Un film habile au service du projet cruisien : foncer à toute berzingue.
Einstein peut se retourner dans sa tombe : Tom Cruise voyage plus vite que la lumière. Cela fait un certain temps qu’il courait après l’exploit, le garnement. Il est désormais acquis. Il est nécessaire de le rappeler : personne, au cinéma ne court mieux que Tom Cruise. Que les sceptiques revoient Mission: Impossible (les quatre), Minority Report, Collateral, La Guerre des mondes ou le récent Night and Day, à cette aune. Même les quelques scènes de course dans Jerry Maguire et Eyes Wide Shut sont sidérantes.
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C’est donc avec une certaine surprise que nous constations, dans Jack Reacher, son changement de régime : il ne courait plus, mais se contentait de partir à point. Toujours au bon moment, au bon endroit, il pouvait se payer le luxe de la tranquillité apparente. Avec Edge of Tomorrow, il va au-delà : le voyage dans le temps, c’est-à-dire la vitesse ultime. Et signe – car tout film avec Tom Cruise est un film de Tom Cruise, et ce de plus en plus – une de ses œuvres les plus vertigineuses. A l’origine d’Edge of Tomorrow, il y a un high concept — adapté en fait d’un roman japonais All You Need is Kill de Hiroshi Sakurazaka –, une idée sexy résumable en quelques mots : les noces entre Un jour sans fin et Le Jour le plus long.
Pour le dire autrement, Tom Cruise est un rond-de-cuir de l’armée, envoyé contre son gré sur le front opposant une humanité au bord de l’extinction à des extra-terrestres conquérants (les Mimics, nom générique pour un design qui ne l’est pas moins : rien ici ne se joue sur l’originalité). C’est le grand débarquement, la mère de toutes les batailles, la survie de l’espèce est en jeu… et ceux qui veulent se préserver la surprise devraient arrêter la lecture ici. Car l’ami Cruise, inexpérimenté au possible (on ne l’avait pas vu ainsi depuis des lustres), se fait massacrer dans les premières minutes de l’assaut, le visage détruit, comme une réminiscence de Minority Report. Game Over.
Mais tout de suite : « Même joueur, joue encore ». Le soldat Cage (belle idée de lui donner le nom de l’autre grand acteur spectral du cinéma américain contemporain) se réveille en effet au matin de son incorporation, prêt à se battre à nouveau, et à se refaire trucider de la même façon, si ce n’est qu’il garde avec lui le souvenir des jours précédents et peut modifier son comportement en fonction. Jusqu’à l’exécution parfaite. Comme dans un jeu vidéo. Vertigineux disions-nous.
A vrai dire, le film ne vise même que ça, le vertige, que certains, ne goûtant pas les pirouettes théoriques de l’acteur-auteur, estimeront dérisoire. Depuis son tournant burlesque et parodique dans Tropic Thunder (où il jouait Les Grossmann, un producteur mégalo et grossier, sans doute son Mr Hyde), Tom Cruise a décidé de reprendre sa carrière en main, et de ne plus jouer que dans des véhicules qu’il pilote lui-même, à toute berzingue.
Il ne s’agit pas de nier le talent de Doug Liman, excellent artisan et cinéaste de la légèreté à tout prix (La Mémoire dans la peau, Mr and Mrs Smith, Jumper) ; seulement de constater que son habileté est ici totalement au service du projet cruisien : aller toujours plus vite, sans se retourner. Guidé par un scénario (de Christopher McQuarrie, réalisateur de Jack Reacher et du prochain Mission : Impossible) plus malin que rigoureux, Liman et Cruise s’amusent comme des petits fous, pendant une bonne heure et demie, des potentialités de leur high concept, avant de retomber dans les affres du blockbuster contemporain, bourrin et illisible (surtout en 3D, à éviter), lors du dernier level.
Mais ce qu’ils réussissent, ils le réussissent à merveille. L’idée de trajectoire et de perfection, consubstantielle au concept Cruise, trouve là, par la grâce d’un montage acéré, une de ses plus belles expressions. L’acteur, plus toonesque que jamais, n’a plus de chair, plus d’âge, quasiment plus de réalité ni d’affect (ce qui affaiblit la partie sentimentale, avec la pourtant excellente Emily Blunt). Il n’est plus qu’un spectre, une pure créature de cinéma coincée entre deux coupes, un bug condamnée à errer dans les plis de l’espace-temps. Seul, pour l’éternité.
Edge of Tomorrow Un film de Doug Liman Avec Tom Cruise, Emily Blunt, Bill Paxton (1h53, EU, 2014)
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