Le portrait sensible d’un écrivain lucide, auteur d’“Il faut en finir avec Eddy Bellegueule”, sur son parcours et son identité.
Un jeune homme à la fenêtre regarde les toits de la ville qui s’étend devant lui. Est-ce un double de Julien Sorel ou Georges Duroy, ces héros ambitieux de romans du XIXe siècle ? Il fredonne en souriant une chanson populaire : “J’me présente, je m’appelle Henri/J’voudrais bien réussir ma vie, être aimé…”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En quatre livres, Édouard Louis est devenu l’une des figures majeures de la vie littéraire. Plus qu’un romancier : un penseur, un moraliste – presque une mythologie à lui tout seul. À travers sa voix a surgi le portrait cru et lucide d’une classe populaire pauvre et méprisée par le système. Le propos de ce portrait filmé est de (re)tracer une fois de plus les contours d’une métamorphose sociale qui a vu Eddy devenir Édouard – ou comment le dernier rejeton mal assorti d’une famille prolétaire de Picardie s’est transformé en jeune normalien, star des plateaux télé et des cercles littéraires.
L’exercice n’a rien d’un ego trip complaisant. Au contraire : Louis revient sur les lieux de sa jeunesse, comme autant d’étapes de son éducation intectuelle, avec une sincérité, une douceur et une tristesse aussi que viennent conjurer ses prises de parole face caméra, fulgurantes d’intelligence et de retournement de pensée. Car l’écrivain raisonne toujours à rebours des clichés et des idées préconçues qu’on pourrait paresseusement projeter sur les rapports de classe. Il réinvente le mot “transfuge”, lui donne une nouvelle épaisseur dans la lignée de Bourdieu, Ernaux ou Eribon, qu’il cite comme celui qui lui a permis d’achever sa mue identitaire, en quittant Amiens pour Paris. Le film offre à l’arrivée une éclairante réflexion sur l’identité émaillée de formulations percutantes : “Les autres m’ont créé par l’insulte”, “Eddy Bellegueule, c’est ce que je n’ai jamais réussi à être”.
Qu’Édouard Louis soit génial, on le savait. Mais, nous disent les images, c’est aussi un garçon adorable au beau sourire triste, qui porte des T-shirts Pikachu et remet souvent une petite mèche de cheveux en place – rebelle à sa transformation.
Édouard Louis ou la Transformation de François Caillat (Fr., 2023, 1h12). En salle le 29 novembre.
{"type":"Banniere-Basse"}