hilton – pas encore promue star planétaire par la téléréalité et la presse people -, qu’il connaît ses premiers déboires avec la police. Durant l’été, on le ramasse inanimé dans son vomi dans une boîte de Sunset Boulevard. Hospitalisé d’urgence, il échappe de justesse à ce qui semble bien être une overdose d’héroïne. Dans les semaines qui suivent, il est arrêté pour conduite sans permis et ébriété. En 2003, il est évincé du casting de Terminator 3, dont il devait à nouveau partager la vedette avec Arnold Schwarzenegger, au profit de Nick Stahl, fraîchement découvert chez Larry Clark (Bully, 2001). Dans cette suite, on retrouvait John Connor vingtenaire, sérieusement endommagé par la consommation de toutes sortes d’expédients, mais Furlong fut jugé encore trop junkie pour jouer un junkie (cependant – malédiction du personnage ? -, Nick Stahl rencontrera par la suite lui aussi de graves problèmes d’addiction). En 2004, la police intervient dans une boutique d’animaux du Kentucky car Furlong, tel un possédé, sort tous les homards de leur aquarium en prétendant leur rendre la liberté. Ce qui lui vaudra la vindicte des associations de défense du droit animalier. 2006 annonce une accalmie. Il épouse la comédienne Rachael Bella et ils ont ensemble un fils, Ethan. En 2009, le couple divorce. L’ex-épouse obtiendra plus tard que Furlong soit relevé de ses devoirs parentaux, après que leur fils, à l’âge de 6 ans, a été déclaré positif à un contrôle de cocaïne alors qu’il était sous la responsabilité de son père.
Pendant toute la décennie 2000, la carrière du comédien ne s’interrompt pas mais périclite. Beaucoup de ses films ne connaissent plus de distribution internationale, certains sortent directement en DVD. Empâté, le regard alourdi par de gigantesques valises, il promène son désarroi dans des séries Z de plus en plus improbables, allant même jusqu’à incarner le roi des zombies (The Zombie King, 2012) ou figurer dans la dernière production d’Uwe Boll (Assault on Wall Street, 2013), cinéaste régulièrement cité, par ceux que ce type de classement amuse, comme « le plus mauvais au monde » (multiples Razzie Awards à la clé). Tout juste l’entrevoit-on, le temps d’un cameo ironique (c’est-à-dire dans le rôle d’un dealer), dans The Green Hornet de Michel Gondry (2011).
Les dernières nouvelles ne sont pas bonnes. Le 1er juillet dernier, il était entendu par la Cour supérieure de Los Angeles pour violences conjugales à l’encontre d’une de ses récentes ex-girlfriends et enfreinte à l’injonction d’éloignement qui lui interdisait d’entrer dans son domicile. Il s’agissait de sa troisième arrestation en quelques mois. En 1991, tandis que le bon Terminator s’enfonçait irrévocablement dans le métal en fusion qui allait le dissoudre, il le saluait avec tristesse en maugréant entre ses dents : « Hasta la vista, baby. »
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